Revues Revue RILEA #2 (2023) Megan WALSH, The Subplot: What China Is Reading and Why It Matters

Références

Megan Walsh, The Subplot: What China Is Reading and Why It Matters, New York : Columbia Global Reports, 2022, 136p., ISBN 978-1-735913-66-7, ISBN (eBook) 978-1-735913-67-4, 15 euros.

Texte

Dans The Subplot: What China Is Reading and Why It Matters, Megan Walsh fournit une réflexion dense et riche qui, à travers le filtre des littératures officielles, officieuses et prohibées, traite des grands enjeux de la Chine contemporaine : son industrie, sa conjoncture socio-culturelle, sa gouvernance, ses minorités et ses ambitions géopolitiques. Walsh est une journaliste et commentatrice qui a travaillé pour The Times, The New Statesman et The Wall Street Journal. Ses investigations, par conséquent, sont souvent artéfactuelles, cherchant à replacer la culture dans les réseaux de production industrielle. The Subplot, son premier livre, continue cette approche.

Composé de six chapitres, le livre est organisé de manière chronologique et socio-politique en partant de la Révolution Culturelle vers le présent. Le premier chapitre explore les fondements de cette Révolution et l’écart grandissant entre le passé et le présent à la suite de la période dite de Opening Up. Les énormes transformations socio-économiques des dernières décennies ont isolé et fragilisé les écrivain.e.s né.e.s dans les années 50 et 60 tel.le.s que Yan Lianke, Mo Yan, Su Tong, Ge Fei et Can Xue. Ils.elles se trouvent coupé.e.s de leur histoire, de leurs mémoires et de la société qu’ils.elles avaient aidé à construire. Leurs œuvres effectuent, par conséquent, un travail d’anamnèse, de description du réel et d’interrogation de structure sociale à travers, par exemple, l’utilisation faite de Maospeak, la langue bâtie par le Parti Communiste à partir de la doctrine politique.

Le second chapitre creuse le versant du premier chapitre, c’est-à-dire le vécu de ceux et celles né.e.s lors de l’ouverture économique des années 70, ainsi que l’individualisme et la soif d’argent des milléniaux dont, en Chine, les membres s’appellent les post-90. Walsh mentionne les scandales liés à cette génération et donne pour exemple la retraduction effectuée par Feng Tang du volume Stray Birds de Rabindranath Tagore, où “the world puts off its mask of vastness to its lover” devient, “the vast world opens the crotch of its trousers before its lover”. Walsh soulève, également, la question des souffrances des migrants et de la condescendance des classes aisées dans cette Chine contemporaine. Quelques 300 millions de travailleurs dits ruraux vivent sans droits et sans résidence fixe dans les villes chinoises. Leur fiction, diceng wenxue, souvent affichée sur des pages web et puis retirée, trouve expression dans la poésie de Xu Lizhi qui s’est suicidé à l’âge de 24 ans. L’on discerne un nouveau rôle pour une littérature éphémère, auto-publiée, et réticulaire, qui, néanmoins, touche un nerf vital.

Les chapitres trois et quatre offrent des historiographies des différents aspects de la production littéraire contemporaine. Le chapitre trois traite plus en profondeur des ouvrages en ligne. L’envergure de cette littérature dépasse l’imagination : 24 millions de titres disponibles, faits par des aut.eur.rice.s qui sont capables d’écrire jusqu’à 30 000 mots/jour, poussé.e.s par des plateformes semi-officielles qui les privent de leur droits d’auteur. Walsh reprend la formule de Cai Xiang, un critique littéraire, qui note que le bourgeois culturel convertit la culture en capital, tandis que le prolétaire culturel convertit la culture en labeur. Le quatrième chapitre examine un autre grand marché littéraire, le plus grand du monde entier en fait, celui des bandes dessinées. Dans un forum aussi vaste, qui peut jouer sur les modes visuels et textuels, et qui, de surcroît, est pourvu d’une langue logographique particulièrement adaptée à des tropes à la fois visuelles et lexiques, les matériaux subversifs hei abondent. Il est question, dans ce chapitre, du mouvement LGBTQIA+ et des possibilités de liberté d’expression.

Les chapitres cinq et six examinent les genres de la fiction policière et du fugu ou la nostalgie d’un temps rural et traditionnel maintenant révolu. Du fait de leur matière, il est aisé de comprendre que les romans noirs puissent fournir des critiques des abus de pouvoir des élites politiques. En revanche, les ressorts socio-historiques du fugu sont surprenants, et, paradoxalement, liés à une divulgation sur les réseaux sociaux comme Weibo, Douyin, ou YouTube. La réalité d’une campagne vidée et dépourvue d’opportunités met en exergue la figure des guanggun ou des branches dénudées, un terme qui décrit des jeunes hommes, restés contre leur gré, incapables de trouver une partenaire amoureuse et, par ce fait, prisonniers d’une stérilité forcée qui les empêche d’ajouter des fruits à leur arbre généalogique.

The Subplot est un guide bibliographique et un rapport. Son objectif est d’offrir une vision plongeante sur l’ensemble d’un fait culturel. Le style précis et rapace que Walsh emploie est au plus fort de sa puissance dans l’introduction et la conclusion où elle évoque les réalités les plus dystopiques de la Chine actuelle et la possibilité de questionnement et de contestation citoyens face à une censure du parti communiste qui s’opère sous l’égide de l’Administration Générale de la Presse et des Publications. Dans son analyse, la littérature permet, avant tout, un contournement à cette censure. L’on peut penser à une civilisation qui incarne le meilleur, et le pire, des œuvres de Orwell comme Fahrenheit 451. L’exemple qu’offre Walsh de cette littérature à double fond, dont l’apparence lisse cache de multiples niveaux d’interprétation, est la trilogie de Liu Cixin, traduite en français par Gwennaël Gaffric et publiée par Actes Sud sous le titre de Le Problème à trois corps. Cette trilogie gagnait le Prix Hugo en 2015 et plaçait son auteur au rang des autres grand.e.s actuel.e.s comme N.K. Jemisin. Walsh nous ouvre les clés de son interprétation en restituant son co-texte ainsi que son contexte.

The Subplot offre de nombreuses possibilités pour un enseignement en filière LEA. Les réflexions de Megan Walsh sont pertinentes et percutantes. Elles fournit amplement de la matière pour des projets de recherche en classe : l’exemple de Maospeak appuierait un projet sur la localisation de contenu, des biographies des travailleurs migrants étofferaient un projet sur la fabrique du coton et la chaîne de valeur de l’industrie de la mode (sous les feux de l’actualité pour la situation terrible des Ouïghours), et une considération d’une littérature écrite exclusivement par des femmes ouvrirait des perspectives pour un projet portant sur les droits des personnes LGBTQIA+. The Subplot offre des analyses précises des évènements historiques qui ont marqué le pays, une bibliographie très complète des œuvres de fiction et une liste importante des personnages clés du paysage médiatique et communicationnel. Le livre est exhaustif, bien référencé et offre une manière de reconcevoir une Chine plurielle et moderne.

La page personnelle de Megan Walsh : https://www.meganwalsh.co.uk/

 

Auteurs

William KELLEHER, Université de Rennes 2, LIDILE (Linguistique Ingénierie et Didactique des Langues)

william.kelleher @ univ-rennes2.fr

 

Références

Pour citer cet article :

William KELLEHER - "Megan WALSH, The Subplot: What China Is Reading and Why It Matters" RILEA | 2023, mis en ligne le 12/12/2023. URL : https://anlea.org/revues_rilea/megan-walsh-the-subplot-what-china-is-reading-and-why-it-matters/