Résumé
Face à l’inflation, à la hausse des prix et aux changements sociétaux qui impliquent que l’on n’étudie plus à côté de chez soi en vivant encore chez les parents, force est de constater que la situation socio-économique des étudiants exerce un impact fort et négatif sur leurs études. Pour certains, cela veut dire travailler en même temps, ou faire des choix difficiles entre payer le loyer, se nourrir de façon saine et équilibrée ou s’acheter les livres obligatoires pour son cursus. La synthèse de trois études présentée ici a pour objectif d’informer le corps enseignant sur les difficultés économiques du public étudiant et de formuler quelques recommandations.
Mots-clés : AGORAé, budget étudiant, égalité des chances, études et travail, précarité étudiante
Abstract
Inflation, rising prices, and social changes that mean one does not necessarily just study locally and live at home, have created a difficult financial situation for students today. These financial burdens can have a negative impact on their studies. For some, they might have to choose between paying rent, buying healthy food and eating a balanced diet, or even choosing which among the required textbooks they will buy. This synthesis of three different studies aims to help university teachers to understand the economic difficulty of those they instruct on a daily basis and concludes with some recommendations.
Keywords: AGORAé, equal chances for success, financial difficulties for students, students’ budget, working while studying
Texte
Introduction
C’est un sujet récurrent dans les conversations entre enseignants : les étudiants semblent plus fragiles que jamais. Il y a plusieurs explications comme le monde post-COVID, la génération « écran », ou même la crise écologique ou la situation socio-politique. Mais, parmi tous ces circonstances, il y a aussi la situation socio-économique des étudiants, qui semblerait aussi se dégrader depuis des années. La vie des étudiants d’aujourd’hui ne ressemble plus forcément à ce que les enseignants ont connu eux-mêmes. La synthèse de trois études présentée en premier lieu dans cet article fait le point sur la situation économique des étudiants en général, en fournissant quelques éléments d’information supplémentaires sur la situation des étudiants qui choisissent d’étudier les langues étrangères. Viennent ensuite les témoignages d’étudiants en Master 1 et 2 Langues Étrangères Appliquées évoquant les questions économiques qui les préoccupent le plus. Enfin, l’article propose quelques pistes de réflexion ou actions à entreprendre, afin d’aider le corps enseignant à tenir compte de ces indicateurs 2023 et entreprendre des actions de remédiation, lorsque c’est possible.
Le Baromètre de la précarité étudiante (FAGE) 2023
En 2011, la Fédération des Associations Générales Étudiantes (la FAGE) a mis en place le projet AGORAé, une épicerie solidaire sur critères sociaux et lieu de vie qui a pour objectif de « contribuer à l’égalité des chances et lutter pour la réussite académique des jeunes [1] ». Le 4 octobre 2023, la FAGE a inauguré sa 40e AGORAé à Avignon ; comme indiqué dans leur communiqué de presse, et comme cette dernière ouverture en témoigne, « les AGORAé subsistent faute de mieux, faute de politiques publiques »[2]. Effectivement, les espaces AGORAé accompagnent souvent les étudiants qui se situent à la limite des seuils : 74% des bénéficiaires des AGORAé ne sont pas éligibles aux bourses sur critères sociaux mais ils se trouvent en difficulté financière, au point qu’ils ont des difficultés pour se nourrir[3].
À la rentrée 2023, la FAGE a publié, pour la première fois, un « Baromètre de la précarité étudiante ». Cette étude a été réalisée auprès des étudiants bénéficiant des AGORAé pendant l’année universitaire 2022-2023 : 440 étudiants et étudiantes dans 25 villes de France, entre mai et juillet 2023. Le profil des sondés ayant répondu compte une majorité de femmes (68.9%) entre 18 et 25 ans (75,5%) au niveau licence (55,2%). Par rapport à notre intérêt pour les étudiants en LEA, presqu’un tiers des répondants sont en lettres, langues et sciences humaines et sociales (29,5%). Aussi, une majorité des réponses a été donnée par des étudiants et étudiantes internationaux (54.3%) contre 45,7% de français et françaises[4].
En premier lieu, l’enquête révèle que le coût de la rentrée dépasse le seuil de 3 000€, en raison d’une augmentation d’environ 9% des frais de vie courante[5]. Concrètement, cette hausse de coût se traduit par une réduction dans le pouvoir d’achat alimentaire. Le « Baromètre » indique que 79% des bénéficiaires ont dû réduire leur consommation de nourriture, avec plus de 62% entre eux qui saute un ou plusieurs repas par semaine[6]. Encore plus inquiétant, plus d’un tiers se prive de quatre repas ou plus[7]. La situation économique impacte également la santé dans la mesure où 45% des bénéficiaires renoncent aux soins médicaux[8]. L’inflation a provoqué une augmentation des frais d’alimentation d’environ 15% par rapport à la rentrée précédente, et c’est ainsi que presque deux-tiers des bénéficiaires ont recours à l’AGORAé et pour certains, même, à d’autres dispositifs d’aide alimentaire[9].
Très souvent présenté dans les médias et sur les réseaux sociaux, le repas CROUS à 1€ est assez connu et apprécié par les étudiants en tant que mesure anti-inflation. La même formule entrée-plat-désert, qui coûte normalement 3,30€ est disponible pour la modeste somme de 1€ sur demande via le site CROUS ou Izly[10] jusqu’au 2 janvier 2024, et même les étudiants non-boursiers sont éligibles[11]. Mais 63,9% des bénéficiaires des AGORAé n’y ont pas accès. La FAGE met en avant que le processus administratif est peu connu et décourageant ; afin de remédier à la précarité de toute la population étudiante, la fédération demande, « l’ouverture de la tarification à 1€ pour toutes et tous sur les sites de restauration étudiante […] »[12]. Cette proposition rendrait le dispositif plus transparent et accessible à tous. Autre point marquant : les restaurants CROUS ne sont pas toujours accessibles sur tous les campus ou aux horaires du soir. Pour tout étudiant ou étudiante éligible au repas à 1€, il faudrait qu’il y ait un restaurant ouvert à proximité aux horaires adaptés afin de pouvoir se nourrir de façon équilibrée[13].
Si, jusqu’au présent, le sujet de l’alimentation a été prédominant, la FAGE a aussi analysé les questions du logement et du salariat des étudiants. Alignés sur la hausse de 9% des coûts de vie, les loyers ont augmenté de 8,95%, et c’est le poste de dépense le plus important pour les étudiants[14]. Les enseignants peu renseignés pourraient croire que les étudiants ont accès aux logements CROUS subventionnés. Pourtant, dans le « Baromètre » FAGE, la Fédération cite un rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche datant de juillet 2023 qui indique qu’il n’y a qu’un logement CROUS pour plus de 17 étudiants au niveau national et qu’uniquement une demande sur deux donne suite à une attribution de logement CROUS[15]. Cela veut dire que les étudiants sont obligés de louer des logements privés dont les prix sont plus élevés : ceci est bien le cas pour 53,6% des répondants de l’enquête de la FAGE[16]. Faire appel à une solution de logement privé implique également les dossiers, les cautions, éventuellement les frais d’agence et de faire face, pour certains étudiants, au racisme ou préjugés. Au contraire de ce que le corps enseignant aurait pu vivre lui-même par le passé, il n’y a pas toujours une solution CROUS disponible.
Compte tenu des coûts incontournables de l’alimentation et du logement, il n’est pas surprenant qu’une grand partie des étudiants bénéficiaires de l’AGORAé, 42,3%, travaille à côté de leurs études, car ceci est « indispensable à l’étudiant.e pour subvenir à ses besoins »[17]. Ce sujet sera à nouveau évoqué plus bas, mais l’obligation, de plus en plus nécessaire, de travailler en même temps qu’étudier, soulève des difficultés par rapport aux exigences de certains diplômes.
Les résultats du « Baromètre de la précarité étudiante (FAGE) 2023 » rendent plus compréhensibles et concrètes les difficultés socio-économiques des étudiants éventuellement ressenties en cours par les enseignants ; alimentation, santé, logement et travail sont des sujets qui impactent ceux que les enseignants ont en face d’eux selon cette étude qui met également en lumière les lacunes importantes des aides gouvernementales. Ce sont des éléments à prendre en compte dans le processus de communication avec les étudiants et la mise en place des offres pédagogiques.
Indicateur du coût de la rentrée en Licence linguistique FNAEL (2023)
Une deuxième étude qui complète le baromètre de la FAGE est « L’indicateur du coût de la rentrée en Licence linguistique », effectué par la Fédération Nationale des Associations Étudiantes Linguistes (FNAEL) en 2023[18]. C’est la 4e édition de l’indicateur calculé par l’association, qui se base sur des données statistiques plutôt qu’une enquête. La méthodologie de calcul est bien précisée à la fin du communiqué de presse : les compilations sont faites à partir des informations de l’Union Européenne, de la Contribution Vie Étudiante et de Campus (CVEC), des grandes surfaces, des quatre plus grandes opérateurs téléphoniques, du site « Loc Service », de l’INSEE, et de l’Observatoire de la Vie Étudiante[19]. Par conséquent, il s’agit d’une approche plus théorique mais qui néanmoins reflète l’expérience vécue par les étudiants de l’enquête FAGE et de l’enquête ANLEA qui sera évoquée plus bas. Cette étude se focalise sur les étudiants linguistes et le profil est défini comme « un.e étudiant.e de 20 ans, en licence LLCER, Sciences du Langage, ou LEA en France métropolitaine. Cet.te étudiant.e est non boursièr.e et décohabitant.e [ne vit plus au domicile familial]»[20]. L’indicateur se fonde sur le montant de la rentrée, estimé à 3 033,52€, faisant ainsi écho à l’étude de la FAGE qui tire le signal d’alarme sur un budget de rentrée 2023 ayant dépassé le montant de 3 000€. Le calcul de l’indicateur est divisé en quatre catégories : les frais spécifiques de rentrée, les frais de vie courante, les frais modulaires, et les frais complémentaires. Ces derniers sont considérés comme des « frais illégaux imposés aux étudiant.es »[21].
La FNAEL souhaite mettre en avant « les problématiques spécifiques rencontrées dans nos filières, comme le prix du matériel pédagogique et manuels obligatoires ou fortement recommandés par les enseignant.es, les coûts supplémentaires engendrés par l’apprentissage d’une langue étrangère ou l’accès à la culture […] ». Effectivement, ce zoom nous permet de comprendre les obligations financières « en plus » pour nos étudiants en LEA. C’est dans la catégorie « matériel pédagogique » que se situent les particularités des étudiants linguistes. En ce qui concerne la papeterie, pour 2023, la dépense est estimée à 213,82€. Si cette dépense est légèrement en baisse depuis 2022 (0,3%), le montant reste élevé par rapport à 2021 (3,95%)[22].
C’est surtout la dépense en manuels d’étude et livres qui impacte les étudiants en langues. La FNAEL rappelle que « […] La pluridisciplinarité de nos filières amène à acheter un nombre important de livres et de manuels qui sont rendus obligatoires dans la plupart des universités »[23]. Mais le montant déboursé pour l’achat de livres est-il vraiment si important ? Selon l’indicateur, cela représente en effet environ 440€, une somme en hausse de 6% par rapport à la rentrée 2022[24]. Le communiqué de presse précise que le contexte varie selon l’enseignant ou l’enseignante, l’université et le catalogue de chaque bibliothèque universitaire : si les manuels sont souvent présents, les exemplaires ne sont pas toujours assez nombreux pour répondre aux besoins. Justement, l’association prévoit un recensement « des livres et manuels obligatoires à obtenir en licence ainsi que leur disponibilité en bibliothèques universitaires, et leur coût d’achat » [25]. L’objectif de cette cartographie est de déterminer si cette dépense est considérée comme des frais complémentaires illégaux. Selon la génération et la culture, l’achat des livres pour effectuer ses études va de soi, néanmoins, les étudiants actuels souhaitent des précisions sur cette pratique.
Outre l’analyse plus spécifique de la situation des étudiants en langue, l’indicateur de la FNAEL confirme, de manière plus générale, la situation économique évoquée par la FAGE plus haut et l’enquête ANLEA plus bas. Notamment, selon une enquête de l’Observatoire de la Vie Étudiante de 2022, 56% des étudiants ne mangent pas à leur faim[26]. Cette question de l’alimentation reste primordiale, suivie par celle du logement. Le loyer est confirmé comme la dépense principale, représentant 57% du budget. Par rapport aux statistiques 2021, la situation s’est empirée, et cela malgré une revalorisation des bourses sur critères sociaux[27]. Encore une fois, le réflexe qui consisterait à penser qu’il y a des dispositifs gouvernementaux pour bien accompagner les étudiants dans des situations précaires n’est plus l’actualité. Pour conclure sur l’indicateur de la FNAEL, deux autres chiffres marquants sont à prendre en compte : 1) les frais liés aux menstruations, soit environ 9,58€ par personne menstruée, et 2) pour les étudiants des départements et territoires d’Outre-mer, le coût moyen pour arriver en France Métropolitaine : 1 330,07€[28].
L’enquête ANLEA : ce que disent les étudiants en LEA Master 1 et 2
Une enquête courte et anonyme de 12 questions a été diffusée en décembre 2023 auprès des étudiants Master 1 et 2 par le biais du Conseil d’Administration de l’ANLEA. A la lecture des 138 réponses reçues, des tendances distinctes se dessinent sur les coûts du logement, du transport, de l’alimentation et des divertissements[29].
Même si une majorité d’étudiants n’a pas dû s’acquitter de frais d’inscription (54,1%), les étudiants sont en difficulté financière. Les obstacles pour trouver un logement étudiant font partie des réclamations des étudiants. Si quelques étudiants logent encore chez leurs parents pendant leurs études Master, la plupart doit se loger ailleurs. Sur l’ensemble des réponses, le montant de loyer va de moins de 300 € (22,2%), à plus de 500 € (20.6%), en passant par les fourchettes de 300 € – 400 € (23,8%) et 400 € – 500 € (33,3%), ce qui représente la majorité des étudiants (Graphique 1 : Loyer Mensuel)[30]. Dans certain cas, le loyer pour un logement étudiant dépasse le remboursement d’un crédit immobilier.
Graphique 1 – Loyer mensuel
En ce qui concerne le transport des étudiants Master 1 et 2 LEA, la majorité utilise le transport public (43,7%), suivi par le déplacement au campus à pied (37,8%), sachant que le choix dépend fortement de la situation géographique du logement. Uniquement 14,8% des étudiants viennent au campus en voiture et encore moins, 3,7%, prennent le train[31]. Les moyens de déplacement durable comme les transports en commun ou la marche contribuent à un budget plus faible pour le transport. Plus de deux-tiers des étudiants dépensent moins de 50 € par mois pour ce poste (Graphique 2 : Budget Transport). Pour ceux qui prennent leur voiture personnelle ou le train, le budget peut s’élever à 50 € à 100 € (15,3%), 100 € à 200€ (7,6%), ou même dépasser les 200€ (5,3%).
Graphique 2 – Le budget transport
L’achat des fournitures scolaires n’est pas systématique parmi les répondants de cette enquête, mais plusieurs étudiants sur les 73 qui ont répondu à cette question précisent leurs dépenses de la rentrée[32] :
- Rien acheté/réutilisation des fournitures de l’année dernière : 27,4%
- Ordinateur ou matériel informatique : 32,9%
- Papeterie : 27,4%
- Livres et manuels : 11 %
- Valise pour la mobilité/stage : un étudiant
En ce qui concerne les stages, presque la moitié des étudiants (47,3%) prévoient un budget de moins de 1 000€. L’enquête ne fournit de détails ni sur la durée ni sur la destination de leurs stages, mais cette limite semble être représentative. Trente-cinq étudiants (26,7%) visent plutôt la fourchette suivante de 1 000 € à 2 000 €. Les budgets de 2 000€ à 3 000 € et plus de 3 000 € sont minoritaires avec 13,7% et 12,2% respectivement[33].
Les deux budgets les plus sensibles pour les étudiants sont celui pour les courses alimentaires et le divertissement. Un quart (26,9%) des répondants indique que le budget disponible pour leur alimentation est de moins de 100€ par mois. Pour un peu plus de la moitié (57,7%), le montant disponible est plus élevé, allant jusqu’à 200€. Quelques étudiants ont des budgets plus confortables de 200 € à 300 € (11,5%) ou même plus de 300 € (3,8%). Néanmoins, avoir assez d’argent pour s’alimenter reste une inquiétude pour plusieurs étudiants (Graphique 3 : Budget Alimentaire)[34].
Graphique 3 – Budget alimentaire
Parmi les réponses des 70% d’étudiants qui ont répondu à une question ouverte portant sur l’aspect économique le plus difficile au quotidien, c’est la difficulté de s’alimenter correctement qui revient plus souvent, en raison des prix en hausse et les budgets serrés. Les étudiants ont réagi par rapport au prix dans les petites et grandes surfaces[35] :
L’inflation. L’augmentation des prix se ressent trop sur les étudiants, on ne peut pas se permettre de bien s’alimenter pour avoir une vie saine.
Le prix des courses qui augmente, c’est compliqué de faire des courses à moins de 30 euros et le loyer qui est haut.
Le budget alimentation : si l’on n’a pas de voiture et que l’on est dépendant des petites surfaces, le coût est bien plus élevé.
Le plus dur c’est de trouver de la nourriture pas cher car il n’y à que des petit magasins chers (Franprix, Monoprix,…). Le plus proche c’est Aldi mais ça fait loin.
Les prix des produits dans les grandes distributions.
L’augmentation à outrance des prix des hypermarchés.
Le budget courses qui est de plus en plus important.
Les prix qui augmentent, ainsi que la difficulté d’accès aux enseignes moins chères, impactent le budget alimentaire des étudiant, qui, pour certains, est déjà très limité. Avoir assez d’argent jusqu’à la fin de mois et pouvoir acheter une alimentation saine font partie des inquiétudes par rapport à cette ligne budgétaire :
L’alimentation à la fin du mois.
Payer la nourriture+ les sorties/ très dommage qu’il n’y est pas une bourse minimum étudiant par mois même 50 euros serait un enorme +.
L’alimentation est un gros problème de manière générale, afin de bien manger (viande, poisson, 3 repas par jour, …).
Les courses, les fruits et les légumes coûtent chers donc pour avoir une alimentation saine et variée, c’est compliqué.
Se nourrir sans avoir peur de tomber dans le rouge.
Ne pas savoir si je vais pouvoir me nourrir correctement à la fin du mois, et toujours s’inquiéter des imprévus car pas assez sur le compte pour pouvoir faire face à une dépense de plus de 100 euros.
Faire les courses en se faisant plaisir.
Ces commentaires des étudiants Master 1 et 2 LEA reflètent la problématique déjà mise en lumière par les études de la FAGE et la FNAEL concernant la possibilité de se nourrir. Selon les interactions que chacun a avec ses groupes TDs ou CMs, il pourrait être inimaginable pour les enseignants à tel point un nombre important d’étudiants ne mange pas à leur faim.
Finalement, même si ce n’est pas forcément une priorité, les divertissements font partie de la vie étudiante. Dans cet aspect de leur vie aussi, il y a une évolution dans la mesure où, pour plusieurs étudiants, il n’y a pas de budget divertissement disponible (20,9%). Pour presque la moitié des répondants (47,8%), le montant dédié aux sorties est entre 20€ et 50€. Un budget plus généreux de 50 à 200€ est accordé à 29,1% des étudiants[36]. C’est l’un des autres sujets évoqués dans la question à réponse libre : « Ce n’est pas quotidien mais j’aurais dit les sorties, car il faut rapidement 10/20 euros même pour une petite sortie ». L’indicateur de la FNAEL a estimé le coût mensuel des sorties pour les étudiants à 46,31€, sachant que c’est l’une des lignes budgétaires sacrifiées quand il y a des difficultés pour se nourrir[37]. Les sorties sociales et culturelles étant une partie importante pour le développement professionnel, l’absence d’accessibilité à tous engendre encore une inégalité de chances.
Comment les étudiants Master LEA financent-ils toutes ces dépenses (logement, transports, fournitures, stages, alimentation et divertissement) ? Par les trois voies classiques : le soutien financier familial (28,6%), les économies des jobs d’étudiants de vacances (39,8%) et, pour un bon tiers des étudiants, un emploi en même temps que leurs études (31,6%)[38]. Pour ceux qui travaillent, ces emplois représentent une moyenne de dix heures par semaine, avec des cas particuliers allant de deux heures à vingt heures.
Conclusions
Les trois études présentées ici démontrent que, même si les étudiants ont toujours eu à vivre avec un budget limité, les contraintes et la pression économique sont plus importantes que jamais. Au sein d’une même promotion, la situation économique des étudiants peut s’avérer très hétérogène, créant même des petites tensions ou inégalités. Par exemple, un groupe travaillant sur une étude de cas pourrait avoir plus de moyens pour se déplacer et rencontrer l’entreprise plus souvent que d’autres, ou se commander des cartes de visites ou imprimer des brochures en couleur.
Entre autres, nous constatons que tous les étudiants ne mangent pas à leur faim, malgré des dispositifs CROUS ou autres à leur disposition :
La nourriture. Souvent en fin de mois je me retrouve à ne pas pouvoir manger a ma faim car je n’ai pas assez. Je n’achète quasiment pas de viandes car le prix est trop excessif. Les courses sont de plus en plus chères, je ne peux pas travailler, je n’ai pas de revenus autre que une aide de mes parents, et ils m’apportent déjà beaucoup.
La transition écologique encourage une consommation moindre de viande, mais pour plusieurs étudiants, c’est un choix budgétaire plutôt qu’un choix politique. Il semble important de reconnaître que la population étudiante ne connaît pas la même vie étudiante que la plupart des enseignants ont pu connaître. Les étudiants en Langues Étrangères Appliquées (comme, probablement, d’autres étudiants de filières universitaires similaires) sont particulièrement touchés par les questions économiques en raison des stages obligatoires qui s’enchaînent entre la Licence, le Master 1 et le Master 2. Souvent, le coût des logements et le fait de devoir en abandonner un pour en retrouver un autre quelques mois plus tard requiert des dépenses importantes (caution, déménagement). Par ailleurs, avec les exercices qui découlent d’une approche pédagogique professionnalisante, comme le travail de groupe nécessaire le week-end et les déplacements en expositions, foires ou entreprises, les étudiants font face aux contraintes qui rendent les emplois étudiants le weekend difficiles à mettre en œuvre ; les étudiants sont souvent obligés de prendre des contrats rémunérés au SMIC le dimanche, comme les postes de caissier dans les grandes-surfaces. L’ironie du sort est cependant que ces expériences professionnelles, même sur les postes « alimentaires », renforcent leur profil par la suite.
Évoquer le contexte économique au sein d’une promotion pourrait aider les enseignants à mieux orienter certains exercices ou projets. La bienséance de la culture française fait généralement des financières un sujet tabou, mais dans le contexte actuel de la précarité étudiante, une telle conversation pourrait rendre service aux étudiants en difficulté. Tout comme la mise en œuvre d’un certain nombre d’actions, figurant en annexe de cet article.
Recommandations
- Mettre en place une boîte de fournitures recyclées (stylos, surligneurs, bloc-notes) dans le local étudiant, une entrée ou une salle de classe.
- Mettre en place ou aider à fournir une boîte à produits périodiques
- Rendre disponibles les matériaux des cours sur les espaces numériques mais aussi en bibliothèque universitaire. Promouvoir la revente des manuels d’une promotion à l’autre. La FNAEL recommande d’indiquer si les livres et manuels sont :
- « recommandés »,
- « conseillés », ou
- « fortement recommandés »,
afin de mieux accompagner les étudiants qui doivent faire des choix difficiles[39].
- Communiquer clairement sur la logistique d’une accumulation formation-job étudiant pendant la période de recrutement. Si ce dispositif est systématique en Licence, il n’y a pas toujours de statut « régime spécial » pour les formations Master.
- Évoquer des aspects budgétaires lors des cours/réunions sur les stages :
- combien cela coûte par destination ;
- mise en relation avec les anciens étudiants pour les bons plans ;
- partage des informations sur les arnaques de logements, etc.
- Se renseigner sur les dispositifs gouvernementaux / CROUS / associatifs locaux et diffuser les informations.
- À noter : le nouveau dispositif concernant la santé mentale : https://monsoutienpsy.sante.gouv.fr/
- À travers le réseau FNAEL, il y a des « bibliothèques solidaires » qui facilitent la revente des livres d’une promotion à l’autre[40]. Si cette structure existe localement, communiquer les informations.
- Financer des sorties pédagogiques par les formations si possible :
- Prise en charge des titres de transport public pour les sorties ;
- Dans la mesure où les étudiants risquent de rater les repas à 1€, proposer des « sandwichs solidaires » lors des sorties pédagogiques, fournis par la formation ou éventuellement par enseignants pour ceux qui n’ont pas les moyens d’apporter leur pique-nique
Image 1 – Sandwichs solidaires
- Indiquer dès la rentrée des dépenses à prévoir pour la formation.
- Inscription TOEIC ;
- Frais de déplacement pour les sorties pédagogiques
- Diffuser des informations sensibles par le biais des plateformes, moodle ou e-campus.
- Le lien vers les épiceries solidaires locales (AGORAé) pour les étudiants.
- https://www.unicaen.fr/vie-de-campus/vie-etudiante/epiceries-solidaires-et-distributions-alimentaires/
- https://www.fage.org/innovation-sociale/solidarite-etudiante/agorae-fage/
- Afin de donner des pistes aux étudiants pour de distraire à peu de frais, ce qui contribue à leur équilibre personnel et à leur sociabilisation, annoncer/relayer des événements gratuits (conférences, cafés polyglottes, stammtisch, ciné-débats), et créer un espace interactif à ce sujet pour la promotion sur des plateformes, moodle ou e-campus.
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NOTES
[1] FEDERATION DES ASSOCIATIONS GENERALES ÉTUDIANTES (FAGE), « Baromètre de la Précarité Étudiante », p.3, 18/09/2023, [https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2023-09-18,barometre_de_la_precarite_etudiante_2023_fage.htm].
[2] Ibid., p. 3.
[3] Ibid., p. 3.
[4] Ibid., p. 5-7.
[5] Ibid., p. 3.
[6] Ibid., p. 3.
[7] Ibid., p. 5.
[8] Ibid., p. 3.
[9] Ibid., p. 9.
[10] CROUS, « Faire une demande pour bénéficier du repas à 1€ », s.d.,[https://epa.lescrous.fr/;
https://www.izly.fr/], consulté le 20 octobre 2023.
[11] FIGARO ÉTUDIANT, « Etudiant : voici le mode d’emploi pour bénéficier de repas à 1 euro », 12/10/2023, [https://etudiant.lefigaro.fr/vos-etudes/vie-etudiante/34578-repas/#:~:text=Les%20%C3%A9tudiants%20les%20plus%20modestes,est%20de%203%2C30%20euros].
[12] FAGE, op. cit., p. 11.
[13] Ibid., p. 10.
[14] Ibid., p. 12.
[15] G. BORDRY, O. ENGEL, A. GIRARDIN, D. KERVADEC et Ph. RAIMBAULT, Le réseau Cnous-Crous : points forts, points faibles et évolution possible du modèle », avril 2023, [https://www.education.gouv.fr/le-reseau-cnous-crous-points-forts-points-faibles-et-evolution-possible-du-modele-378868].
[16] FAGE, op. cit., p. 12.
[17] Ibid., p. 13.
[18] FEDERATION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DES ÉTUDIANTES LINGUISTES (FNAEL), « Coût de la rentrée des étudiants et étudiantes linguistes 2023 », 16/08/2023, [https://www.fnael.org/cout-de-la-rentree-des-etudiants-et-etudiantes-linguistes-2023/].
[19] Ibid., p. 26-27.
[20] Ibid., p. 4.
[21] Ibid., p. 4.
[22] Ibid., p. 19.
[23] Ibid., p. 10.
[24] Ibid., p. 23; 6.
[25] Ibid., p. 12.
[26] Ibid., p. 3.
[27] Ibid., p. 3.
[28] Ibid., p. 20.
[29] ANLEA, « Enquête Situation Économique Étudiants Master 1 et 2 », décembre 2023. Non-publiée.
[30] Ibid., s.p.
[31] Ibid., s.p.
[32] Ibid., s.p.
[33] Ibid., s.p.
[34] Ibid., s.p.
[35] Ibid., s.p.
[36] Ibid., s.p.
[37] FNAEL, Op. Cit., p. 16.
[38] ANLEA, Op. Cit., s.p.
[39] FNAEL, Op. Cit., p. 23.
[40] Ibid., p. 12.
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Bibliographie
ANLEA, « Enquête Situation Économique Étudiants Master 1 et 2 », décembre 2023. Non-publiée.
BORDRY, Guillaume, Olivier ENGEL, Annick GIRARDIN, Dominique KERVADEC et Philippe RAIMBAULT, Le réseau Cnous-Crous : points forts, points faibles et évolution possible du modèle », avril 2023, [www.education.gouv.fr, https://www.education.gouv.fr/le-reseau-cnous-crous-points-forts-points-faibles-et-evolution-possible-du-modele-378868].
CROUS, « Faire une demande pour bénéficier du repas à 1€ », s.d.,[https://epa.lescrous.fr/;
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FIGARO ÉTUDIANT, « Etudiant : voici le mode d’emploi pour bénéficier de repas à 1 euro », 12/10/2023, [https://etudiant.lefigaro.fr/vos-etudes/vie-etudiante/34578-repas/#:~:text=Les%20%C3%A9tudiants%20les%20plus%20modestes,est%20de%203%2C30%20euros].
Auteurs
Université de Caen Normandie, Équipe ERIBIA
Références
Pour citer cet article :
Amy WELLS - "Amy WELLS, La situation socio-économique des étudiants en 2023 : L’impact sur la réussite des études en LEA" RILEA | 2023, mis en ligne le 19/12/2023. URL : https://anlea.org/revues_rilea/amy-wells-la-situation-socio-economique-des-etudiants-en-2023-limpact-sur-la-reussite-des-etudes-en-lea/