Revues Revue RILEA #2 (2023) Sophie GONDOLLE, Le locavorisme brestois à l’épreuve du Covid 19

Résumé

La crise sanitaire du Covid 19 qui a impacté le monde entier a-t-elle modifié nos comportements de consommateurs en matière d’alimentation ? Contraints et forcés de réduire nos déplacements lors des trois confinements qui se sont succédé, comment de nouvelles règles de sociabilité nous ont soudain fait prendre des habitudes différentes en nous rapprochant un peu plus des commerçants de proximité. Pour autant, sommes-nous en capacité, en tant que consommateurs, de changer les choses durablement en donnant la priorité à un réseau de producteurs engagés dans le circuit-court et le souhaitons-nous vraiment ?  Cette étude revient sur la question du « manger local » en période de crise sanitaire à partir d’une enquête de terrain auprès de trois acteurs du circuit-court situés à Brest.

Mots-clés : Covid 19, crise sanitaire, commerce de proximité, circuit court, locavorisme, Brest

Abstract

Has the Covid-19 health crisis which hit the world changed consumer behavior regarding food consumption? As we were forced to reduce travel during the three successive lockdowns, how did new rules of sociability suddenly make us adopt different habits by purchasing more from local suppliers? But, as consumers, are we able to change things sustainably by prioritizing producer networks engaged in short distribution circuits and do we really want to? Based on a field survey with three short circuit suppliers located in Brest, this study raises the issue of ‘eating local’ during a health crisis.

Keywords: Covid-19, health crisis, local shops, short distribution circuit, locavorism, Brest

Texte

 

Introduction

La crise du Covid 19 nous a surpris en un premier temps, à tel point qu’elle a engendré une situation inédite à l’échelle planétaire, un monde à l’arrêt pour tous à l’instant T. Même si on l’a souvent dit, les meilleurs récits de science-fiction n’auraient pu imaginer une situation aussi extraordinaire. Nos modes de vie en ont été bouleversés, réduisant l’espace-temps. Les frontières se ferment et, en France, les déplacements sont réduits au début de la crise sanitaire à un périmètre d’un kilomètre, conduisant à une forme de repli où le chacun pour soi semble prévaloir notamment à l’échelle nationale dans la guerre des masques, dont la production s’avère vite insuffisante sur le territoire. Ainsi, la crise du Covid fait-elle ressurgir de vieux démons, l’ostracisme, la peur de l’autre et au-delà des émotions, creuse-t-elle encore l’écart entre les peuples dont certains déjà précarisés se retrouvent totalement démunis face à cette pandémie, comme l’Inde d’où nous proviennent des images qui dépassent notre entendement à tous les niveaux. Pourquoi la cohésion internationale ne vient-elle pas en aide aux plus démunis, pourquoi les membres de l’espace Schengen sont-ils dans l’incapacité de mettre en œuvre une politique européenne sanitaire commune ? Les chiffres d’une économie en déclin sont alarmistes et les discours officiels dépeignent une situation digne d’une guerre[1]. Le déficit de l’État devient exponentiel, certains secteurs économiques sont touchés de plein fouet par une crise sans précédent depuis les années de guerres mondiales. Les gestes barrières imposant une distanciation entre les individus conduisent à un sentiment d’étrangeté voire d’hostilité par rapport au monde qui nous entoure.

Les recommandations concernant l’alimentation nous amènent à nettoyer tout ce que nous touchons : emballages plastiques, fruits et légumes. Ingérer la nourriture éveille notre méfiance et implique une réflexion, un changement d’habitudes contraintes ou choisies en période de confinement. S’alimenter prend une importance majeure et devient une façon de se réapproprier sa propre vie à un moment où le risque de la perdre est accru. Retrouver un équilibre nutritionnel, en veillant aux apports nécessaires, joue désormais, dans ce contexte sanitaire, un rôle quasi thérapeutique, au sens préventif voire curatif du terme. Et quand faire les courses devient la seule action extérieure autorisée, l’unique occasion de sociabilité, on comprend dès lors pourquoi le commerce de proximité recouvre toute sa place et sa légitimité. Aller à la rencontre des commerçants de son quartier, échanger avec les petits producteurs locaux sur les places des marchés de « plein vent » (autorisés seulement à partir du second confinement[2]) se transforment désormais en des actes qui réinventent d’une certaine manière la solidarité.

La crise du Covid 19 a grippé nos modes de consommation habituels en les limitant aux dits produits essentiels et principalement à l’alimentaire, nous interrogeant là encore sur cette notion d’essentialité. Si la chaîne d’approvisionnement traditionnelle a été impactée par la pandémie du Covid 19, les employés des fermes, de l’industrie et des usines alimentaires se sont aussi confinés, limitant l’activité de ce secteur et obligeant tout un chacun à modifier ses habitudes, La crise sanitaire a-t-elle ainsi profité à des modes de consommation innovants tel que le circuit court et toutes les pratiques qui en ont découlé (paniers, drive fermier, plateforme en ligne référençant les sites bio près de chez soi) ? Et si dans cette période inédite nous avons changé nos comportements, pouvons-nous les transformer durablement en maintenant un rapport de proximité avec nos lieux d’approvisionnement ? Le temps retrouvé et accordé aux gestes du quotidien peut-il renouveler en profondeur notre façon d’être au monde, en réorganisant notre espace-temps et nos habitudes alimentaires ?

Le locavorisme

 Manger local a toujours existé. Et si les « circuits courts » ont majoritairement disparu dans les années 50, en raison principalement de la mécanisation de la chaîne alimentaire, ils n’en demeurent pas moins vivaces à notre époque. Une remise en cause de l’industrie alimentaire depuis une trentaine d’années a pointé les failles d’un système à grande échelle au travers notamment des scandales sanitaires. Le regain du circuit court se manifeste alors sous des formes diverses et variées : AMAP, marchés « de plein vent », potagers collectifs, plateformes internet de producteurs locaux[3]… Autant de lieux qui semblent garantir une plus grande transparence et une fiabilité accrue des produits alimentaires. Si ces modes d’approvisionnement alimentaire ne rentrent pas directement en concurrence avec les grandes et moyennes surfaces, en temps de Covid, ils se sont avérés très compétitifs.

En effet, dans une période où les déplacements sont limités, rétablir un lien qui donne du sens aux courses devient un acte vital. Les petits commerçants de quartier, lors des périodes de confinement, voient leur chiffre d’affaires augmenter comme en période de fêtes de fin d’année. Consommer à proximité de chez soi maintient alors, dans ce contexte précis, une sociabilité perdue. Manger local devient l’expression d’une liberté (toute relative) de se déplacer, de la volonté d’humaniser un tant soit peu ses journées. Aussi cette nouvelle tendance se maintiendra-t-elle à l’issue de la crise ? Pouvoir goûter de nouveau à une diversité plus grande des modes de consommation, ne constitue-t-il pas un risque de rejet du locavorisme au lendemain de la crise sanitaire ? Mais comment définir ce concept ?

Selon le site Locavore.fr qui se présente comme une plateforme en ligne permettant d’identifier un réseau, région par région, de producteurs locaux, « le locavorisme est un mouvement qui prône la consommation de nourriture produite dans un rayon restreint autour de son domicile[4] ». Aussi ce mouvement participe-t-il du respect de l’environnement et s’intègre-t-il, de facto, à l’économie du développement durable :

  • Acheter des produits aux producteurs locaux grâce aux circuits courts ;
  • Privilégier les produits frais et de saison ;
  • Limiter le gaspillage alimentaire ;
  • Favoriser le maintien des populations sur le territoire ;
  • Réduire la monoculture et maintenir la diversité.

Le locavorisme s’inscrit dans un acte engagé impliquant la chaîne alimentaire dans sa globalité, depuis l’acte même de production jusqu’à celui de la consommation, entraînant pour tous les acteurs une responsabilité sociale et environnementale. En limitant les intermédiaires, le locavorisme dans son organisation s’inscrit dans le processus du circuit court.

 Comment définir le circuit court ?

 Selon la définition du ministère de l’Agriculture, un circuit court est un mode de vente avec au maximum un intermédiaire entre le producteur et le consommateur : « Un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire[5] ». Il convient de noter le flou de cette définition quant à la notion d’intermédiaire qui peut tout autant être un supermarché, un commerçant, voire une plateforme de commande par internet… Dans la pratique, les circuits courts incluent une notion de proximité géographique, à l’intérieur d’une région. Cette notion de proximité est plus ou moins variable selon la nature du produit.  Plus traditionnellement, on associe le circuit court à de plus petites structures qui organisent des ventes en direct, par exemple, de la ferme, ou des marchés « de plein vent ». Dès les années 2000 naissent les Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne, les AMAP remises au goût du jour ces dernières années, notamment avec la crise du Covid qui verra fleurir aussi les commandes de paniers par internet, les magasins en direct de chez le producteur, les drives fermiers…

 Quel est le poids économique du circuit court ?

Selon Yuna Chiffoleau, « en 2010, les circuits courts représentaient un cinquième des exploitations, soit environ 100 000 fermes[6] ». Si la définition initiale du Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ne précise pas l’obligation pour ces fermes d’être plus respectueuses de l’environnement, ces exploitations sont petites, elles emploient plus de main-d’œuvre, elles cultivent et elles produisent davantage en respect des normes bio.

On estime qu’elles représentent aujourd’hui 15 à 20 % des achats alimentaires. Chaque crise emmène un peu plus de producteurs (et de consommateurs) vers ces circuits. Il y a un potentiel pour atteindre 30 %[7] !

Et si le prix constitue un frein, il ne l’a plus été en temps de pandémie, devenant même le garant d’une qualité de produits dans une période où les achats étaient extrêmement limités.

Quelles sont les motivations pour consommer via le circuit court ?

 Trois raisons majeures pour consommer via le circuit court ressortent de l’étude menée en 2017 par Philippon, Chiffoleau et Wallet :

La recherche d’une alimentation plus sûre (…) face à un monde de plus en plus inquiétant, l’hédonisme (ou la recherche) du goût, (…) enfin l’envie de donner un sens à sa consommation : soutien à l’agriculture locale et/ou prise en compte de préoccupations environnementales[8].

La représentation que les consommateurs se font du circuit court va dans le sens d’une production d’aliments sains et donc assimilés traditionnellement aux produits bio, éco-responsables et respectueux de l’environnement. En période de Covid, ces motivations se voient corroborées par l’envie d’être rassuré au travers de produits qui ont moins voyagé et ont donc été moins manipulés. On en connaît l’origine et nos achats locaux viennent directement en aide aux producteurs que l’on peut aisément identifier et rencontrer. Les produits achetés sur place sont frais, on les consomme au jour le jour, ils participent directement d’une alimentation plus saine, non transformée et sécurisante.

L’enquête de terrain

Afin de confronter la théorie au terrain, nous avons choisi de mener une enquête locale à Brest auprès de trois types de structures relevant du circuit court afin d’interroger les responsables sur leur activité et de vérifier l’impact de la crise sanitaire sur la fréquentation de leur commerce. Cette enquête a été réalisée entre janvier et juin 2022.

Nous avons rencontré les patrons d’un petit restaurant bio « Bar en Bol », dont la démarche relève du circuit court, quelques producteurs du marché bio « de plein vent » installé dans le quartier de Kerinou, interviewés à plusieurs reprises et, enfin, les gérants d’un supermarché du circuit court iCCi. Nous avons écarté le réseau Biocoop qui après la crise connaît une baisse notoire de son activité en raison du coût élevé de ses produits et d’un manque d’implication réelle dans le circuit court de proximité. Le réseau Biocoop relève du circuit court car il n’existe qu’un seul intermédiaire entre le producteur et le vendeur mais la provenance de certains produits peut encore impliquer beaucoup de kilomètres, même si le transport est optimisé par différents leviers tels que :

  • la massification des flux de livraison, avec les quatre plateformes logistiques réparties sur le territoire français
  • la mutualisation des « ramasses » fournisseurs et de la distribution des magasins
  • le recours aux liaisons rail-route
  • le développement du parc de camions munis d’un système froid fonctionnant au gaz (13 véhicules en 2018)[9].

Le réseau Biocoop est national et tous leurs produits ne proviennent pas d’un réseau de producteurs proches.

L’exemple d’un restaurateur bio et éco-responsable : « Bar en Bol »

Le restaurant « Bar en Bol » de Brest est un petit espace de restauration dite rapide, une SARL au capital de 4000 euros. Ce restaurant tenu par Alice Briatte et Alexandre Paraisot, deux Picards aujourd’hui installés sur la presqu’île de Crozon, propose de consommer sur place ou à emporter des plats cuisinés à partir de produits frais et de saison, cultivés dans leur propre jardin ou achetés à de petits producteurs locaux et bio. Le restaurant s’inscrit pleinement dans une économie du circuit court privilégiant une production locale et responsable pour la confection de ses plats. Ouvert en 2009, ce restaurant a vu sa clientèle augmenter régulièrement. Son mode de communication via les réseaux sociaux et la création d’un site internet permettent d’accroître la visibilité du restaurant, mais surtout de mettre en avant un certain nombre de producteurs qui fournissent le restaurant et avec lesquels les consommateurs peuvent entrer directement en relation pour se procurer les produits.

Le restaurant obtient l’autorisation de rester ouvert pendant la crise du Covid, ayant développé le concept de plats cuisinés à emporter. Mais ce choix limite fortement les aides de l’État dont pourrait bénéficier le jeune couple. Alice Briatte et Alexandre Paraisot estiment néanmoins avoir la chance de pouvoir rester en activité[10]. Le restaurant se transforme alors en un lieu de vente des produits frais des petits producteurs locaux avec lesquels ils travaillent. Des paniers de fruits et légumes de saison sont proposés aux clients. Les ventes progressent de manière très significative et de mars 2020 à mai 2021, plats à emporter, légumes et fruits frais se vendent aisément, il ne reste rien au terme de chaque journée qui passe.

De premières difficultés apparaissent une fois les restrictions de déplacement levées et le droit de circuler rétabli. Peu à peu, la fréquentation du lieu devient moindre et de plus en plus irrégulière. Aucune prévision n’est désormais envisageable. Cette situation met le restaurant à mal et la crise toute récente du Covid se double de celle de la situation géopolitique de l’Ukraine[11] qui a pour conséquence une augmentation des prix des produits vendus par les petits producteurs. Toutefois, pour les deux restaurateurs, il n’est pas question d’augmenter leurs prix aujourd’hui, au risque d’une perte nette du chiffre d’affaires.

Si la clientèle reste fidèle à l’enseigne créée il y a plus de 10 ans, le jeune couple a encore bien du mal à dégager une marge suffisante pour s’octroyer des salaires décents et il s’inquiète fortement de l’avenir tout proche qui représente un réel défi à relever, auquel ils espèrent pouvoir s’adapter sans changer leur mode de fonctionnement. S’ils peuvent encore améliorer leur communication, ils n’envisagent pas, par exemple, d’étendre leur réseau ni de s’impliquer davantage dans des actions ou évènements locaux, par manque de temps. Ils font partie du « circuit Héol » mais ils n’adhèrent pas encore à ses manifestations.

 Qu’est-ce que le « circuit Héol » ?

 L’Héol est une monnaie locale qui ne circule qu’autour du Pays de Brest, sur un territoire composé de six communautés de communes et d’une métropole, au sein d’un réseau de 180 structures partenaires : commerces, restaurants, paysans, artisans, associations, professions libérales… Depuis 2012, plus de 1800 adhérents particuliers changent des euros en Héol et les dépensent dans les commerces et entreprises du réseau. Ces entreprises réutilisent ensuite ces Héol auprès de leurs fournisseurs, pour payer une partie de leurs salaires ou ceux de leurs employés. Ce système crée un réseau entre toutes les structures prestataires, et l’Héol favorise les relations commerciales entre elles. Ce processus monétaire se veut être un moyen de soutenir l’emploi local, de développer les circuits courts en respectant l’environnement et de créer une dynamique collective impliquant habitants, entreprises, associations et collectivités locales du Pays de Brest. Le recours à la monnaie locale Héol s’inscrit dans une démarche citoyenne et innovante au service de la transition économique, écologique et sociale du territoire. Si ce système de monnaie est un levier original et innovant pour l’économie locale, l’implication demandée dépasse parfois les limites du possible en termes de temps et pour les gérants de « Bar en Bol », il est impossible de suivre les assemblées générales ou autres manifestations proposées par ce réseau.

 Le marché bio de Kerinou

Notre enquête nous a ensuite orientée vers les petits producteurs rencontrés au marché bio du quartier de Kerinou, à Brest. Créé il y a de cela 44 ans, en 1979, le marché « de plein vent » de Kerinou regroupe des producteurs et des agriculteurs pionniers de l’agriculture bio, tous adhérents de l’association CABA (Consommateurs et Agriculteurs Bio Associés) afin d’inciter à produire et à consommer autrement et de surcroît à des prix raisonnables. Aujourd’hui, le marché a lieu deux fois par semaine (le mardi soir et le samedi matin), on y dénombre une trentaine de producteurs et d’agriculteurs qui proposent une offre alimentaire 100% bio, locale et saisonnière. De petits cultivateurs ou éleveurs, conscients de la nécessité d’adopter un modèle de maraîchage ou d’élevage respectueux de l’environnement, et soucieux de produire de façon raisonnée et responsable, se retrouvent sur ce lieu, permettant aux consommateurs de participer d’une démarche engagée et quasi militante. Les clients du marché de Kerinou fréquentent l’endroit pour certains depuis la première heure et ils témoignent d’une certaine fierté à être eux aussi devenus les acteurs engagés d’une économie alors innovante, locale et éco-responsable. Les tracts s’y distribuent, des actions militantes diverses et des manifestations en tout genre en font un lieu de consom’action[12] et non plus de simple consommation.

Leur organisation associative (CABA) permet lors du premier confinement de mettre en place un système de drive, quelque 15 jours après l’annonce faite par le Président Macron, dès le début du mois d’avril 2020. Les clients ne cessent d’augmenter : fin avril, ce sont 280 commandes qui sont enregistrées.  Les bénévoles recrutés pour l’opération se pressent d’étal en étal pour rassembler les produits et les remettre directement dans les paniers ou les coffres des voitures, en échange de la remise d’un chèque et le tout dans des conditions sécurisées.

C’est hyper bien organisé et l’offre est étendue. Ce qui fait que je vais encore moins dans les grandes surfaces qu’avant, affirme Mélusine (une cliente). Le seul inconvénient, c’est qu’on n’a plus de lien avec les producteurs. Mais on espère les retrouver vite ![13]

Mais l’effort consenti par les producteurs s’avère peu rentable lors du premier confinement, c’est un tiers de leur chiffre d’affaires habituel qu’ils réalisent seulement. Ils ont bien hâte de voir leur marché de « plein vent » autorisé à se tenir de nouveau, comme ce sera le cas dès le mardi 28 avril, sur autorisation du préfet, à raison d’une fois par semaine et dans des conditions drastiques : pas plus de 70 personnes présentes à la fois sur le lieu, 5 à 10 étals maximum placés en quinconce et espacés les uns des autres de 6 à 8 mètres, un sens obligatoire de circulation, barrières, gel hydroalcoolique à l’entrée… Le drive est maintenu le samedi.  La situation sanitaire en pleine période de contamination du Covid 19 a eu un impact indéniable sur l’affluence accrue et le taux de fréquentation du marché de Kerinou, en période de confinement. Mais une fois la crise enrayée et les choses revenues à la normale, le vide se fait cruellement sentir et la solidarité, l’engagement des producteurs sont vite oubliés.

La boulangerie Canévet est une des rares grosses sociétés du marché, Société par Action Simplifiée (SAS), dont le chiffre d’affaires dépasse régulièrement 1,5 millions d’euros chaque année. Ce marchand de pain au levain naturel est installé à Saint Thégonnec depuis 1986, et il est présent sur le marché depuis le début. L’espoir de ce boulanger, au début de la crise sanitaire, de voir les consommateurs se rapprocher, de façon peut-être plus durable, d’une économie locale est vite retombé.

Le « Four de Babel » est une petite Entreprise Uniprofessionnelle à Responsabilité Limitée (EURL) au capital de 5 000 euros, créée en 2017, qui emploie une patronne et un salarié. Pendant la crise, les commandes ont été multipliées par deux, voire trois. Le « Four de Babel » vend alors non seulement sur place mais aussi directement au fournil et sur commande. Mais le choc est réel de voir peu à peu cette nouvelle clientèle disparaître au fur et à mesure d’une situation sanitaire qui s’améliore, au point même, au dire de cette patronne, de croiser des clients du quartier rencontrés pendant la crise se détourner et ne plus lui adresser la parole. Cette réaction exprime-t-elle un sentiment de culpabilité vécu de la part de ces nouveaux consommateurs de proximité se sentant incapables de maintenir un mode de fonctionnement en dépit, peut-être, de leur volonté ? L’invention de nouvelles solidarités semble semer un parfum d’amertume des deux côtés, au lendemain de la crise sanitaire.

Pour les producteurs de fruits et légumes rencontrés sur le marché, même constat. Si certaines personnes ont changé leurs habitudes pendant la crise du Covid, comme le remarque le gérant de la ferme Linglaz, installée à Loperhet, et présent depuis une dizaine d’années sur le marché de Kerinou, en fréquentant plus régulièrement son étal, ou en adhérant abondamment à la formule des paniers particulièrement prisés en cette période, il s’avère que seuls les plus jeunes clients rencontrés au moment de la crise ont continué de fréquenter le marché depuis. Selon ce producteur, cette attitude correspond à une lente évolution des pratiques vers le local, mais la concurrence avec la grande distribution reste difficile à vivre, quand certaines enseignes se tournent elles-mêmes vers ce type de vente, en jouant parfois aussi sur la propagande publicitaire et surtout sur la baisse des prix.

Anne-Lise Breger est productrice de fruits et légumes depuis 2017. Elle confectionne des confitures de la marque Hogan, ainsi que des sirops et des vinaigres parfumés. Le Covid lui a permis d’écouler beaucoup plus de produits qu’à l’habitude, via les paniers composés, vendus le samedi sur la place du marché devenu drive. Mais sitôt cette période passée, le volume de ses ventes a également très vite décliné.

 Le succès des paniers

 Le succès des paniers du type de ceux vendus par les AMAP a été fulgurant au moment de la crise sanitaire. La presse en parle, le journal régional le Télégramme titre le 2 avril 2020 : « Les Voisins Bio voient la demande exploser avec le confinement », et le 17 août 2020, « La graine du circuit court germe en Pays de Brest ».

« Les Voisins Bio[14] » est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), un autre modèle de Société Coopérative de Production (SCOP), au sein desquelles les salariés sont associés à la gestion de l’entreprise. « Les Voisins Bio » distribuent des paniers bio depuis plus de 15 ans. Lors des confinements, compte tenu de la forte demande d’achat, ils doivent se réorganiser dans l’urgence autour de points de vente qui s’improvisent grâce à la solidarité locale : des sortes de drive s’installent sur certaines places ou parkings de supermarchés avec l’autorisation des enseignes en question. Des particuliers acceptent de stocker à domicile pour faire eux-mêmes la distribution à des voisins ou connaissances. Cela leur permet de désengorger les dépôts restés ouverts. Sur ces lieux de dépôts, les règles sanitaires les obligent alors à donner rendez-vous aux clients, avec un planning, des horaires, selon un ordre alphabétique… La demande explose littéralement, surtout avec la fermeture des marchés de « plein vent » (on en compte plus de 10 000 en France) lors du tout premier confinement. La crainte des clients d’aller en grandes surfaces explique aussi cet engouement : « […] la peur de la contamination a rapidement conduit certains consommateurs à s’éloigner des grandes surfaces, pour se tourner vers le circuit court. Les agriculteurs ont alors vu la demande exploser : « On vendait entre 100 et 150 paniers en drive par semaine ! », rapporte Stéphanie Blanchard des « Jardins de Kerjean », à Guilers, soit le double de ce qui est vendu habituellement. Une tendance que confirme le Quimpérois Steven Pennec. Sur la plateforme internet « Mangeons-local.bzh », il recense les offres de vente directe en Bretagne : « D’une moyenne de 600 consultations par jour, nous sommes passés à 12 000 lors des premiers jours du confinement ! ». Pour Loïc André, du « Potager des embruns » à Guissény, « C’était fou ! En deux jours, nous avions vendu ce qui se vendait en une semaine[15] ».

On peut comprendre dès lors le sentiment de déception, au terme de la crise sanitaire, ressenti par tous ces petits producteurs qui n’avaient alors jamais été autant sollicités et se sont sentis ensuite très probablement oubliés. Comment peut-on expliquer le boom économique dont ils ont pu bénéficier ? Au-delà de ce que représentent leurs produits en tant que biens de consommation de première nécessité, quelles autres raisons stimulent alors les ventes exponentielles ? Ces facteurs pourraient-ils devenir un jour les enjeux d’un nouveau mode de consommation alimentaire plus pérenne ?

 Quel nouveau virage pour le circuit court ? L’exemple de l’enseigne iCCi.

 Pour répondre à cette question nous nous appuierons d’abord sur une enquête, datée de juin 2020, parue dans le journal Ouest France, et signée Xavier Bonnardel, « Manger au temps du coronavirus[16] ». Puis, à partir du modèle d’un supermarché de circuit court, installé à Brest depuis 2016, du nom d’iCCi[17] (les deux CC sont là pour indiquer le circuit court et les deux ii symbolisent le consommateur et le producteur), nous verrons comment cette structure s’inscrit dans un modèle économique solidaire, social et responsable.

L’article de presse révèle que les demandes ont été jusqu’à dix fois supérieures à l’offre, surtout pour les produits frais : fruits, légumes, viande, produits laitiers, volailles, œufs…  Selon le journaliste, trois principales motivations ont orienté les consommateurs vers le circuit court. Il fallait d’abord se rassurer car les produits en circuits courts étaient moins manipulés, ils voyageaient moins et l’on savait d’où ils venaient. La seconde motivation atteste d’une solidarité envers les producteurs locaux touchés par la fermeture des marchés. La troisième motivation relève du souci de rester en bonne santé avec des produits frais, diversifiés.

Cette enquête met en lumière de nouvelles initiatives en matière de circuit court en temps de Covid.

Après la fermeture des marchés et de la restauration, les producteurs en circuits courts se sont très vite réorganisés en proposant des livraisons en points retraits ou à domicile. On a aussi vu se créer des groupements d’achat informels entre voisins, amis, habitants d’un village, d’un quartier, d’un immeuble pour se mettre en relation avec des producteurs locaux. Il y a eu aussi un foisonnement de plateformes de commercialisation.[18]

Le développement d’une nouvelle clientèle a progressé notamment dans les classes moyennes, chez les ouvriers et les employés, très sensibles au patriotisme économique et à la défense de l’emploi local. Les jeunes aussi se sont beaucoup mobilisés.

Toutes ces initiatives en temps de crise participent d’un mode de consommation que des gérants d’un supermarché du circuit court, iCCi, ont cherché à mettre en place de façon plus pérenne à Brest depuis 2016. L’enseigne iCCi est une Société à Responsabilité Limitée (SARL) qui emploie douze salariés. Ronan Cloarec et Tristan Gourmelon en sont les gérants. Ronan Cloarec a travaillé au Brésil, en Pologne au siège de l’entreprise Edouard Leclerc. Cette expérience l’interroge alors sur le sens de la grande distribution. Les prix des marchandises sont au plus bas et en tant que petit-fils d’agriculteur et Breton, il cherche à revaloriser, au travers de son activité, les produits alimentaires. Il réalise que casser les prix dessert les petits producteurs. Il souhaite développer un commerce de proximité s’inscrivant dans une autre éthique, avec des prix plus justes pour le producteur et en respectant le portefeuille de chacun. La menace des enseignes de la grande distribution pèse lourd car elles savent s’adapter en permanence aux évolutions du marché, proposant elles aussi à des prix très attractifs des produits de proximité. Est-ce du greenwashing ? Pas forcément, il ne s’agit pas d’un effet illusoire car les prix proposés au plus bas par les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) sont compensés par le coût moyen des courses. Ils peuvent alors se permettre le développement du circuit court sur certains produits ciblés, à des prix qui défient toute concurrence.

Le démarrage de l’enseigne iCCi prend du temps, faire connaître le circuit court est difficile. La méfiance est grande, l’amalgame avec la notion de court-circuit n’aide pas. Les gens se méprennent et il faudra bien deux à trois ans avant de fidéliser une première clientèle. Le réseau avec les producteurs se crée quant à lui très facilement. Il n’existe pas de contrat qui rattacherait en permanence les producteurs au supermarché ; ils sont libres d’aller et de venir. La relation est basée sur un rapport de confiance et de transparence. La disposition et la présentation des produits dans les rayons permettent de personnaliser la relation avec le client en associant la photo ainsi que l’adresse du producteur. Les salariés les connaissent tous personnellement et ils peuvent aussi renseigner à leur sujet les clients curieux de ce qu’ils achètent. Le supermarché humanise la relation client-producteur-distributeur, même si cette technique de marketing est aussi connue et présente dans les autres GMS. Enfin, 80% de leurs produits ont parcouru moins d’une centaine de kilomètres avant leur mise en rayon.

Le principe des prix raccourcis repose sur des produits dits d’appel afin que tous les types de clients puissent trouver de quoi s’alimenter de façon variée et à bas coût. L’équipe d’iCCi tient à ses valeurs fortes en ne dégageant qu’une marge quasi nulle sur ces produits de base, tels que yaourts nature, farine, pâtes, riz… Les plats cuisinés représentent en revanche un coût supérieur à celui appliqué par les GMS pour ces mêmes produits : la barquette de 400 grammes de paëlla est à plus de 14 euros contre un coût moyen de 4 à 5 euros chez une enseigne comme Leclerc par exemple. Le profit que le supermarché réalise sur les produits est en moyenne de 20% pour les produits de l’épicerie et de 30% pour les fruits et légumes. La marge est supérieure à la moyenne d’un supermarché traditionnel et elle se justifie par la garantie proposée pour des produits de qualité. Le supermarché n’accepte aucune autre offre en dehors de l’alimentaire, malgré la forte demande de la part des fabricants de cosmétiques bio par exemple. Cette volonté de ne distribuer que des produits alimentaires participe aussi d’une éthique et de la responsabilité des gérants de ne pas pousser les clients à une consommation que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de non essentielle.

Le principe de fonctionnement du supermarché repose sur la collecte le matin des produits frais à l’aide d’un camion, dans un rayon de 30 à 50 kilomètres et de leur mise en vente dès l’après-midi. Travailler à flux tendus évite le gaspillage. La perte des produits est aussi évitée grâce au principe des « paniers incompris », mis en vente chaque jour avec les invendus périssables.

La crise sanitaire s’est avérée très utile, car contraints à des déplacements réduits, les clients de proximité qui ne s’étaient jamais rendus au supermarché se déplacent enfin. Ils ont le temps de flâner, de se promener à proximité de chez eux, et ils n’ont qu’une seule occasion de dépenser, les courses alimentaires vont donc prendre une importance inégalée. Le budget consacré à l’alimentation est exceptionnel, la cuisine devient presque le seul loisir autorisé avec le bricolage. Les ventes accélèrent et les stocks sont approvisionnés par des producteurs qui ne peuvent plus les écouler ailleurs que dans la distribution, après la fermeture des restaurants. De nouveaux clients fréquentent le supermarché, ceux qui habitent le quartier et ceux qui ont pour souci de mieux consommer. Mais le rétablissement de la circulation plus libre écarte en grande partie ces nouveaux clients qui retournent plutôt dans les GMS. Pendant 15 mois, iCCi a souffert aussi de travaux de voirie qui ont bloqué la circulation et ont conduit à une perte nette de 40% de la clientèle. La mairie n’a apporté aucun soutien. Le supermarché, comme d’autres commerçants, subit depuis une baisse de fréquentation traditionnelle en période d’élections. La crainte de voir les prix flamber à la suite de la guerre en Ukraine a aussi retenu les consommateurs. Le contexte n’est pas des plus favorables pour découvrir ou pérenniser un mode de consommation perçu comme plus onéreux, et mal connu.

Quelle stratégie mettre en œuvre pour mieux se faire connaître et développer le réseau des clients ? Si le bouche-à-oreilles marche bien, les deux gérants ont aussi eu recours à des stratégies marketing classiques : mise en place d’une carte de fidélité, lancement du click and collect et livraison à domicile de paniers composés à partir d’un montant de 50 à 60 euros. D’où le développement d’une stratégie de marketing digital. Le site est entièrement revu pour permettre d’acheter en ligne, travail confié à une agence de communication pour un montant de 15 000 euros, sur une durée d’un an. En interne, un salarié de l’entreprise travaille aussi au site et à la communication sur les réseaux sociaux, devenus incontournables. L’innovation pour iCCi repose donc à la fois sur le développement du drive, la livraison à domicile, le tout conditionné par une stratégie de communication digitale.

Participer à l’évènementiel local permet aussi de mieux se faire connaître, et développer un partenariat avec des clubs sportifs locaux ou des écoles constitue un des enjeux importants dans la construction d’un réseau fondé sur des valeurs plus indirectement liées à la consommation. L’équipe de l’enseigne iCCi aide à la réalisation d’évènements via des lots donnés pour des tombolas, des kermesses. Les gérants offrent régulièrement des produits frais à un restaurant solidaire appelé « La Cantoche ». Ils s’impliquent dans la vie sociale de leurs partenaires. Si le Covid ne leur a pas permis de développer comme ils le souhaitaient leurs projets solidaires, ils espèrent le faire progressivement. D’ores et déjà la réussite de certains de leurs fournisseurs, grâce à leur réseau de distribution, est très encourageante pour l’avenir. Ainsi une marque de chips à base de crêpes de blé noir fabriquée de façon artisanale a connu un réel succès et a pu augmenter son chiffre d’affaires, étendre ses locaux et créer des emplois. Les gérants d’iCCi ont pleinement le sentiment de participer à une économie locale au-delà même des portes de leur propre supermarché. Cette valeur humaine et solidaire leur a permis de donner du sens à ce qu’ils vivent chaque jour.

 Quel avenir pour le circuit court ?

En conclusion, si les produits du circuit court sont devenus plus visibles, plus pratiques et peut-être plus fiables en temps de crise sanitaire, permettant aux consommateurs de diversifier leur façon de faire les courses et leurs sources d’alimentation, le chemin reste long pour installer de nouvelles habitudes dans la durée. Le travail se fera en accord avec tous les acteurs du circuit court : producteurs, distributeurs et consommateurs. La tendance actuelle des jeunes agriculteurs en formation agricole, en particulier dans le maraîchage, est de proposer un projet orienté sur les circuits courts. Mais trouveront-ils un soutien suffisant pour produire dans des proportions raisonnables et non exponentielles ? Le tissu local et la volonté politique aideront-ils à favoriser une logistique de proximité, allant du champ à la table que ce soit celle du restaurateur, du particulier ou du collectif ?

Comment rendre viable le circuit court et lui permettre de trouver une place durable et légitime dans un processus humain, social, équitable pour tous ? Comment changer nos habitudes, être innovants en revenant à des valeurs simples qui aideraient à redonner du sens aux gestes du quotidien et pas seulement en période de crise sanitaire et de confinements forcés ? Si le temps du confinement nous a aidés à renouer avec un mode de vie plus équilibré réduisant la pollution, nous permettant de mieux nous alimenter tout en consommant moins de façon inutile, comment ne pas tourner trop vite une page qui pourrait rester inédite dans l’histoire de l’humanité ?

L’enquête « Manger au temps du coronavirus[19] » posait déjà la question de la pérennité de ces nouvelles habitudes et si ce travail montre aussi une meilleure fréquentation des circuits courts, cela pose un certain nombre de questions relatives au maintien de la demande en termes d’organisation d’un circuit alimentaire qui s’est retrouvé parfois dépassé par la forte demande au beau milieu de la crise sanitaire et la nécessité de mieux se faire connaître au-delà de cette crise. Faire comprendre les enjeux du circuit court pour en transmettre les valeurs, voilà quel est le défi à relever pour ces nouveaux acteurs d’une chaîne alimentaire raisonnée qui en temps de crise a donné sens à nos journées. Le travail sur nos représentations reste encore à construire et sans un réel effort politique, le citoyen sera-t-il en capacité de changer ses habitudes à son échelle ?

Pour ne citer qu’un témoignage recueilli à l’occasion d’une enquête menée par nos soins lors de cette crise sanitaire, une personne répond à la question de savoir si elle maintiendra ses habitudes de consommation en circuit court après la crise sanitaire :

Un peu malheureusement, mais pas complètement et j’essaie de réduire la part de courses en supermarché pour garder les habitudes (commerce local) prises pendant le confinement, mais pour des raisons pratiques (tout dans un même endroit) et financières (baisse du pouvoir d’achat, un seul salaire pour trois), le supermarché reste un peu incontournable.

De même que pour une productrice de fromages de chèvre fermiers du marché de Kerinou, le regret est de constater que la part du budget réservée à l’alimentaire est désormais moindre que celle consacrée aux loisirs et aux voyages. Les mentalités ont changé et seule la crise sanitaire aura permis, pendant un temps et pour certaines personnes, de renouer avec un territoire plus proche qui s’est avéré essentiel pour subvenir à nos besoins alimentaires.

Mais que doit-on retenir de cette crise sanitaire en matière de consommation alimentaire ?  Si la notion de circuit court participe d’un mouvement qui n’est plus à remettre en cause, à savoir le développement durable et tout ce qu’il implique, a-t-on réellement les moyens de changer nos habitudes de consommation ? Le consommateur est-il en mesure de devenir ce consom’acteur engagé et responsable ? Et à quel prix ? Dans un contexte de mondialisation, comment ne pas réfréner l’ouverture au monde, au goût des autres et de leur culture, tout en régulant l’effet d’exotisme déclenché par la propension à déverser des produits venus des quatre coins du monde et qui, décontextualisés, se juxtaposent dans les rayons des supermarchés en perdant de leur identité, de leurs couleurs et de leur saveur. Comment défendre des modes de consommation qui redonnent du sens aux territoires sans pour autant tomber dans l’esprit de clocher ?

Que reste-t-il de cette crise sanitaire qui sévit encore dans une proportion moindre et à l’heure où un conflit mondial majeur relance le débat sur nos sources d’approvisionnement en céréales, gaz et autres matières premières toujours essentielles à nos modes de production ? Saurons-nous donner du sens au territoire où nous vivons en recentrant nos besoins dans un rapport de proximité, de solidarité et d’innovation entre tous les acteurs de la chaîne alimentaire, sans pour autant nous fermer aux autres ?

NOTES

[1] La formule « Nous sommes en guerre » est répétée à six reprises par le Président Macron, lors de son allocution télévisée du 16 mars 2020. « Adresse aux Français », [https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/16/adresse-aux-francais-covid19].

[2] Les confinements ont eu lieu aux dates suivantes : du 17 mars au 11 mai 2020 (1 mois et 25 jours) ; du 30 octobre au 15 décembre 2020 (un mois et 15 jours) ; du 3 avril au 3 mai 2021 (28 jours).

[3] DIRECTION GENERALE DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA REPRESSION DES FRAUDES, « Produits alimentaires commercialisés en circuits courts », 09/09/2022, [https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/produits-alimentaires-commercialises-en-circuits-courts-0].

[4] LOCAVORE.FR, « Le locavorisme, c’est quoi ? », [https://locavor.fr/definition-locavore-locavorisme-et-circuit-court], plateforme réalisée à partir d’avril 2013.

[5] MINISTERE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETE INDUSTRIELLE ET NUMERIQUE, « Produits alimentaires commercialisés en circuits courts », 09/09/2022 [https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/produits-alimentaires-commercialises-en-circuits-courts-0].

[6] X. BONNARDEL, « Pourquoi les circuits courts ont si bien marché pendant la crise sanitaire ? », OuestFrance, 15/06/2020, [https://www.ouest-france.fr/economie/consommation/entretien-pourquoi-les-circuits-courts-ont-si-bien-marche-pendant-la-crise-sanitaire-6869637]. Entretien avec Y. Chiffoleau, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de Montpellier,

[7] Ibid.

[8] P. PHILIPPON, Y. CHIFFOLEAU et F. WALLET, Et si on mangeait local ? Ce que les circuits courts vont changer dans mon quotidien, éditions Quae, 2017.

[9] BIOCOOP, « Transport », [https://www.biocoop.fr/nos-engagements/nos-activites/transport], consulté le 13 avril 2022.

[10] S. GONDOLLE, entretien réalisé avec Alice Briatte et Alexandre Paraisot, 25/03/2022.

[11] L’invasion de l’Ukraine, sur ordre du président russe Vladimir Poutine, a lieu le 24 février 2022.

[12] « Le consom’acteur est un consommateur qui se réapproprie l’acte de consommation en faisant usage de son pouvoir d’achat pour protéger les valeurs et les causes qu’il défend. (…) (Il) rejoint un mouvement critique vis-à-vis des filières globalisées et de résistance contre l’emprise de l’industrie et de la grande distribution. (…) (Il) s’interroge sur les conséquences de ses achats sur l’environnement et plus généralement sur les effets néfastes que peut causer la (sur)consommation (épuisement des ressources naturelles, pollution, biodiversité menacée, etc…). (Il) choisit des produits peu transformés, locaux et respectueux de l’environnement. En cela, il vise une forme de sobriété en n’acquérant que ce dont il a réellement besoin. (…) », notice « Consom’acteur », in A. GORDON, M. BOUCHARD, V. OLIVIER, Dictionnaire d’Agroécologie, 10/12/2019, [https://dicoagroecologie.fr/dictionnaire/consomacteur/].

[13] G. COLIN, « EN IMAGES. En attendant de pouvoir rouvrir à Brest, le marché de Kerinou se mue en drive », Ouest-France, 25/04/2020, [https://www.ouest-france.fr/bretagne/brest-29200/en-images-en-attendant-de-pouvoir-rouvrir-brest-le-marche-de-kerinou-se-mue-en-drive-6817668].

[14] Les Voisins Bio, « Qui sommes-nous ? », [https://www.voisinsbio.fr/qui-sommes-nous-/], consulté le 15 avril 2022.

[15] M. PREVOST, « La graine du circuit court germe en Pays de Brest », Le Télégramme, 17/08/2020, [https://www.letelegramme.fr/finistere/brest/la-graine-du-circuit-court-germe-en-pays-de-brest-17-08-2020-12599380.php].

[16] X. BONNARDEL, op. cit.

[17] Site de l’enseigne iCCi : https://icci.bzh/

[18] X. BONNARDEL, op.cit.

[19] Y. CHIFFOLEAU, C. DARROT et G. MARECHAL (dir.), Manger au temps du coronavirus, « Enquête sur nos systèmes alimentaires », Rennes, Éditions Apogée, 2020.

 

Bibliographie

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COLIN, Gaëlle, « EN IMAGES. En attendant de pouvoir rouvrir à Brest, le marché de Kerinou se mue en drive », Ouest-France, 25/04/2020, [https://www.ouest-france.fr/bretagne/brest-29200/en-images-en-attendant-de-pouvoir-rouvrir-brest-le-marche-de-kerinou-se-mue-en-drive-6817668].

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Auteurs

Sophie GONDOLLE

Université de Bretagne Occidentale, Centre d’Étude des Correspondances et des Journaux Intimes.

sophie.gondolle @ univ-brest.fr

Références

Pour citer cet article :

Sophie GONDOLLE - "Sophie GONDOLLE, Le locavorisme brestois à l’épreuve du Covid 19" RILEA | 2023, mis en ligne le 18/12/2023. URL : https://anlea.org/revues_rilea/sophie-gondolle-le-locavorisme-brestois-a-lepreuve-du-covid-19/