Revues Revue RILEA #2 (2023) Marine RANOUIL et Nicolas DISSAUX (dir.), Il était une fois…Analyse juridique des contes de fées

Références

Marine RANOUIL et Nicolas DISSAUX (dir.), Il était une fois…Analyse juridique des contes de fées, Dalloz, Paris, 2018

Texte

A première vue, cet ouvrage, publié de surcroît chez Dalloz, éditeur notoire de publications juridiques, pourrait ne sembler destiné qu’à des juristes et, plus spécifiquement, aux éminents collègues universitaires des auteurs des différents chapitres qui composent cet ouvrage collectif au titre surprenant. Mais c’est bien ce titre, précisément, qui révèle l’ouverture d’esprit interdisciplinaire dont font preuve les auteurs en s’intéressant, tout spécialistes du droit qu’ils sont, à la littérature et, plus particulièrement, au genre littéraire que sont les contes de fée. L’entreprise est audacieuse et a parfois confronté les auteurs à l’incrédulité, voire aux sarcasmes, de leurs compagnons disciplinaires. Quelle analyse, en effet, le droit, qui établit les règles juridiques du fonctionnement d’une société, peut-il livrer sur les contes de fées, ces produits littéraires de l’imagination qui relèvent du merveilleux et du surnaturel ?

Les directeurs de cette publication, Marine Ranouil, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et Nicolas Dissaux, Professeur en droit privé et sciences criminelles à l’université de Lille et avocat, ont cependant bien fait de soulever cette interrogation, puisque vingt-neuf enseignants-chercheurs en droit ont souhaité contribuer à cet ouvrage pour tenter d’y répondre. Parmi eux, et c’est aussi ce qui motive l’inclusion de cette recension dans RILEA, la contribution d’Yves-Edouard Le Bos, Maître de conférences en droit privé au département LEA de la Sorbonne Nouvelle, qui analyse l’impact des relations entre Friedrich Karl von Savigny, juriste allemand co-fondateur de l’école historique du droit, et les frères Grimm qui furent un temps ses élèves.

L’ouvrage comporte 400 pages. Les contributions sont utilement précédées par une préface de Jean-Luc A. Chartier, avocat à la cour et lauréat de l’Académie française, et un avant-propos des directeurs de la publication. Elles sont complétées par un index des contes de fées cités, un index des termes juridiques, fort utile pour les non-spécialistes, et une table des illustrations.

Les contributions sont réparties en deux parties. Dans la première, un axe d’analyse transversal permet à chacun des dix-sept auteurs ainsi regroupés d’étudier une notion juridique à travers plusieurs contes de fée. Dans la seconde partie, chacun des douze contributeurs commente un conte spécifique à la manière d’une décision de justice.

La première partie de l’ouvrage permet ainsi d’analyser, à la lumière de très nombreux contes, des notions juridiques aussi variées que l’engagement et la promesse, le contrat et les conséquences de son inexécution, le statut de l’enfant et la protection de son intérêt, celui du mariage et de la famille, celui de l’animal, les liens entre pouvoir, arbitraire et libertés, le rôle et la place de la norme, ou encore la responsabilité sociétale des entreprises dans les contes de fées. Autant de notions dont l’évocation touche de près les lecteurs citoyens du XXIème siècle que nous sommes.

C’est ainsi que se dégagent les grandes lignes d’un rapprochement entre droit et contes de fée : comme le rappelle dans l’article introductif Rémy Cabrillac, Professeur à la faculté de droit et de science politique de Montpellier, l’intrigue du conte de fée, comme le motif du procès, trouvent leur source dans une injustice ou un conflit. L’issue du conflit, dans les deux cas « permet la consécration de la règle qui a favorisé l’apparition de la solution nouvelle[1] ». Par ailleurs et si l’on se souvient, comme le rappellent plusieurs auteurs, que les contes n’étaient, à l’origine, pas destinés aux seuls enfants, le but du conte, comme celui du procès, est d’ancrer un message visant à délimiter le Bien du Mal. Il en est ainsi, par exemple, de la question de l’inceste dans Peau d’Âne. Certes, la simple règle de droit aurait probablement condamné le Petit Poucet, responsable de la mort des sept filles de l’ogre pour sauver ses frères d’une mort certaine. Le conte de fées dispose d’une liberté dont ne dispose pas le droit et ouvre la voie de solutions alternatives au droit pour rendre la justice. Mais les deux catégories de textes, le conte et le texte de loi, se rejoignent en ce qu’ils laissent une place à l’interprétation.

La seconde partie de l’ouvrage, propose l’analyse juridique de onze contes (de Perrault : « Cendrillon », et sa suite « Le rat et les six lézards », « Le Chat botté », « Peau d’Âne », « La Belle au bois dormant », « Le petit chaperon rouge » ; de la Comtesse de Ségur : « Blondine » ; d’Andersen : « La Petite Sirène », « La petite fille aux allumettes »), et du texte « Micromegas » de Voltaire. S’y ajoute un texte fictif sur le procès d’un ours au Moyen-Âge et, pour conclure, une analyse de la question du travail et des travailleurs dans les contes des frères Grimm. Ces contributions invitent le lecteur à réfléchir non seulement à certains fonctionnements ou dysfonctionnements de la justice illustrés dans les contes de fées, mais encore à l’évolution de la limite entre ce qui est permis ou interdit, et jugé comme tel : auteure de l’analyse de La Belle au Bois Dormant, Julie Heinich rapporte qu’une mère d’élève anglaise s’est ainsi indignée de l’enseignement de la Belle au Bois Dormant dans la classe de son fils au prétexte que le Prince Charmant se serait rendu « coupable d’une agression sexuelle sur la princesse, en l’embrassant pendant son sommeil et donc sans son consentement[2] ».

Par son caractère interdisciplinaire (et l’on ne peut que saluer l’effort salutaire de décloisonnement disciplinaire ainsi mené à bien) et par la multiplicité des pistes de réflexion qu’il ouvre, cet ouvrage, dont seuls quelques articles, plus techniques, pourraient décourager les non juristes, est une lecture tout-à-fait recommandée pour quiconque s’intéresse non seulement à la littérature et au droit, mais encore, et surtout, aux grandes questions sociétales, aux relations humaines et au sort de l’Homme, tout simplement.

NOTES

[1] Rémy CABRILLAC, « Le conte de fées, porteur de mythes universels », p. 6.

[2] Julie HEINICH, « La Belle au bois dormant », p. 299.

 

Auteurs

Valérie PEYRONEL, Université Sorbonne Nouvelle, CREW EA 4399

valerie.peyronel @ sorbonne-nouvelle.fr

 

Références

Pour citer cet article :

Valérie PEYRONEL - "Marine RANOUIL et Nicolas DISSAUX (dir.), Il était une fois…Analyse juridique des contes de fées" RILEA | 2023, mis en ligne le 13/12/2023. URL : https://anlea.org/revues_rilea/marine-ranouil-et-nicolas-dissaux-dir-il-etait-une-foisanalyse-juridique-des-contes-de-fees/