Revues Revue RILEA #3 (2024) Leonardo DURAN, L’enseignement de la prononciation en classe de FLE : le jeu comme atout didactique

Résumé

Le présent article aborde la didactique de la prononciation en Français Langue Etrangère (FLE) et s’interroge sur la place que peut avoir le jeu dans une optique de correction phonétique. Une série d’activités ludiques proposées pour le contexte de classe a pour objectif de faire travailler la prononciation de façon réfléchie et d’aider à atteindre progressivement un seuil d’intelligibilité en langue cible. Nous estimons que le grand potentiel du jeu pour la classe de langue étrangère peut être exploité dans la mesure où son utilisation reste cohérente au sein du scénario didactique.

Motsclés : Didactique, Prononciation, Jeux sérieux, Phonétique, Voyelles

 Abstract

This paper focuses on teaching pronunciation of French as a Foreign Language (FLE) and on the potential benefits of games for corrective phonetics. We present a few games and playful exercises that can be used in a classroom setting. Their goal is to help learners work consciously on their pronunciation and progressively attain an intelligibility threshold in the target language. We argue that the potential of games in the foreign language classroom relies on the congruity of their use within a didactical framework.

Keywords: Teaching, Pronunciation, Serious games, Phonetics, Vowels

Texte

L’utilisation des jeux sur le terrain didactique peut être vue comme une source de motivation et d’intérêt chez les apprenants d’une langue étrangère (LE). Mais de quelle manière peut-on jouer pour mieux prononcer ? En nous appuyant sur un travail mené autour de la perception et la production des voyelles françaises /ə/ – /e/ – /ɛ/ chez dix apprenants hispanophones colombiens, une réflexion est développée autour de la didactique de la prononciation. Le jeu est un élément central dans cette réflexion et dans l’exploration des voies pour aborder la phonétique en classe de Français Langue Etrangère (FLE). Nous proposons quelques activités ludiques qui veulent répondre de manière concrète à des objectifs d’apprentissage de la prononciation. Ces propositions ont aussi l’intérêt de pouvoir être adaptées à d’autres besoins de correction et à d’autres publics d’apprenants. Pour les étudiants en LEA, l’intérêt de la phonétique se trouve dans l’idée de développer une communication orale intelligible, nécessaire pour interagir efficacement en milieu professionnel. Mais l’intérêt du jeu est aussi celui d’encourager le travail en équipe et la résolution de problèmes, des compétences tout aussi appréciables dans le monde de l’entreprise. Dans cet article, nous évoquerons dans un premier temps les apports de la phonétique expérimentale à la didactique du FLE et la relation fluctuante entre ces disciplines. Nous nous questionnerons ensuite sur la place du jeu en situation de classe, sur son potentiel didactique, et sur l’intérêt de sa mise en place en vue des objectifs précis.

 

Le jeu didactique et l’enseignement de la phonétique en FLE

L’apprentissage de la prononciation d’une langue étrangère en classe est traversé par un ensemble de variables spécifiques de ce contexte. On peut souligner l’interaction avec d’autres apprenants non natifs, la présence et l’accompagnement de l’enseignant et la mise en place d’un ensemble d’activités et d’exercices conçus pour développer les capacités verbo-motrices et communicatives des apprenants. Le positionnement des apprenants vis-à-vis de la prononciation varie aussi, certains voulant parvenir à se débrouiller sur le plan communicatif tandis que d’autres sont plutôt attirés par l’idée de se rapprocher le plus possible d’une prononciation dite native. Ces variations en matière d’objectifs font partie d’une hétérogénéité très présente au sein des groupes d’apprenants et rappellent l’intérêt qu’a la didactique des LE de maintenir une marge d’adaptabilité afin de répondre au mieux aux besoins de différents publics. La conjonction de ces éléments met en lumière une complexité inhérente aux contextes d’apprentissage/enseignement des langues en classe, ce qui ne doit pas empêcher de poser des bases suffisamment claires pour encadrer au mieux le travail à effectuer. Si le jeu offre des pistes d’exploration extrêmement riches pour aborder la phonétique autrement, il est primordial qu’il soit employé de manière réfléchie, avec un ancrage didactique défini et avec un intérêt pédagogique clair.

Dans ce qui suit, nous reviendrons sur la relation entre la phonétique et la didactique du FLE en évoquant quelques moments clés de leur histoire. Ensuite, nous nous interrogerons sur les rôles de l’enseignant, de l’apprenant par rapport à la phonétique en classe de FLE, et nous nous demanderons en quoi le jeu peut aider les apprenants à mieux prononcer.

 

La didactique du FLE et l’enseignement de la phonétique

Bien avant que la didactique de langues étrangères et la phonétique expérimentale se consolident comme des disciplines à part entière, l’enseignement traditionnel des langues en Europe a été essentiellement basé sur l’écrit. A côté de l’étude des classiques littéraires et des structures grammaticales, dont le but était la transmission d’une vaste culture générale, l’enseignement de l’oral n’avait lieu que lors des exercices de récitation et de rhétorique[1]. Ce modèle largement répandu de la méthode grammaire-traduction sera remis en question – et ultérieurement abandonné – entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, à une époque où le progrès scientifique, technique et intellectuel redéfinit le paysage socio-économique des pays européens. En France, ces changements se traduiront par une véritable révolution dans l’enseignement des langues qui va notamment accorder la priorité à l’oral[2].

Pour ce qui est de la phonétique, le recours à de nouveaux outils et appareils pour mesurer les sons de la parole a été capital, bien que leur emploi ait connu une certaine résistance chez ceux qui s’opposaient à la prise en compte de la dimension orale du langage[3]. On note déjà, dans la première moitié du XXe siècle, que l’enseignement de l’oral en classe de langues prend en compte les capacités perceptives et articulatoires des apprenants. Par ailleurs, si les descriptions des sons ont pu être affinées c’est en grande partie grâce au progrès technologique, plus concrètement à l’élaboration d’outils de restitution de la voix : « [n]otamment grâce aux progrès dans les transmissions pendant les différentes guerres du XXe siècle (de la Première guerre mondiale à celle du Viêt-Nam), les premiers laboratoires de langues font leur apparition et le magnétophone comme outil technologique de pointe se démocratise dans les écoles de langues »[4].

La phonétique sera un atout pédagogique majeur dans la deuxième moitié du XXe siècle lorsqu’elle se situe au cœur de la méthode Verbo-Tonale, destinée à la correction phonétique. La Verbo-Tonale se trouve elle-même au centre de la méthodologie S.G.A.V. où l’on conçoit la langue cible dans sa globalité en tenant compte des liens forts entre la perception,  la prosodie et l’information gestuelle qui accompagne les interactions orales[5]. En situation de classe, l’attention de l’apprenant est attirée vers les variations rythmico-mélodiques, les regards, les gestes, les déplacements, ce qui est soutenu par des ressources audio-visuelles. La fin de la méthodologie S.G.A.V. aura lieu avec l’avènement de l’Approche Communicative, issue de la convergence entre la psychologie socio-constructiviste[6] et des disciplines comme l’ethnographie de la communication ou la linguistique de l’énonciation[7]. Au niveau didactique, l’accent sera mis sur la compétence communicative des apprenants, sur leur capacité à comprendre et à se faire comprendre en situation de communication, la prononciation et la correction phonétique n’étant plus une priorité, ce qui mettra fin à une étroite collaboration entre les phonéticiens et les pédagogues[8]. Au début du XXIe siècle, la Perspective Actionnelle se place dans les prolongements de l’Approche Communicative, où l’apprenant est conçu comme un acteur social qui accomplit des tâches. Nous constatons actuellement un regain d’intérêt des apprenants, des enseignants, des linguistes et des didacticiens envers la didactique de la prononciation. La place marginale de la phonétique est remise en question et un paradoxe ayant lieu avec l’arrivée du communicatif est adressée : celui de vouloir développer chez l’apprenant une compétence communicative sans s’intéresser à lui faire travailler sa compétence phonétique[9].

 

Quelques spécificités de la prononciation en classe de LE

L’apprentissage de la prononciation comporte certaines spécificités qui engagent l’apprenant autrement par rapport à des contenus grammaticaux ou lexicaux. Faisons remarquer dans un premier temps l’intégration d’un ensemble d’habitudes perceptives et verbo-motrices[10]. Il est admis que la façon dont on perçoit les sons de la langue cible influe directement sur la façon dont ils seront prononcés. La question de la relation entre perception et production tend à placer cette dernière comme une conséquence de la première. Néanmoins, un ensemble de recherches relativement récentes remet en cause cette linéarité, et explique la corrélation perception-production à partir d’une série d’entrecroisements complexes[11]. Les implications de ce changement de perspective sont importantes sur le plan didactique, puisque les erreurs de prononciation ne sont plus systématiquement imputées aux difficultés de perception. Lors de l’interprétation des erreurs et de la démarche entamée pour les corriger, il sera donc préférable d’aborder les volets perception et production, tout en tenant compte du temps que nécessite le développement de capacités motrices et articulatoires nouvelles.

Une autre spécificité de la prononciation est représentée par l’un des défis majeurs de son apprentissage : celui d’allier un savoir conceptuel à un fonctionnement musculaire et articulatoire[12]. Le développement d’une compétence phonétique repose ainsi sur une adéquation suffisamment stable des dimensions linguistique et organique. A côté de la découverte d’un paysage sonore nouveau et de l’affinement des capacités perceptives, une habituation des organes de la parole est nécessaire, soit un développement des comportements verbo-moteurs inédits. Dans cette optique, l’intervention pédagogique ne peut pas se limiter à un travail uniquement perceptif, linguistique ou musculaire, mais devra faire face au défi de maintenir un équilibre entre tous ces éléments :

Pourquoi dire que la perception n’est pas seule suffisante ? Parce qu’il est nécessaire ensuite, après la première étape d’intégration auditive, de conditionner les organes moteurs et de les amener à produire un son, cette production passant par un déconditionnement et un reconditionnement des organes moteurs de la parole. Ne serait-ce pas là une des difficultés majeures de l’apprentissage de la prononciation qui allie un savoir conceptuel à un fonctionnement musculaire, articulatoire ? On ne peut à l’évidence reléguer la phonétique à un simple exercice physique musculaire, articulatoire. On voit bien en analysant le processus de la parole qu’il y a interaction étroite entre les processus physiologique et intellectuel.[13]

En situation de classe, il peut être avantageux de faire en sorte que les liens entre l’organique, le linguistique et le communicatif soient visibles pour l’apprenant. Par exemple, à partir des oppositions de phonèmes, on peut mettre en évidence la manière dont des confusions entre des paires de voyelles ou des consonnes impactent le sens de ce qui est dit et entendu. Les liens entre le sens et la prononciation sont illustrés par des distinctions ponctuelles où des erreurs de prononciation risquent d’empêcher l’intercompréhension. Des aspects phonémiques précis sont abordés en favorisant l’accès au sens. Autrement dit, l’action articulatoire est guidée par un travail conceptuel qui implique la reconstruction du sens aussi bien qu’une prise de conscience sur l’action des organes verbo-moteurs. Au fur et à mesure de sa construction, cette prise de conscience phonétique et phonologique rendra possible une reconnaissance des formes attendues, des erreurs produites, et du travail correctif nécessaire pour les dépasser[14]. Pour qu’un tel processus puisse avoir lieu, et que l’apprenant soit en mesure de prendre du recul par rapport à sa prononciation, la médiation de l’enseignant nous paraît essentielle.

Nous avons souligné deux types de relation comme étant centrales dans une perspective didactique de la prononciation en L2 : (i) la relation complexe entre la perception et la production ; (ii) la coordination des dimensions conceptuelle et physiologique. Pour la suite de cette réflexion on s’interrogera sur les rôles des acteurs présents et directement impliqués sur le terrain de la classe, à savoir les apprenants et les enseignants.

 

Les enseignants et les apprenants face à la prononciation en classe

Le rôle que joue l’enseignant dans la détermination d’objectifs, dans le choix d’outils à employer ainsi que dans l’identification de difficultés d’apprentissage reste primordial. Compte tenu des prolongements de la salle de classe, comme les plateformes numériques ou des parcours virtuels, le fait de compter sur un guide dans la figure de l’enseignant peut marquer des différences importantes en faveur d’un apprentissage adapté. Dans le cas de la prononciation, ses spécificités demandent un accompagnement « sur mesure », variable d’un apprenant à un autre, en matière par exemple du travail de correction à mettre en place. Or, des recherches récentes[15] font ressortir un sentiment de manque de légitimité chez les enseignants concernant des contenus phonétiques, lié à des lacunes dans leurs parcours de formation académique. Les cursus universitaires pour des futurs enseignants de LE sont un facteur important à prendre en compte puisque l’enseignement de la prononciation nécessite un ensemble de connaissances de base en phonétique et phonologie, sans oublier l’adaptation aux contextes didactiques. Il nous semble que l’un des risques de cette situation est qu’on finisse par suivre ce qui est proposé dans les manuels généralistes où les contenus phonétiques restent très souvent marginaux, peu adaptés à la réalité de la classe et détachés des contextes à enjeux communicatifs. A nos yeux, il est essentiel que l’enseignant maintienne une certaine marge de manœuvre pour explorer d’autres alternatives, pour pouvoir se positionner et remettre en question certains contenus ou exercices qu’il jugerait sans trop d’intérêt. Un certain bagage de connaissances en phonétique est ainsi très utile au moment de se positionner de manière critique et d’explorer des voies nouvelles pour aborder la phonétique en classe. Dans le cas des jeux, le défi pour l’enseignant sera de maintenir une cohérence entre la valeur ludique de l’activité et son intérêt pédagogique. Et surtout d’éviter de jouer pour « passer le temps ».

Tout en tenant compte de l’importance accordée au rôle de l’enseignant, l’apprenant demeure le principal responsable de son processus d’apprentissage. Idéalement, tout au long de ce dernier et à l’aide de la médiation de l’enseignant, l’apprenant sera à même de se positionner par rapport à sa propre prononciation, de déterminer ses objectifs et d’identifier ses zones d’amélioration. En situation de classe, cette affirmation progressive de l’apprenant en tant qu’utilisateur à part entière de sa langue cible s’appuie sur la disposition d’un scénario pédagogique favorable. Le recours au jeu peut sans doute trouver sa place au sein de celui-ci dans la mesure où il fait partie des outils mis à disposition pour engager activement l’apprenant. Pour nous, ce dernier peut tirer profit du recours au jeu dans la mesure où un équilibre est maintenu entre l’action – engagement actif et production régulière – et la réflexion autour du système linguistique mais aussi de ses propres acquis et objectifs visés.

L’intérêt autour d’une didactique de la prononciation, au moins dans le cas du FLE, se concrétise par une approche exploratoire d’une variété de techniques et de méthodes à employer en classe. En tant qu’atout didactique, le jeu est une piste formidable dans cette exploration.

 

Apprendre à prononcer en classe : le jeu comme atout didactique

Afin que l’emploi des jeux sur le terrain didactique soit favorable à l’apprentissage de la prononciation, il serait important de déterminer les habiletés concernées et les objectifs à atteindre. En tenant compte des éléments évoqués plus haut, on peut identifier trois objectifs : (i) l’acquisition de nouveaux contrôles perceptifs et articulatoires ; (ii) l’acquisition de nouveaux contrôles phonologiques ; (iii) l’identification d’aspects qui demandent une correction.

Par l’acquisition des nouveaux contrôles perceptifs et articulatoires, nous faisons référence à l’intégration de nouvelles habitudes qui sollicitent l’appareil phonatoire autrement que dans la langue maternelle. « En effet, il ne suffit pas de connaître le vocabulaire et la grammaire d’une langue si l’on veut atteindre un degré d’intelligibilité jugé acceptable par les natifs »[16]. Loin d’être un objectif en tant que tel, le travail sur une gymnastique articulatoire doit être compris dans une adéquation cohérente avec la dimension conceptuelle et linguistique de la L2[17].

L’acquisition de nouveaux contrôles phonologiques se situe sur le plan linguistique et se réfère à une compréhension d’oppositions de phonèmes à respecter afin d’éviter des interférences sur le plan communicatif. L’intégration du niveau phonologique peut en effet constituer un point d’appui avantageux pour la correction phonétique dans la mesure où il permet de renforcer un réseau d’associations entre la forme phonétique des voyelles et le sens qu’elles contribuent à véhiculer[18].

Comme les deux premiers objectifs, l’identification d’aspects à corriger par l’apprenant demande un certain temps, relatif selon l’individu. Mais à la différence des deux premiers, ce dernier objectif nécessite un positionnement critique et introspectif de la part de l’apprenant. Des procédés comme l’enregistrement et l’auto-écoute de ses propres productions peuvent être cruciaux pour identifier quelques erreurs à corriger[19]. Certes, il s’agit d’un objectif ambitieux, mais l’idée est de faire en sorte que l’apprenant acquière certaines clés et qu’il puisse, sur le long terme, continuer de progresser de façon autonome au-delà de l’espace de la classe.

Nous estimons que les activités ludiques peuvent être une aide importante pour répondre à ces objectifs dans la mesure où elles permettent : de s’appuyer sur la dynamique de groupe et de favoriser les productions entre pairs ; de maximiser les opportunités d’interaction en L2 lors de l’exécution de tâches variées ; d’explorer des sources de motivation et d’affirmation de l’apprenant en tant que locuteur en construction de la L2. L’engagement des apprenants dans le cadre d’un jeu implique leurs capacités langagières lors de la compréhension des consignes à suivre, des règles à respecter, des buts visés et des récompenses à obtenir, entre autres. Néanmoins, il nous semble que l’un des avantages majeurs de la mise en place de jeux est le fait qu’ils apportent un cadre d’interaction entre pairs. Bien que la prononciation soit un exercice essentiellement personnel et que son développement repose sur un engagement individuel, les activités en groupe placent l’apprenant dans une dynamique de co-construction de sens en même temps qu’elles maximisent les possibilités de production. Qui plus est, ces activités situent la prononciation dans la réalisation de tâches où sa portée communicative est mise en avant, ce qui n’est pas forcément le cas de certains exercices traditionnels[20]. On peut penser par exemple à des batteries d’exercices de répétition dont les contenus n’ont pas de lien avec des contextes d’énonciation.

 

L’intégration cohérente du jeu

Le recours aux jeux en classe de LE est une source de motivation par le dynamisme et la diversité de tâches que ces derniers peuvent apporter. Dans le cadre des études en LEA, le jeu est un outil à facettes variées qui contribue à développer des compétences langagières applicables à des buts relatifs au monde du travail (participer à une négociation ; passer un entretien d’embauche, etc.). Le jeu permet ainsi d’employer la langue comme un outil d’intercompréhension et de coopération dans la réalisation des tâches afin de répondre à des objectifs spécifiques du cadre professionnel où l’on se situe. Par le biais de la gamification, les activités faites en classe peuvent s’appuyer sur un système de récompenses et de compétition, à l’instar des structures qui peuvent en effet avoir lieu dans le monde de l’entreprise. Des activités ludiques basées, par exemple, sur des mises en situation qui reproduisent des cadres professionnels et qui intègrent les notions de récompenses et de compétition dans leur juste mesure, ont le potentiel d’être plus engageantes pour les apprenants. Ce faisant, l’apprentissage de la langue cible se fait en parallèle avec une préparation face à certains défis et situations qu’on peut être amenés à affronter. Dans cette optique, parmi les avantages dans l’emploi des jeux en classe de LE, la résolution des problèmes et le travail en équipe nous paraissent cruciaux, notamment dans la mesure où ce sont des compétences inestimables dans le milieu professionnel. Néanmoins, si le jeu peut apporter du dynamisme et de la motivation, il faut savoir contrôler son emploi.

En effet, afin que la conjonction entre les dimensions ludiques et langagières soit exploitée au mieux, l’utilisation du jeu doit avoir une place cohérente au sein de la démarche didactique. C’est-à-dire que la mise en œuvre des jeux doit répondre à des objectifs pédagogiques/communicatifs clairement déterminés, et que si la production des apprenants a une place dans le cadre du jeu, il faudrait que le jeu ait une place dans le cadre didactique. Autrement, on risque de concevoir le jeu comme une ressource sans objectif précis ou comme une activité pour passer le temps sans qu’aucune retombée pédagogique ne soit retenue.

 Il faudrait ainsi maintenir une claire distinction entre les buts du jeu d’un côté, et les objectifs didactiques de l’activité d’un autre. Dans le cas de la prononciation, il s’agira avant tout d’assurer un seuil d’intelligibilité à l’oral. On peut, par exemple, viser des objectifs autour de la perception des phonèmes ou des courbes intonatives, du repérage de différences phonémiques liées à des différences de sens, ou bien des productions sollicitées et semi-spontanées.

Le maintien d’une cohérence entre les éléments que nous venons de mentionner permet, nous semble-t-il, d’exploiter le potentiel du jeu sur les plans langagier et motivationnel. Inversement, un manque de cohérence et d’un ancrage clair au niveau des objectifs visés peut générer un certain désintérêt ou manque de motivation envers la prononciation et la langue cible en général. Dans le contexte spécifique de la classe de LE, le jeu est une ressource très favorable à la sollicitation des composantes conceptuelles et physiologiques de la prononciation évoquées plus haut. Autrement dit, on a dans le jeu une riche boîte à outils pour répondre aux défis de l’enseignement de la prononciation, sous condition que sa mise en œuvre soit cohérente et raisonnée.

Cette réflexion autour du jeu comme ressource pour la didactique de la prononciation naît d’un travail de recherche autour des erreurs de prononciation des apprenants de FLE. Les grandes lignes de ce travail, dont les résultats ont mené à une exploration de pistes correctives, sont exposées dans ce qui suit.

 

Approche expérimentale : la perception et production de voyelles cibles

Dans cette section sont présentés succinctement les éléments marquants d’une étude autour des erreurs des apprenants en perception et en production. Les résultats donneront lieu à une approche didactique adaptée.

 Observation en classe et définition d’une problématique

Dans le cadre d’une expérience d’enseignement de FLE à l’Alliance française de Bogotá (AfB), en Colombie, nous avons été confrontés à une absence notable de l’enseignement de la phonétique en classe. Cette absence se manifestait par le manque des espaces et des méthodes spécifiquement dédiées à la prononciation et à l’apprenant hispanophone. Si nous avons été témoins d’un intérêt pour la prononciation de la part des apprenants et des enseignants, le déroulement des cours était fortement contraint par une progression basée sur un découpage très précis des pages de manuels généralistes. Nous avons évoqué plus haut la place restreinte accordée à la (correction) phonétique dans ces ouvrages, ce qui se traduisait par un enseignement très marginal et épisodique de la prononciation.

Sur le terrain de la classe, nous avons pu constater des erreurs assez courantes chez les locuteurs hispanophones qui apprennent le français, comme la discrimination des contrastes phonémiques /v/ – /b/ ; /s/ – /z/ dont l’opposition n’est pas distinctive en espagnol, ou bien le contraste /y/ – /u/ où l’une des unités n’existe pas dans le système phonologique de l’espagnol. Or, ce sont des erreurs autour des voyelles françaises /ə/, /e/ et /ɛ/ qui ont retenu notre attention, car très récurrentes et remarquées chez des apprenants de niveaux différents. Dans un premier temps, nous avons considéré parmi nos hypothèses une possible influence du graphème « e », soit de la relation phonie-graphie, ou bien l’absence de voyelles centrales et à double timbre en espagnol. Ultérieurement, ces observations nous ont conduit à étudier le phénomène à partir de la corrélation perception-production et de l’exploration des pistes de remédiation adaptées à une situation de classe.

 

Expérimentation

L’étude a été effectuée en prenant le modèle SLM, The Speech Learning Model de J. Flege[21] comme cadre théorique de référence. Ce dernier tient compte de la mise en relation entre les systèmes phonologiques cible et maternel, mais aussi de la construction des espaces phonétiques individuels, au sein desquels des catégories phonétiques entrent en contact, interagissent et évoluent tout au long de l’acquisition et de l’apprentissage de nouvelles langues. Le modèle SLM nous a permis d’identifier des tendances générales propres de la mise en relation L1-L2, aussi bien que des variations individuelles.

Nous avons conduit un protocole expérimental auprès de 10 apprenants de l’AfB de niveau B2. Le niveau intermédiaire/avancé des apprenants a été choisi en tenant compte des principes du modèle SLM qui s’est dans premier temps orienté vers des locuteurs non natifs ayant une vaste expérience en L2. Un ensemble d’expériences de perception et de production des voyelles /ə/ – /e/ – /ɛ/ a été mis en place de manière individuelle avec chacun de nos participants. En perception, il s’est agi de tests d’identification et de discrimination, et de tests de prononciation sollicitée et semi-spontanée en production. Ces expériences se sont basées sur les rapports entre la perception et la production des apprenants d’un côté, et la perception et la production de francophones natifs d’un autre. Pour effectuer les tâches de perception, les productions d’une locutrice francophone native ont été enregistrées préalablement. Pour les productions des apprenants, celles-ci ont été enregistrées et entendues ultérieurement par cinq auditeurs francophones natifs qui ont joué le rôle de juges. Dans la réalisation des expériences, les écarts et les correspondances entre les apprenants et les natifs ont permis l’identification des erreurs et donné lieu à leur interprétation sous un angle didactique.

 

Résultats

Les résultats des tests montrent une instabilité dans le traitement des voyelles /ə/ – /e/ – /ɛ/ qui varie selon la voyelle, les apprenants et la tâche réalisée.

Perception

En perception, les rapports entre les productions enregistrées de la locutrice native et la perception des apprenants ont révélé une proximité entre les phonèmes /e/ et /ɛ/, tandis que /ə/ schwa a été correctement perçu. Le phonème /e/, avec une unité équivalente en espagnol, a pourtant été la voyelle la plus difficile à identifier comme cible isolée. On repère une alternance au niveau de la paire /e/- /ɛ/ dans les tests d’identification et de discrimination des cibles isolées. Mais c’est dans l’expérience de discrimination d’oppositions lexicales où le nombre plus haut d’erreur est obtenu. Nous remarquons ainsi plus de réponses incorrectes lorsque deux mots sont distingués par l’opposition /e/- /ɛ/. Cela semble indiquer que : (i) les différences phonétiques entre les deux voyelles n’ont pas été perçues systématiquement ; (ii) des différences sont perçues sur le plan phonétique mais les unités lexicales différentes sont perçues comme des homophones, étant donné qu’il s’agit d’un contexte sans enjeux communicatif.

La perception de /ə/ schwa ne présente pas de taux d’erreur élevé, ni dans l’identification de cibles isolées, ni dans son opposition à des unités segmentales/lexicales différentes.

Test 1Test 2Test 3
/ə/10%2%15%
/e/50%12.50%45%
/ɛ/30%17%42%

Tableau 1 – Pourcentage de réponses incorrectes dans chaque test de perception

Figure 1 – Pourcentage de réponses incorrectes dans chaque test de perception

A la lumière du modèle SLM, les réponses suggèrent une possible catégorisation de /ə/ facilitée par la dissimilarité phonétique entre cette voyelle de la L2 et les voyelles de la L1. A partir des hypothèses de Flege, on peut estimer que l’établissement d’une nouvelle catégorie phonétique pour /ə/ a eu lieu. En revanche, ce n’est pas le cas pour le phonème /ɛ/, dont la création d’une catégorie phonétique indépendante aurait été rendue difficile par sa proximité avec /e/, équivalent en espagnol.

Production

En production, les résultats obtenus montrent également une alternance entre les phonèmes /e/- /ɛ/ sans que des différences significatives soient remarquées entre les tâches de production sollicitée et semi-spontanée. Selon les réponses des juges, cette alternance a lieu lorsque les voyelles sont prononcées en tant que cibles isolées et dans des oppositions distinctives en contexte lexical.

Pour ce qui est de /ə/ schwa, on remarque une prononciation trop ouverte et antériorisée qui fait qu’un nombre important d’occurrences de /ə/ sont perçues comme des réalisations de /e/. Un point très important à souligner est le fait que ce phénomène ne concerne pas les cas de production sollicitée, puisque les occurrences de la voyelle atteignent à chaque fois les cibles perceptives des auditeurs natifs. La prononciation relativement instable de /ə/ se situe ainsi dans les productions semi-spontanées, ce qui suggère que la production correcte de /ə/ a pour condition une focalisation des apprenants sur la cible isolée. Dans le cadre des tâches discursives, la voyelle est déformée et c’est le phonème /e/ qui est perçu à sa place. Parmi les exemples repérés dans notre corpus, on trouve des occurrences de « je » prononcé « j’ai », de « le » prononcé « les », de « que » prononcé « quai », entre autres. Cette constatation montre que la distinction entre les voyelles /ə/ – /E/[22] n’est plus maintenue.

 /ə//e//ɛ/
Test 14%36%50%
Test 20%36%65%
Test 371%55%33%
Test 460%24%18%

 Tableau 2 – Occurrences non identifiées de /ə/ – /e/ – /ɛ/ en fonction du test de production

Figure 2 – Occurrences non identifiées de /ə/ – /e/ – /ɛ/ en fonction du test de production

Du point de vue didactique, l’objectif de renforcer la stabilité de /ə/ permettrait de mieux respecter la frontière entre le contraste /ə/ – /E/. Or, une adaptation didactique cohérente doit reposer sur un diagnostic juste. La production de /ə/ dans son ensemble ne doit pas faire l’objet d’une remédiation. On pourra se concentrer davantage sur les cadres de production discursive qui intègrent les niveaux phonologique, lexical et sémantique. Nous avons pu constater que les apprenants sont à même de prononcer correctement la voyelle cible /ə/, et que le défi sera de parvenir à transposer ces capacités attestées à l’exécution de tâches communicatives de type narratif et interactif. Il s’agira aussi de faire en sorte que les apprenants parviennent à maintenir une prononciation intelligible sans être focalisés uniquement sur des cibles vocaliques et lexicales isolées. Ces constatations sont possibles grâce à une vue d’ensemble, résultant de la mise en place de tests variés.

A partir de ces résultats, l’objectif sera de créer des scénarios didactiques favorables à la correction et à l’apprentissage de la prononciation en contexte de classe.

 

Approche didactique : activités ludiques pour la classe de FLE

 Les activités présentées dans cette section veulent apporter des pistes didactiques pour répondre aux difficultés montrées par les résultats de la section précédente. Cependant, pour ne pas nous restreindre aux cas spécifiques des phonèmes /ə/ – /e/ – /ɛ/ chez l’apprenant hispanophone, les propositions suivantes incluent d’autres phonèmes cibles concernant potentiellement d’autres publics. Ces propositions sont faites à titre d’exemple et se situent dans une approche exploratoire non prescriptive.

L’ensemble d’activités ludiques ci-après est présenté en deux stades et dans une progression non linéaire. Le premier comporte trois activités qui ciblent des éléments assez spécifiques de la langue cible, à savoir des oppositions phonémiques, l’action des articulateurs ou des variations intonatives. On se focalise sur des éléments précis, ce qui est favorable à l’entraînement dans le cas d’une correction, ou bien à la sensibilisation et à la découverte des spécificités phonétiques de la L2. Ensuite, le deuxième stade est favorable aux productions plus larges et en interaction où la fonction communicative de la prononciation est mise en avant. On propose des exercices de construction de récit, d’interaction semi-spontanée et de pratique théâtrale. Un retour sur ces activités, où l’apprenant n’est pas focalisé uniquement sur un aspect phonétique isolé, permet d’identifier si un travail ciblé de correction est nécessaire.

Sur l’ensemble, nos propositions veulent apporter un panel de tâches variées. L’accent est mis sur un engagement actif des apprenants à partir d’une dimension ludique.

 

1er stade : Entraînement focalisé

Les propositions du premier stade visent des aspects phonétiques assez précis sur les plans segmental et suprasegmental. Elles peuvent faire l’objet d’un entraînement en vue d’une correction ou d’une sensibilisation à la L2.

Visualisation des articulateurs

 But du jeu : Associer les images, les extraits vidéo et le son.

Objectif didactique : Identifier l’action des articulateurs et leur impact sur le sens.

Description : Dans cette activité l’attention de l’apprenant sera focalisée sur l’action des articulateurs. Dans le cas des voyelles, on s’appuiera plus facilement sur les degrés d’aperture, d’étirement et d’arrondissement des lèvres. Dans les cas des phonèmes /ə/ – /e/ – /ɛ/ on peut utiliser des images frontales comme dans ces illustrations :

Image 1 – vue frontale de l’articulation des voyelles /ə/ – /e/ – /ɛ/

 Pour s’entraîner, on pourra écouter des extraits audio où les voyelles cibles sont prononcées afin d’associer cet input sonore à l’input visuel des images. Ensuite, on peut se servir des extraits vidéo qui montrent l’action de l’appareil phonatoire, en l’occurrence les degrés d’aperture et d’arrondissement des lèvres du point de vue frontal. Pour apporter une dimension ludique, on pourra montrer deux extraits vidéo sans le son, ensuite deux (ou plusieurs) enregistrements audio sans l’image, et demander à l’apprenant quel extrait audio correspond à quelle vidéo. Pour donner un exemple, dans le cas des phonèmes /ə/ – /e/ – /ɛ/ on peut utiliser les éléments suivants :

  1. Il est dessus.
  2. Il est déçu.

 

  1. Je travaille.
  2. J’ai travaillé.
  3. Je travaillais.

 

  1. Je mange.
  2. J’ai mangé.
  3. Je mangeais.

 Le but du jeu sera de trouver les correspondances entre les stimuli visuel et auditif. Qu’est-ce qui permet de justifier les choix de réponse ?  L’objectif didactique sera de mettre en lumière la façon dont certains aspects articulatoires précis rendent possible la prononciation de sons spécifiques. Un point à souligner de cette activité est la prise de conscience sur l’engagement des organes phonatoires.

Sensibilisation perceptive à l’accentuation

 But du jeu : Repérer l’accentuation et l’associer à la langue qui correspond.

Objectif didactique :  Identifier l’accentuation syllabique de la langue cible.

Description : Cette activité vise une sensibilisation perceptive à la prosodie de la langue cible, plus exactement à l’accentuation. Pour ce faire, on fera des comparaisons entre quatre langues différentes : le français, l’espagnol, l’anglais et l’italien. A partir de mots assez « transparents » on mettra en avant le fait que la syllabe accentuée change selon la langue. Par exemple, si on compare le mot « attention » en français (attention) et en anglais (attention) on fera noter que la syllabe accentuée n’est pas la même. Pour donner un aspect ludique à l’activité, on pourra demander de répéter en utilisant uniquement la syllabe « ta ». Pour les syllabes accentuées, le « TA » sera plus fort (attention = ta – ta – TA). Ce procédé a l’avantage de se concentrer sur l’accentuation plutôt que sur les spécificités des voyelles et des consonnes. Si on veut intégrer une variante corporelle, on peut taper dans les mains à chaque fois qu’on répète une syllabe, en tapant un peu plus fort pour marquer la syllabe accentuée. Cela aidera à faire un découpage syllabique. Voici quelques exemples de mots à utiliser :

Fr.Ang.Esp.It.
DifficileDifficultDicilDificile
UniversiUniversityUniversidadUniversi
ImportantImportantImportanteImportante
TéléphoneTelephoneTefonoTelefono
CinémaCinemaCinemaCinema

En classe de FLE, on fera remarquer aux apprenants que l’accentuation porte sur la dernière syllabe. En donnant d’autres exemples d’énoncés courts, on fera noter que la dernière syllabe du groupe rythmique est accentuée. Idéalement, on aura fait ce type d’activité avec des apprenants débutants afin de mettre en lumière cette particularité saillante de la langue cible le plus tôt possible dans leur apprentissage. Finalement, on tient à souligner que le recours à d’autres langues – y compris la langue maternelle – peut être un atout très intéressant pour la comparaison, la réflexion et la formulation des hypothèses autour de la langue cible.

Oppositions de paires minimales

But du jeu : Identifier les paires différentes et identiques.

Objectif didactique : Discriminer des oppositions phonémiques et identifier des différences sémantiques.

Description : A partir d’une série de paires minimales, on demandera aux apprenants de repérer les différences à l’aide d’un input auditif. On peut commencer en faisant un simple jeu de discrimination de paires identiques (/y/ – /y/) ou différentes (/y/ – /u/) de phonèmes. Pour faire écouter ces paires, on peut utiliser la voix de l’enseignant ou bien un enregistrement audio. Des cartes de deux couleurs différentes peuvent être utilisées comme support pour indiquer les réponses. Par exemple, on lève une carte bleue quand on a entendu une paire identique, et une carte jaune s’il s’agit d’une paire différente. Sur le même procédé on passe ensuite aux paires de mots. Les oppositions lexicales indiquent déjà une altération de sens dans les mots différents. Pour aller plus loin, les mots se trouveront ensuite dans des énoncés, ce qui permettra de mettre en avant des différences sémantiques à partir de l’opposition de phonèmes. La progression va ainsi des phonèmes aux unités lexicales et finalement aux énoncés. Au dernier stade, après avoir eu les réponses des apprenants (et les résultats par points si un comptage des réponses correctes fait partie du jeu), on peut indiquer les risques de confusion dans les énoncés différenciés par une opposition de phonèmes.

Les éléments suivants sont proposés en exemple :

Phonèmes/ɛ̃/ – /ɑ̃/
Paire minimaleVin – Vent
EnoncésJ’adore le vin de Provence – J’adore le vent de Provence
Possible confusionOn peut se demander si la personne parle de la consommation d’un produit local et se vante de ses connaissances en œnologie, ou si elle exprime une affection particulière pour le Mistral.
Phonèmes/y/ – /u/
Paire minimaleDessus – Dessous
EnoncésLe prix de la table est marqué dessus – Le prix de la table est marqué dessous
Possible confusionAvant de procéder à l’achat de la table, on doit savoir si son prix est sur la partie supérieure ou si on doit s’agenouiller pour le trouver en bas.
Phonèmes/s/ – /z/
Paire minimaleDessert – Désert
EnoncésGeorges n’aime pas les desserts espagnols – Georges n’aime pas les déserts espagnols
Possible confusionOn peut se demander si Georges exprime une réticence par rapport à l’emplacement géographique des écosystèmes désertiques, ou s’il est question de ses préférences gourmandes.
Phonèmes/ə/ – /e/
Paire minimalele – les
EnoncésSylvie a rendu le livre à la bibliothèque – Sylvie a rendu les livres à la bibliothèque.
Possible confusionSi Sylvie a bien rendu le livre, on peut espérer qu’il s’agit d’un seul livre, et pas de plusieurs, pour éviter des amendes ou des pénalités.

 L’emploi des énoncés a l’avantage de faire travailler les oppositions phonémiques dans un contexte, favorisant ainsi l’accès au sens.    

 

2ème stade

Les propositions de ce stade placent la prononciation dans l’exécution des tâches communicatives. Dans la réalisation de ces tâches, le défi sera de maintenir l’intelligibilité de la prononciation.   

 Construction narrative en équipe

 But du jeu : Participer de la création d’une histoire à plusieurs à l’aide des images.

Objectif didactique : Maintenir une prononciation intelligible lors d’une production semi-spontanée sans préparation.

Description : L’activité suivante propose une construction de récit entre pairs. A l’aide d’un ensemble de cartes illustrées, la narration d’une histoire se déroule au fur et à mesure que les apprenants choisissent une carte pour raconter des événements et faire des descriptions. Pour le groupe, le défi sera de maintenir une narration cohérente du début à la fin. Pour chaque apprenant, le défi consiste à en assurer une production suffisamment intelligible pour le reste de la classe. A faire en groupe de deux ou à plusieurs, ce jeu n’a pas d’essence compétitive, son approche étant plutôt coopérative et de construction collective. Les cartes suivantes sont données à titre d’exemple :

Image 2 – support visuel pour la réalisation d’une tâche narrative en classe de langue étrangère

Plusieurs variantes sont possibles. Les cartes peuvent être par exemple mises à l’envers et chaque apprenant retourne une carte à son tour. L’image piochée sera l’élément central de la suite de la narration. Ou bien, on peut montrer toutes les cartes dès le départ pour pouvoir choisir librement. L’intérêt pour la phonétique sera d’analyser la prononciation dans le cadre d’une production semi-spontanée, où l’apprenant n’est pas entièrement focalisé sur la production correcte de cibles isolées, mais plutôt sur la réalisation d’une tâche narrative. Dans ce type d’exercices, l’enregistrement audio peut être une ressource très bénéfique pour faire remarquer des possibles erreurs à corriger ultérieurement.

Discussion autour d’une affiche de film ou de série

But du jeu : Deviner le type d’histoire et des personnages / Donner un avis et un score.

Objectif didactique :  Maintenir une prononciation intelligible dans le cadre d’une tâche interactive sans préparation.

Description : Comme pour l’activité précédente, on tente de délimiter un cadre pour que la production de l’apprenant soit relativement libre. L’un des objectifs majeurs est de faire en sorte que la prononciation soit abordée autrement que par des exercices de répétition isolés de tout cadre communicatif. Il s’agira de travailler avec un pair, à partir de la visualisation d’un document authentique permettant de susciter des réactions et de déclencher une discussion. Par exemple, on peut montrer aux apprenants des affiches de films ou de séries et leur demander d’imaginer de quoi il s’agit : où se déroule l’histoire, quel est le genre, quel type de relation ont les personnages? S’ils connaissent le film ou la série ils pourront même donner un score et exprimer leur accord ou désaccord avec leur interlocuteur – selon leur niveau en L2. Voici quelques exemples d’affiche à utiliser :

image 3[23]

Dans cette activité, la production des apprenants n’aura pas été préparée en amont, ce qui permet d’examiner leur prononciation lors de la réalisation d’une tâche semi-spontanée. Le côté ludique a lieu lorsque les apprenants imaginent et font des prédictions à partir des supports visuels. Pour apporter une dimension compétitive, une variante possible est d’attribuer des points selon que la description se rapproche plus du film/série en question.

Jeu de scène : la nouvelle

But du jeu : Développer une discussion à partir d’un élément déclencheur.

Objectif didactique :  Réagir en fonction de la nouvelle annoncée, maintenir l’échange et adapter son discours à la situation.

Description : On s’appuie sur la pratique théâtrale pour adapter cet exercice d’improvisation guidée à la classe de LE. On peut facilement créer l’espace d’une « aire de jeu » dans la salle où on disposera une table et deux chaises. Le déroulement de cette activité se fait en binômes et la situation est la suivante : quelqu’un donne rendez-vous à un.e ami.e pour lui annoncer une nouvelle. Vu l’importance de cette dernière, qui peut être négative ou positive, on a préféré l’annoncer personnellement plutôt que par message. A partir de l’annonce de la nouvelle et de la réaction de l’interlocuteur, les apprenants assurent librement la suite de la discussion. Le format du dialogue est le suivant :

« Apprenant A : Salut, tu sais pourquoi je t’ai fait venir ?

Apprenant B : Non, pourquoi ?

Apprenant A : J’ai quelque chose à t’annoncer : _______________

… »

 Voici quelques propositions pour la nouvelle :

  • J’ai brûlé ta nouvelle veste
  • J’ai vendu ton chat sur leboncoin
  • J’ai oublié de faire ma partie du travail
  • J’ai enfin eu mon permis
  • Je vais supprimer tous mes réseaux sociaux
  • Je vais faire le tour du monde à vélo et j’aurai besoin d’un acolyte
  • Je vais démissionner et ouvrir une pâtisserie

Dans cette activité on n’est pas tout à fait dans un exercice d’improvisation puisqu’on fournit un cadre et une situation définis. Les propositions de nouvelles à annoncer sont des outils pour encourager la créativité des apprenants qui aident aussi à définir le cadre de l’interaction. Mais les apprenants ont aussi une marge d’action qui leur permet d’être actifs dans la création du dialogue.

L’activité théâtrale offre énormément d’idées pour la classe de LE, encore faut-il les adapter au contexte didactique. Globalement, les avantages de cette pratique se trouvent dans la mise en situation, les différents types de production avec ou sans préparation préalable, l’engagement de la créativité et la coopération entre les apprenants, entre autres. Pour la prononciation en particulier, au-delà de la diction et l’intégration des aspects gestuels et corporels aux prises de parole, la pratique théâtrale demande une attention portée à la forme et au sens du contenu, soit au maintien d’une prononciation intelligible. Comme pour les activités précédentes de production semi-spontanée, l’enregistrement peut être une ressource très intéressante de prise de conscience, de recul et de réflexion sur sa prononciation.

 

Conclusion

Afin d’aider les apprenants à atteindre un seuil d’intelligibilité en LE, la didactique de la prononciation s’appuie sur un ensemble d’éléments phonétiques, linguistiques et communicatifs qui doivent être adaptés au contexte de classe. Le recours au jeu peut être un atout majeur dans ce processus d’adaptation, à condition que sa mise en œuvre ait un intérêt pédagogique clairement défini, et qu’elle soit cohérente avec des objectifs d’apprentissage. Outre leur nature dynamique et collective, les activités ludiques peuvent renforcer le développement des compétences langagières aussi que sociales, comme la résolution de problèmes et le travail en équipe. Néanmoins, si le jeu a parfaitement sa place en classe de LE, le maintien d’une distinction entre les buts du jeu et les objectifs d’apprentissage nous paraît essentiel.

En effet, il nous semble que le potentiel motivationnel du jeu réside davantage dans l’intérêt qu’il représente et dans les compétences qu’il permet de développer, plutôt que dans sa nature divertissante. Il sera de ce fait beaucoup plus intéressant pour les apprenants d’une LE, notamment ceux et celles ayant des objectifs professionnels précis, d’identifier clairement le pourquoi du jeu, en quoi le fait de participer activement à ce jeu les aide à progresser dans leur langue cible. C’est-à-dire que dans le cadre très spécifique des cours de langue, le côté divertissant du jeu ne suffit pas à lui tout seul à assurer la motivation des apprenants. Au contraire, sans une mise en place cohérente, le jeu risque d’être un élément démotivant.

Pour l’enseignement de la phonétique en classe, le jeu peut être un point d’appui majeur permettant d’aborder la prononciation de manière amusante et réfléchie. Quant aux étudiants en LEA qui visent des contextes professionnels et des objectifs précis, il sera important de rappeler le lien entre une prononciation intelligible et une communication orale efficace. A partir de là, les avantages du jeu peuvent se traduire par un développement exponentiel des compétences socio-langagières hautement appréciables au milieu professionnel.

NOTES

[1] Christian PUREN, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris : Nathan-CLE international, 1988.

[2] Jérémi SAUVAGE, Didactique et phonétique : un mariage contre-nature, Recherches en didactique des langues et des cultures 16(1), Les Cahiers de l’Acedle, 2019.

[3] Enrica GALAZZI, Phonétique / Université / Enseignement à la fin du XIXe siècle, Histoire Épistémologie Langage 17(1), 1995, p. 96.

[4] Jérémi SAUVAGE, Didactique et phonétique, op. cit.

[5] Michel BILLIERES, Le corps en phonétique corrective, Louvain-la-Neuve : Pédagogies en développement, 2002, 35-70.

[6] Lev VYGOTSKY, Thought and Language. Cambridge, MA, [1934] 1962.

[7] John AUSTIN, How to Do Things with Words, Oxford: Clarendon Press, 1962. John SEARLE, Speech Acts: An Essay in the Philosophy of Language, Cambridge, 1969. Dell HYMES, On Communicative Competence, London, 1972, p. 269-93.

[8] Jérémi SAUVAGE, Didactique et phonétique, op. cit.

[9] Elissa PUSTKA, Pas de communication sans prononciation, 2021, p. 170.

[10] Michel BILLIERES, Le corps en phonétique corrective, Louvain-la-Neuve, 2002, p. 35-70. Claire PILLOT-LOISEAU et al., Apports de la phonétique expérimentale à la didactique de la prononciation du français langue étrangère : Étape 1 : réflexion autour de l’établissement d’un corpus, 2010.

[11] Ocke-Schwen BOHN & James Emil FLEGE, The Revised Speech Learning Model (SLM-r), Cambridge: Cambridge University Press, 2021, p. 18.

[12] Elisabeth GUIMBRETIERE, Phonétique du français et enseignement : propositions pour une mise en forme didactique des savoirs phonétiques, Enseignement du français au Japon (23), 1995, 8-17, p. 11. Elisabeth GUIMBRETIERE, Phonétique et pratique de l’oral. Paris : Didier/Hatier, 2004.

[13] Elisabeth GUIMBRETIERE, Phonétique du français et enseignement, op. cit., p. 11.

[14] Damien CHABANAL, Le traitement de la variation en didactique du FLE aujourd’hui : le cas du schwa, Le langage et l’homme, 2020.

[15] Grégory MIRAS, Didactique de la prononciation en langues étrangères : de la correction à une médiation, Paris : Didier, 2021.

[16] Claire PILLOT-LOISEAU et al., Apports de la phonétique expérimentale à la didactique de la prononciation du français langue étrangère: Étape 1 : réflexion autour de l’établissement d’un corpus, 2010, p. 76.

[17] Jérémi SAUVAGE, Français parlé, variations et didactique de la phonétique dans l’enseignement-apprentissage du FLE. Réflexions et propositions, 2021, p. 93.

[18] Sylvain DETEY et al., Interphonologie et représentations orthographiques. Le cas des catégories /b/ et /v/ chez des apprenants japonais de Français Langue Etrangère, Revue Parole, 2005.

[19] Maite CORREA & Frédérique GRIM, Audio Recordings as a Self-Awareness Tool for Improving Second Language Pronunciation in the Phonetics and Phonology Classroom: Sample Activities, 2014. Emmanuelle RASSART, Concevoir un parcours d’auto-apprentissage guidé de la prononciation du FLE sur Moodle, Revue Synergie, Canada, 2018.

[20] Monique LEON, Exercices systématiques de prononciation française, Paris : Hachette et Larousse, 1969.

[21] James Emil FLEGE, Second Language Speech Learning Problems: Theory, Findings and Problems, Timonium, MD: York Press, 1995, p. 233-77.

[22] L’archiphonème /E/ regroupe les phonèmes /e/ et /ɛ/.

[23] Affiches Jack et la mécanique du cœur (Mathias Malzieu & Stéphane Berla, 2014) ; Dix pour cent (Dominique Besnehard & Fanny Herrero) ; Les choristes (Christophe Barratier, 2004).

Bibliographie

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Auteurs

Institut d’Enseignement des Langues (ILE – Institute of Language Education) de l’Université d’Edimbourg en Ecosse

leo.y.escribo05 @ gmail.com

Références

Pour citer cet article :

Leonardo DURAN - "Leonardo DURAN, L’enseignement de la prononciation en classe de FLE : le jeu comme atout didactique" RILEA | 2024, mis en ligne le 03/12/2024. URL : https://anlea.org/revues_rilea/leonardo-duran-lenseignement-de-la-prononciation-en-classe-de-fle-le-jeu-comme-atout-didactique/