Revues Revue RILEA #3 (2024) Introduction au numéro: Les serious games et le développement des compétences linguistiques, interculturelles et managériales : enjeux, cas d’application et perspectives

Texte

La réalisation de ce numéro naît de plusieurs constats, dans le domaine de l’enseignement, qu’il convient de rappeler. D’une part, le développement de la globalisation et de l’internationalisation des organisations invite plus que jamais à créer et développer des méthodes et outils innovants dans le domaine des langues et du management interculturel, ces compétences devenant de plus en plus centrales dans un tel contexte. D’autre part, les nouveaux publics étudiants imposent une réflexion accrue sur la pédagogie et les innovations pédagogiques permettant de créer de la motivation et un désir d’apprendre, chez l’apprenant et chez l’enseignant. Par ailleurs, le développement de l’approche par compétences (APC) dans toutes les strates de l’enseignement (de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur) incite pareillement à la réflexion autour de pédagogies actives qui puissent développer, chez l’élève et l’étudiant, la capacité à affronter les situations et contextes professionnels d’aujourd’hui et, surtout, de demain. Enfin, le développement des logiciels et simulations de mises en situation professionnelle constitue une opportunité d’apprentissage dont doivent se saisir les équipes pédagogiques. A toutes ces raisons qui ont motivé notre projet, il faut ajouter le souhait que nous avions de croiser la réflexion et l’expérience des enseignants de langues d’un côté et d’économie-gestion de l’autre, enseignants qui collaborent dans de nombreuses filières universitaires et plus particulièrement dans la filière LEA. Si les compétences professionnelles que les étudiants de la filière LEA doivent développer portent à la fois, pour le dire synthétiquement, sur le management et sur la maîtrise des langues étrangères, il est alors tout naturel de privilégier des approches pédagogiques qui permettent aux étudiants de mobiliser, conjointement ou simultanément, ces deux grands champs de compétences ; dès lors, poursuivre la réflexion sur les jeux sérieux semble indispensable !

Il s’agit bien, dans ce numéro, de poursuivre une réflexion, maintenant pluri-décennale, sur le jeu sérieux. Des chercheurs notaient déjà que « [l]es colloques, conférences et autres journées d’étude sur les serious games se multiplient plus que les pains »[1], signe tangible des potentialités inhérentes à l’application du jeu dans les processus de formation et concrétisation d’un intérêt qui allait et va croissant depuis la parution de l’ouvrage de Clark Abt Serious games[2]. En témoigne indirectement la définition même de la notion de « jeu sérieux » qui fait débat depuis une cinquantaine d’années, comme le rappellent les auteurs d’un Manuel d’observation des jeux sérieux[3]. Ces mêmes auteurs, sur ce point, ont décidé d’opter pour une définition simple de la notion que nous pourrons reprendre à notre compte : « Une application (informatisée ou non) qui associe des aspects sérieux (enseignement, apprentissage, communication, marketing, information) et des aspects ludiques »[4].

S’ouvrant par un entretien avec un chercheur qui a travaillé spécifiquement sur le domaine des jeux sérieux, Philippe Cohard, ce numéro de RILEA présente une série de contributions et témoignages qui traitent tous du jeu sérieux appliqué dans le domaine de l’enseignement supérieur, en filière LEA ou dans des filières universitaires suffisamment proches de LEA pour permettre, aux collègues qui seraient intéressés, une transposition immédiate des analyses et expériences présentées dans ce volume. Les contributions et témoignages que le lecteur découvrira ici mettent en relief la diversité des jeux appliqués à l’enseignement. La variabilité porte aussi bien sur les protocoles de jeu (jeux de rôle, jeux sans attribution de rôle), leur durée (le temps d’une exercice en classe, d’une immersion dans le jeu sur plusieurs jours ou bien sur la durée de tout un semestre), la nature des groupes d’étudiants impliqués (un groupe classe ; plusieurs groupes classes d’une même université ; des groupes classes de structures universitaires différentes, nationales ou internationales comme dans le cas d’une formation internationale dispensée sous forme de BIP, Blended Intensive Program).

Les contributions, regroupées dans la première partie du numéro, portent spécifiquement sur l’un ou l’autre des deux grands champs de compétences développées dans les formations LEA – les compétences managériales, les compétences linguistiques. Dans la première contribution proposée à la lecture, Olivier Rampnoux, Clément Alvarez et Julian Alvarez, après avoir rappelé comment les soft skills sont devenues un élément essentiel du monde du travail et du recrutement, montrent à quel point les jeux sérieux peuvent jouer un rôle clé dans l’évaluation et dans le développement de ces compétences. Plusieurs contributions portent en revanche sur l’enseignement des langues par le jeu. Si Leonardo Duran montre comment le jeu peut développer des compétences linguistiques spécifiques comme la prononciation dans une langue étrangère, Alice Fiorentino, Géraldine Lesparre et Sarah Mantegna analysent l’utilisation d’un jeu sérieux dans un contexte multilingue se fondant sur l’intercompréhension, une pratique qui se développe nettement ces dernières années dans le paysage universitaire européen. Xia Li, quant à elle, s’intéresse à l’utilisation du jeu sérieux pour l’apprentissage du chinois.

Dans la partie « Témoignages », les auteurs analysent des dispositifs ou pratiques pédagogiques qui mêlent enseignement des langues et enseignement du management. Patricia Fournier-Noël, Philippe Lépinard et Odile Solnik analysent l’impact que peut avoir un jeu de rôle fantastique dans le cadre d’un cours d’anglais de Langue des affaires, tandis que Fabrice De Poli présente une création de jeu d’entreprise expérimenté sur la durée d’un semestre dans deux cours d’italien de Langue et Communication LEA. Julien Guillaumond et Youssef Sangaré analysent la manière dont une équipe pédagogique, face aux contraintes la pandémie de Covid-19, a conçu un dispositif pédagogique fondé sur un jeu sérieux permettant de développer aussi bien les compétences managériales que linguistiques d’étudiants LEA ; dans leur sillage, Philippe Forges présente dans le détail le déroulement de ce jeu appliqué en LEA, montrant comment un jeu sérieux peut devenir l’un des éléments structurants d’une offre de formation avec des articulations pédagogiques entre 2ème et 3ème année de Licence LEA.

Les analyses et témoignages ici regroupés souligneront la pertinence majeure du jeu sérieux pour les formations de type LEA et nous espérons qu’ils puissent être un stimulant pour l’expérimentation pédagogique.

NOTES

[1] Emmanuel GUARDIOLA, et al., « Du jeu utile au jeu sérieux (serious game) : Le projet Jeu Serai ». Hermès, La Revue, 2012/1 (62), 2012: 85-91.  https://doi.org/10.4267/2042/48283

[2] Clark ABT, Serious games, New York: The Viking Press, 1970.

[3] E. HASSENFORDER, A. DRAY, W. DARE, Manuel d’observation des jeux sérieux, Montpellier : CIRAD; ComMod Association, 2020. DOI: 10.19182/agritrop/00113

[4] Ibid, p.11.

Auteurs

Université Savoie Mont Blanc

Fabrice.De-Poli @ univ-smb.fr

Références

Pour citer cet article :

- "Introduction au numéro: Les serious games et le développement des compétences linguistiques, interculturelles et managériales : enjeux, cas d’application et perspectives" RILEA | 2024, mis en ligne le 01/12/2024. URL : https://anlea.org/revues_rilea/introduction-au-numero-les-serious-games-et-le-developpement-des-competences-linguistiques-interculturelles-et-manageriales-enjeux-cas-dapplication-et-perspectives/