Revues Revue RILEA #1 (2022) Introduction à RILEA #1 (2022) – Les épices

Texte

Ressources commerciales et sources intarissables des rêves collectifs, les épices ont historiquement dessiné les traversées entre les continents, tracé les territoires potentiels de conquête, déterminant les grands jalons de l’activité maritime et terrestre de l’Europe; elles inspirent même un nouveau concept d’urbanisme, incarné dans la construction des villes comptoir, de Séville à la Nouvelle Espagne, de Flandre à La Corogne, de Fort Dauphin à Lorient, de l’Ile Bourbon à l’Ile-de-France. En ce sens, elles constituent une denrée fédératrice des ambitions d’empires et royaumes qui se tournaient le dos. Vouées à l’itinérance, par leur rareté autant que par leur légèreté, de nécessité nomades, soumises à l’hybridation ou à la naturalisation, elles suscitent l’attrait du nouveau, le goût de l’aventure, du luxe et des affaires. Mais elles feront également l’objet de dénonciations récurrentes des grandes disparités économiques provoquées par le système, moderne s’il en est, du monopole.

Si la singularité du produit attise les aspirations des têtes couronnées, des armateurs et négociants, elle n’a cessé d’encourager une littérature féconde et téméraire, peu craintive de l’erreur, de l’approximation, où des bêtes et les géants fabuleux côtoient ou gardent ces espèces végétales merveilleuses. Ce même imaginaire aura consigné le périple des graines et des herbes venues transformer nos rituels, notre pharmacopée, capables d’agrémenter notre lexique culinaire – notre lexique tout court – d’une note d’anticonformisme. Cardamome, piment, ají, cacao, wassabi, rejoindront au gré d’expéditions des plus coûteuses et risquées, le poivre, le gingembre, la menthe, la noix muscade, le clou de girofle, le safran, ou l’anis, pour le plaisir de notre activité sensorielle ou pour le malheur des zones de production.

Les épices se prêtent en ce sens merveilleusement bien à la création du tout premier numéro de la Revue Internationale des Langues Étrangères Appliquées, RILEA#1. En tant qu’objet interculturel, elles croisent plusieurs axes de réflexion signifiants pour la recherche en LEA : civilisationnel, linguistique, littéraire, historique, économique, juridique, entre autres.  Elles nous livrent aussi des histoires d’hommes et de femmes qui en font l’objet de leur commerce, le fruit de leur entreprise, ou même le produit de leur créativité quand il s’agit du travail d’artistes plasticiens.

 

Cette revue s’organise autour de deux volets, l’un scientifique, l’autre pragmatique correspondant à des natures de textes distincts, les premiers relevant de la forme académique de l’article universitaire, les seconds s’apparentant plus à des interviews, témoignages ou comptes-rendus d’expérience pédagogique et d’exposition, regroupés dans la catégorie « perspectives professionnelles ».

Sur le plan scientifique tout d’abord, les auteurs envisagent les origines à la fois historiques et économiques des épices, mais aussi leurs usages variés. En même temps qu’elles introduisent des goûts nouveaux, inconnus en Occident en particulier, elles sèment aussi dans le langage le parfum et la saveur de leur onomastique riche et exotique. Elles creusent le sillon de nouvelles routes commerciales, à l’origine d’un négoce fécond et riche, conduisant aussi au métissage des cultures et à leur évolution. Leur étrangeté, leur rareté vont alimenter ce quelque chose de l’attrait de l’inconnu et en faire une denrée précieuse qu’on essaye d’accommoder à toutes les sauces : alimentaire, thérapeutique voire même magique.

Ainsi, Pierrick Pourchasse dans « Rivalités européennes et commerce des épices, XVIe- XVIIIe siècles » revient sur le commerce des épices à l’époque moderne et nous montre comment elles représentent alors un enjeu économique fort, mettant en rivalité les grandes puissances européennes, en particulier le Portugal et les Provinces Unies.

Nicolas Diochon dans son étude « Épices et sortilèges. Contribution à une étude symbolique des épices dans les pratiques magiques à l’époque moderne (Aragon, Espagne – XVIIe-XVIIIe siècles) » aborde les vertus thérapeutiques des épices à une époque où la médecine colporte de nombreuses croyances populaires accrues par le caractère étranger de ces condiments qu’on associe alors à des remèdes.

Shih-Lung Lo dans un article intitulé « Du piment des « barbares » à la cuisine moderne : le poivre dans la littérature chinoise » évoque en langue chinoise la présence du poivre en Chine dès le Ve siècle de notre ère. S’il est une épice réservée aux plus riches, les échanges commerciaux avec d’autres pays d’Asie vont progressivement l’introduire dans la cuisine populaire et le répandre dans les habitudes gastronomiques jusqu’à notre époque.

Sophie Gondolle dans « Le pain d’épice, une histoire multiculturelle » dresse l’inventaire des études qui ont permis d’écrire l’histoire du pain d’épice, et revient sur les origines d’une spécialité devenue très commune et au demeurant identitaire participant du folklore de nombreuses cultures.

 

Sur le plan pragmatique ensuite, le volume regroupe deux entretiens menés auprès de professionnels qui ont développé leur activité à partir des épices, le récit d’une expérience pédagogique originale, deux comptes-rendus d’expositions, et une « brève juridique ».

Sophie Gondolle a interrogé Olivier Roellinger, chef cuisinier et homme d’affaires breton, qui s’est distingué dans le monde de la cuisine par son usage des épices. Ses origines malouines ont ouvert son appétit de l’ailleurs et son goût des saveurs lointaines.

Isabelle Mornat a rencontré Véronique Lazérat-Frachon, une référence dans la production de safran en France, pour l’interroger sur le versant international de ses activités.

Utiliser la cannelle en classe pour donner à réaliser des exercices concrets liés à la gestion de projet et au développement des affaires internationales, à partir d’une société hypothétique d’import-export de cannelle, Spice Girls & Co., est l’expérience originale et audacieuse menée par Amy Wells avec ses étudiants de l’université de Caen.

Ce volume intègre aussi une perspective évènementielle, en revenant sur le récit d’une exposition internationale itinérante regroupant des expressions artistiques inspirées dans leur totalité par une réflexion commune autour de ce singulier voyage des épices.
Des matériaux variés ont été mis au service d’une création multiple et diverse. Objets, textes, planches de carton ou de papier de riz… matières physiques ou dématérialisations virtuelles ont traversé l’Atlantique en 2013, des villes de Brest et Quimper à La Plata, de la salle des Abords (Faculté Victor-Segalen, Brest) au musée latino-américain d’Art contemporain de cette ville argentine, ancien comptoir du sel et du poivre servant à conserver la viande de ses immenses abattoirs. L’exposition qui s’est tenue à Brest et à La Plata nous est présentée respectivement par Maria Fátima Rodriguez, enseignante-chercheure de l’UBO, et Rodolfo Agüero, artiste plasticien et universitaire à la faculté des Beaux Arts de l’université argentine.

De façon moins poétique, mais tout aussi pragmatique, la création de la rubrique « brève juridique », initiée par Valérie Peyronel, nous permet d’évoquer le cadre contraint mais combien nécessaire du Contrôle de la qualité des épices vendues en France par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes.

 

Puisque cette revue est à destination de tous, enseignants-chercheurs, professionnels de l’entreprise et de l’administration, étudiants inscrits en formation LEA, les contributeurs se devaient de l’épicer aux goûts variés des lecteurs afin d’alimenter le champ de la réflexion, de la recherche et de l’expérience telles qu’elles peuvent exister dans notre formation qui n’a jamais aussi bien porté son nom : Langues Étrangères Appliquées.

Auteurs

Maria Fátima Rodriguez, Université de Bretagne Occidentale, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, maria-fatima.rodriguez@univ-brest.fr

Nathalie Narvaez, Université de Bretagne Occidentale, Héritages et Constructions dans le texte et l’image, Brest, nathalie.narvaez @ univ-brest.fr

Sophie Gondolle, Université de Bretagne Occidentale, Faculté Victor-Segalen, Centre d’étude des correspondances et des journaux intimes, Brest, Sophie.gondolle@univ-brest.fr

Références

Pour citer cet article :

Maria Fátima RODRIGUEZNathalie NARVAEZSophie GONDOLLE - "Introduction à RILEA #1 (2022) – Les épices" RILEA | 2022, mis en ligne le 23/05/2022. URL : https://anlea.org/revues_rilea/introduction-a-rilea-1-les-epices/