Résumé
Les jeux sérieux sont de plus en plus utilisés dans l’offre de formation universitaire. Afin de renforcer les matières d’application et l’anglais en deuxième et troisième années de Licence, nous avons mis en place un jeu sérieux à distance grâce à une des solutions Arkhé : ce jeu prenait le relais après le cours d’introduction en management des organisations autour d’une entreprise qui importe des tee-shirts et les imprime avant de les commercialiser en France. Ce témoignage fournit un bon exemple de la nature transdisciplinaire de l’apprentissage / l’enseignement à partir d’un jeu sérieux progressif. A partir d’un jeu sérieux, comment illustrer les cours théoriques en matières d’application et en langues ?
Mots-clés : jeux sérieux, matières d’application, langues appliquées, professionnalisation, interdisciplinarité
Abstract
Serious Games are increasingly part of the university curricula. To combine business modules with English language learning for second and third year undergraduates, we set up a remote Serious Game using one of the Arkhé solutions: this game followed an introductory course in organisational management and was based on a company that imports T-shirts and prints them before marketing them in France. This case study presents a good example of the cross-disciplinary nature of teaching, using a step-by-step Serious Game. How can a serious game be used to illustrate theoretical lessons in applied languages and business modules?
Keywords: Serious Game, business modules, applied languages, vocational course, interdisciplinarity
Texte
Après le cours magistral d’outils de gestion en L2, de marketing (semestre 3) et d’introduction au management des organisations (début du semestre 4), 2 à 3 enseignants (dont un professionnel) en matières d’application proposent en licence LEA 2ème année une initiation au Serious Game (Solution Arkhé[1]) durant six semaines totalement à distance afin de familiariser les étudiants à l’utilisation des outils numériques à distance et de mettre en pratique certaines compétences acquises au cours des semestres 1 à 3. Il s’agit d’illustrer les cours non seulement de management mais aussi de gestion et de marketing réalisés au semestre 3 non pas sous forme de travaux dirigés mais d’entraînements via un Serious Game. Le jeu peut être un lien direct avec le sujet d’apprentissage (par exemple, piloter une entreprise). Il est question non seulement de mettre en pratique ces cours théoriques en montrant leur transversalité mais aussi de développer et de valoriser des soft skills grâce à la mise en situation, à l’expérimentation et au travail collaboratif que permettent les Serious Game.
Cette évolution vers le jeu s’appuie sur les théories de Dewey dont la base était « Learning by doing ». Pour lui, l’apprentissage proposé par les universités était trop souvent éloigné de l’expérience. L’apprentissage serait efficace par l’expérience (donc par des mises en situation) et se situe en continuité avec les expériences passées des étudiants[2]. Le qualificatif de jeu de gestion à partir d’un Serious Game[3] évoque principalement les jeux de gestion d’entreprise au cours desquels chaque joueur (les étudiants) doit prendre des décisions pour faire prospérer une entreprise individuelle en fonction de nombreux paramètres sur l’approvisionnement, les stocks, les consommations intermédiaires, les canaux de distribution, les ventes. La recherche de solutions clés en main a permis alors de choisir la solution Arkhé adaptée au profil des étudiants de LEA.
La solution Arkhé permet de choisir un Serious Game et ses modalités : une gamme de jeux d’entreprise aux thématiques et niveaux différents est proposée. En fonction du nombre de joueurs, des objectifs pédagogiques et du calendrier, il est possible de choisir un jeu d’entreprise le plus adapté et le nombre de périodes à animer. Arkhé développe ainsi des produits clés en main qui nécessitent tout de même une maîtrise de l’interface en fonction du niveau de la formation et des pré-requis. Cette solution a été choisie car cela laisse beaucoup de flexibilité à l’animateur et aux méthodes pédagogiques. Il ne faut pas oublier que cet animateur (ici l’enseignant) joue un rôle prépondérant dans l’animation du Serious Game : c’est lui qui détermine le niveau d’exigence de la simulation, qui configure et rythme la session. Toutes les fonctionnalités sont développées de manière à pouvoir être paramétrées par l’animateur. In fine, la solution Arkhé met en exergue des objectifs précis : piloter une entreprise virtuelle pour vivre et comprendre le fonctionnement d’une entreprise et valider l’acquisition des compétences[4]. Ainsi, cette initiation doit permettre de développer le bon sens : les équipes sont en immersion dans le monde virtuel de l’entreprise et doivent rechercher les informations pertinentes, élaborer des scénarios et formuler des choix.
Il s’agit aussi d’acquérir de réelles compétences pour permettre aux étudiants de se constituer un portefeuille de compétences et de combiner l’acquisition de savoirs, de savoir-faire parfaitement adaptables au monde de l’entreprise au cours des futures expériences : des compétences liées au management d’une équipe, liées dans la maîtrise de variables mercatiques et des documents de gestion, liées à la communication aussi bien orale qu’écrite. La mutualisation des savoirs multidisciplinaires est aussi au rendez-vous par le biais d’outils de simulation de gestion au carrefour de nombreuses disciplines tout en nourrissant la nécessaire transversalité des enseignements.
Le jeu repose sur une situation professionnelle fictive : chaque équipe prend la direction d’une entreprise qui – à titre d’exemple – importe des tee-shirts et les imprime avant de les commercialiser en France. Si l’essentiel des produits proposés par les fournisseurs sont des produits 100% coton, ils proposent aussi un produit mi synthétique mi coton. Pour des raisons d’équité, tous les concurrents sont supposés avoir le même vécu, les résultats passés sont strictement identiques à ceux des équipes concurrentes. Dans un contexte de commerce équitable, les décisions commerciales doivent être prises en cohérence avec une stratégie, de la qualité des matières premières jusqu’aux canaux de distribution.
La réussite de l’implication des diverses équipes réside dans la maîtrise de l’interface qui nécessite, au départ, de l’investissement et le partage des missions (choix du produit, du prix, des fournisseurs, des canaux de distribution, des documents utiles à la bonne décision, l’étude des documents de gestion, etc.). La présentation globale de l’interface est proposée en présentiel par l’enseignant à l’ensemble de la promotion L2 en mettant en place du coaching à distance afin de montrer le fonctionnement du jeu sérieux et des documents disponibles aux équipes (étude de marché, de l’environnement, des documents comptables, étude concurrentielle, etc.). Ces séances de coaching jouent un rôle prépondérant : garantir un lien entre les équipes et l’enseignant-animateur, vérifier le développement de compétences notamment de leadership grâce aux jeux sérieux, mise en pratique des connaissances en gestion, en marketing et en communication, écoute, persuasion au sein de l’équipe, gestion du temps, recensement de la formalisation et hiérarchisation des problèmes, prise de recul par rapport aux solutions techniques. Il est clair que l’efficacité d’un jeu sérieux tient surtout aux principes d’animation et aux interactions avec les groupes.
Les équipes sont constituées autour de 4 à 5 étudiants très souvent issus de la même seconde langue vivante étudiée pour faciliter les échanges et les prises de décision. Chaque équipe se réunit à distance via Teams ou en présentiel avant toute prise de décision en respectant le calendrier défini initialement. Une première réunion entre équipes doit permettre de répartir les missions (choix du logo de l’entreprise, nomination d’un manager, responsabilités, planification, etc.). Un premier coaching permet de sensibiliser les étudiants sur les fonctionnalités du jeu et nos attentes en termes de résultats et de prises de décision. Il est important de respecter les diverses étapes du jeu (voir copie d’écran ci-dessous) : objectifs, décisions marketing, décisions d’approvisionnement, décisions liées aux ressources humaines, décisions liées à l’administration et finance. Une fois les diverses étapes passées, la clôture peut se faire. Tous les échanges ou interactions valorisent l’expérimentation, la créativité, le travail collaboratif des étudiants (à distance ou en présentiel), les interactions avec les enseignants (à distance). La performance des équipes s’évalue en fonction des résultats obtenus en termes de rentabilité, d’objectifs atteints, de profitabilité. La solution Arkhé propose alors un classement automatique des équipes en fonction de plusieurs domaines : gestion des stocks, ressources humaines, satisfaction client, trésorerie et enfin rentabilité.
Image 1 – copie d’écran de l’architecture du Serious game – Keeshirt
D’ailleurs, cette initiation en 2ème année doit permettre à chaque équipe de prendre deux décisions sachant qu’à l’issue de chaque décision, un coaching sous la responsabilité d’un enseignant ou d’un professionnel est organisé par équipe et à distance afin de vérifier les résultats et aiguiller davantage chaque équipe vers la meilleure prise de décision.
A chaque séance de coaching, les équipes en lien avec l’animateur doivent se poser plusieurs questions :
- Questions relatives au marché : quels sont les prix « normaux » ? Prix acceptables pour les clients ? Quel budget de publicité permet de faire connaître l’entreprise ? Quel est le niveau de satisfaction client ?
- Questions relatives à la concurrence : quel est le prix minimum et le prix maximum pratiqué par la concurrence pour chacun des produits ? Quel est le budget le plus fort, le plus faible de la concurrence ? Quelle est l’entreprise la plus rentable ?
A la fin du jeu, les équipes doivent déposer une vidéo (présentation de l’entreprise, des membres de l’équipe, du slogan, de la stratégie déployée et positionnement, synthèse rapide du jeu). La vidéo se doit d’être créative et communicative (durée maximale de 5 minutes). Ainsi, dans une grande partie des situations d’apprentissage, le Serious Game est réfléchi comme une activité de groupe qui favoriserait la cohésion d’équipe et encouragerait les échanges et les confrontations d’idées. Cette logique inclusive permet alors à certains étudiants – en manque de communication – de s’aventurer en étant actifs dans le jeu. D’ailleurs, les mécanismes du jeu retirent en effet certains freins psychologiques et combattent le mauvais stress en dédramatisant l’erreur ou la mauvaise prise de décision. Ce sont des observations données par les étudiants à l’issue de la fin du jeu en L2.
En 3ème année de licence LEA, le jeu se déroule cette fois-ci en anglais (durant sept semaines) en fixant toujours des objectifs stratégiques (continuité du jeu de 2ème année avec les mêmes équipes et la même entreprise). Tous les items (administration, production, marketing, finances, ressources humaines) sont poursuivis. Comme le Serious Game permet une certaine liberté dans son utilisation, il a été décidé, en complément du jeu (Business Game) sur la prise de décisions, que chaque équipe se concentre sur 4 missions :
- Recrutement: la croissance de l’entreprise doit inciter à recruter de nouveaux collaborateurs. L’un des postes à pourvoir est celui d’une personne qui jouera un rôle actif dans les ventes, mais qui sera également impliquée dans la définition de la stratégie ainsi que dans le développement d’un marketing fort. Cette personne devrait également être très familière avec le marketing numérique.
- Les étudiants doivent expliquer le titre de poste qui correspond le mieux au poste à pourvoir (description complète du poste, y compris le parcours, la formation et les compétences requises, rédaction de l’offre d’emploi que l’entreprise publiera à la fois sur des sites spécialisés et sur ses médias sociaux)
- Ce rapport doit être réalisé en anglais.
- Etude de marché: compte tenu de la forte concurrence sur le marché et des changements rapides dans les habitudes des consommateurs (comment ils achètent, ce qu’ils achètent) depuis le COVID, l’entreprise souhaite maintenant recueillir plus d’informations et de points de vue sur le marché.
- Chaque équipe doit définir des objectifs d’étude de marché (quelles informations l’entreprise a-t-elle absolument besoin ?), doit réaliser des recherches pour déterminer les différentes possibilités de trouver ces informations et enfin expliquer les différentes étapes de l’étude de marché.
- Ce rapport doit aussi être réalisé en anglais.
- Recherche de fournisseur: l’entreprise a la possibilité de se développer en investissant sur un marché étranger à la recherche de nouveaux clients.
- Chaque équipe doit réaliser des recherches pour déterminer quels pourraient être les 3 meilleurs fournisseurs en fonction du pays sélectionné. Elle doit établir une grille d’évaluation des 3 fournisseurs et utiliser une matrice SWOT pour faire une présentation finale.
- Ce document est demandé en français.
- Média-sociaux: L’utilisation des médias sociaux est l’un des meilleurs moyens de promouvoir une entreprise. Jusqu’à présent, l’entreprise n’a pas beaucoup investi dans ce domaine.
- Chaque équipe doit expliquer quels sont les principaux objectifs de l’investissement dans les médias sociaux et comment l’entreprise doit s’organiser pour être efficace et espérer un bon retour sur investissement. Elle doit rechercher les médias sociaux qui répondent le mieux aux objectifs.
- Il convient alors de créer un compte sur le média social retenu.
Des ressources complémentaires (documents stratégiques, vidéos, …) sont proposées aux équipes pour faciliter le travail de chaque mission. Les réponses aux missions complémentaires sont réalisées uniquement en anglais et déposées sur Moodle (la plateforme de cours en ligne et de dépôt de travaux) en respectant les échéances. Les diverses étapes du jeu sont rappelées aux étudiants en intégrant le calendrier du jeu.
Le bilan de ce jeu est largement positif : travail en équipe, illustrations des cours grâce à ce jeu, sensibilisation des étudiants au monde de l’entreprise, etc. Les étudiants se prennent au jeu. L’enseignant a un rôle d’animateur : pendant tout le jeu d’entreprise, l’animateur accompagne, conseille et évalue les joueurs. Son interface lui permet de provoquer des évènements, de clôturer les décisions et d’influer sur les paramètres du jeu en fonction de ses objectifs pédagogiques tout en gardant de la visibilité sur les décisions des joueurs en temps réel.
Il est intéressant de se rapprocher de certains travaux de recherche notamment sur le suivi des apprenants dans les jeux sérieux[5] ou encore sur l’usage d’un jeu sérieux dans l’enseignement de l’entrepreneuriat[6] avec le fonctionnement global d’une entreprise. Ces travaux permettent alors de discuter des résultats obtenus et de la possibilité d’adopter les jeux sérieux comme outil d’apprentissage.
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NOTES
[1] https://www.arkhe.com/nos-jeux/
[2] B. BOURASSA et al., Apprendre de son expérience, Sainte-Foy, Presses universitaires du Québec, 1999.
[3] J. ALVAREZ et al., Introduction au Serious Game, Paris, Questions théoriques, 2012.
[4] C. LOH, Y. SHENG et D. IFENTHALER, “Serious games analytics: Theoretical framework”, in C. LOH et al., (éds), Serious Games Analytics: Methodologies for Performance Measurement, Assessment, and Improvement, Cham, Springer, 2015, pp. 3-29.
[5] A. YESSAD, M. MURATET et T. CARRON, “Aider à l’analyse du comportement d’un apprenant dans les jeux sérieux”, Conférence EIAH, 2017, Strasbourg, hal-01515748.
[6] Y. CHARROUF, M. TAHA JANAN et S. HADJ, “Utilisation d’un Serious Game dans l’enseignement de l’Entrepreneuriat”, Educational Journal of the University of Patras, vol. 6(1), pp. 136-141.
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Bibliographie
ALVAREZ, Julian, Olivier RAMPNOUX et Damien DJAOUTI, Introduction au Serious Game, Paris, Questions théoriques, 2012.
BOURASSA, Bruno, Fernand SERRE et Denis ROSS, Apprendre de son expérience, Sainte-Foy, Presses universitaires du Québec, 1999.
CARAGUEL, Valérie et Karine GUIDERDONI-JOURDAIN, « Jeu sérieux à l’université : quels apports sur l’engagement des équipes ? », Carrefours de l’éducation, vol. 2(44), 2017, pp. 196-210, https://doi.org/10.3917/cdle.044.0196.
CHARROUF, Yousra, Mourad TAHA JANAN et Samira HADJ, “Utilisation d’un Serious Game dans l’enseignement de l’Entrepreneuriat”, Educational Journal of the University of Patras, vol. 6(1), pp. 136-141.
LOH, Christian Sebastian, Yanyan SHENG et Dirk IFENTHALER, “Serious games analytics: Theoretical framework”, in C. LOH et al., (éds), Serious Games Analytics: Methodologies for Performance Measurement, Assessment, and Improvement, Cham, Springer, 2015, pp. 3-29.
YESSAD, Amel, Mathieu MURATET et Thibault CARRON, “Aider à l’analyse du comportement d’un apprenant dans les jeux sérieux”, Conférence EIAH, 2017, Strasbourg, hal-01515748.
Références
Pour citer cet article :
Philippe FORGES - "Philippe FORGES, Témoignage: Utilisation des jeux sérieux en licence LEA" RILEA | 2024, mis en ligne le 19/12/2024. URL : https://anlea.org/revues_rilea/philippe-forges-temoignage-utilisation-des-jeux-serieux-en-licence-lea/