Revues Revue RILEA #4 (2025) Le projet GAMEland : l’apprentissage par le jeu sérieux

Résumé

Cet entretien réalisé le 25 février 2025 avec Madelyn Lines, co-coordinatrice du projet GAMEland (octobre 2022-septembre 2025) à Rennes 2 aux côtés de Christine Evain, évoque sur le développement du jeu sérieux comme outil d’apprentissage innovant et ludique au service des langues.

Mots-clés : jeux sérieux, GAMEland, pédagogie innovante, gamification

Abstract:

This interview conducted on February 25, 2025, with Madelyn Lines, co-coordinator of the GAMEland project (October 2022-September 2025) at Rennes 2 and Christine Evain, discusses the development of serious games as an innovative and fun learning tool for languages.

Keywords: serious games, GAMEland, innovative teaching methods, gamification

Texte

Dans cet entretien réalisé le 25 février 2025, Madelyn Lines, co-coordinatrice du projet GAMEland[1] (octobre 2022-septembre 2025) à Rennes 2 aux côtés de Christine Evain, revient sur le développement du jeu sérieux comme outil d’apprentissage innovant et ludique au service des langues.

Annette Lensing : Pourriez-vous tout d’abord nous dire dans quel contexte et par qui GAMEland a été créé ?

Madelyn Lines : GAMEland est un projet européen KA2 Erasmus + qui associe depuis octobre 2022 différentes universités européennes : l’université de Naples – Frédéric II, l’université Adam Mickiewicz de Poznań, l’université Rennes 2, l’université nationale polytechnique de Lviv, ainsi que l’université Mehmet Akif Ersoy, en Turquie, et la start-up italienne Smarted srl, en charge du développement des deux applications de GAMEland.

Annette Lensing : Avec quelle finalité le jeu a-t-il été créé?

Madelyn Lines : L’objectif de GAMEland était de proposer une gamification de l’éducation, c’est-à-dire d’appliquer la technologie et les jeux à l’éducation. Avec l’appui de la start-up Smarted, deux applications ont été développées : une application de scénario linguistique interactif[2] et une adaptation d’Alice au pays des merveilles sous forme d’escape game, intitulé « Alice in GAMELand[3] ».

Annette Lensing : Qui pilote le projet GAMEland à l’université Rennes 2 ?

Madelyn Lines : C’est Christine Evain qui est la porteuse du projet à Rennes 2. J’interviens de mon côté en tant que vacataire et ingénieur pédagogique, aux côtés de Marina Wasily, qui est doctorante. Certains étudiants du Master Didactique des langues ont aussi été impliqués dans la conception, la promotion et l’encadrement des scénarios linguistiques.

Annette Lensing : En quoi consistent les scénarios linguistiques développés par GAMEland ?

Madelyn Lines : Les scénarios linguistiques développés dans le cadre de GAMEland se présentent sous forme de cartes interactives. Ce sont des « talking maps » qui utilisent la technologie NFC disponible sur les smartphones. Selon un format bien défini, les universités partenaires ont respectivement présenté trois scénarios tirés de la vie réelle. Certains scénarios sont centrés sur le monde du travail et les métiers (comme ouvrier du bâtiment, coiffeur ou juge). […] D’autres thématisent l’université (le CV, la candidature Erasmus, le stage en entreprise, etc.) ou le travail en équipe.

Annette Lensing : Dans quelles langues le scénario existe-t-il actuellement ?

Madelyn Lines : Les scénarios ont d’abord été rédigés en anglais. Les universités du consortium ont ensuite traduit l’ensemble des scénarios dans leur langue : en ukrainien, en turc, en italien, en français et en polonais. Pour donner voix au scénario, les textes ont ensuite été traités par des logiciels utilisant l’intelligence artificielle.

Annette Lensing : Dans quelle phase du projet vous situez-vous actuellement ?

Madelyn Lines : Nous sommes actuellement dans la phase de mise en place et de promotion du projet. À l’université Rennes 2, les premiers tests à grande échelle ont été réalisés en octobre 2024, puis début 2025, en partenariat avec les membres de LIDILE[4]. Nous avons testé l’application auprès d’une quarantaine d’étudiants du Master Didactique des langues, pour évaluer les effets sur l’apprentissage du vocabulaire. Les tests durent environ 40 minutes et sont complétés par des questionnaires. Nous avons aussi mené des entretiens auprès des enseignants de langue.

Annette Lensing : Comment les scénarios doivent-ils être intégrés dans les séances de cours ?

Madelyn Lines : Le fonctionnement est très souple. Dans les entretiens que nous avons menés avec les enseignants, ce qui ressortait le plus, c’était l’idée de rituel de début de séance ou de cours. Il y a beaucoup de scénarios, mais si on les utilise à la suite les uns des autres, cela devient vite répétitif. L’objectif n’est pas de les enchaîner, mais d’en tester deux ou trois, en guise d’introduction ou de récapitulatif de séquence, et de les associer à des aspects travaillés lors de la séance, comme les points grammaticaux par exemple.

Annette Lensing : En quoi consiste l’application « Alice in GAMELand » ?

Madelyn Lines : L’application a été conçue pour pouvoir être facilement mise en place dans une salle de classe : il faut un bureau, un manuel, un jeu de société, un cahier, des posters, des tasses de thé, etc. En général, on trouve absolument tout ce dont on a besoin à l’université. Nous avons testé « Alice in GAMELand » dans l’espace des langues de Rennes 2 qui dispose d’une petite salle fermée dans laquelle on peut organiser l’escape game sans qu’il y ait de spoiler. Le « kit » se met en place en 20 minutes environ les premières fois, puis en 10 minutes une fois qu’on sait où vont les choses et quel est l’enchaînement. […] Après que les objets ont été tagués et mis en place, les étudiants doivent répondre à une suite d’énigmes pour réussir à sortir du terrier. Nous avons formé des groupes de 8 étudiants, parce qu’il faut que tout le monde puisse bien suivre. […] Il y a entre 8 ou 11 interactions au total, leur nombre varie en fonction des erreurs, sachant qu’il y a toujours une personne dans la salle pour guider les étudiants. C’est assez ludique. Les images ont été réalisées grâce à l’IA, c’est un univers très poétique. En termes de vocabulaire, c’est plus difficile que les scénarios. Les énigmes sont une création de Rennes 2. Elles ont été relues par le consortium, puis revues, retouchées et mises en application par Smarted. […]

Annette Lensing : Quels sont les retours d’expérience des étudiants qui ont pu tester « Alice in GAMELand » ? Et les scénarios linguistiques ?

Madelyn Lines : Cela a bien marché dans le sens où ils étaient contents de faire quelque chose en groupe. Les tests ont été faits relativement tôt dans l’année, en octobre, ce qui a permis de renforcer la cohésion en début de semestre. Le jeu les a aussi fait rire. Comme ce sont de futurs professeurs de langue, ils ont un bon niveau en anglais. Pour ceux qui sont dans le parcours bilangue, c’était un peu moins bénéfique, mais ça leur a permis de réfléchir à la façon dont ils pourraient mettre en place leur propre carte en cours. Linguistiquement, c’était plus compliqué pour les autres. Nous avons essayé de faire des équipes hétérogènes pour permettre l’entraide. Nous attendons les résultats définitifs des questionnaires, puisque c’est le partenaire italien qui gère la récolte de données. Il nous donnera les données une fois que tout le monde aura fait ses tests. […] Les scénarios étaient un peu plus scolaires, mais globalement, ça leur a bien plu. Quand nous avons interrogé les étudiants, nous avons vu une progression entre le début et la fin du travail sur les scénarios en termes de vocabulaire.

Annette Lensing : Est-ce que les jeux ont été intégrés dans les évaluations ?

Madelyn Lines : Les étudiants du Master Didactique des Langues qui ont choisi la mineure « GAMEland » ont une note de mineure qui est rattachée au projet. Si le projet se poursuivait, peut-être un cours spécifique à GAMEland pourrait-il être envisagé pour la création de cartes, mais ce n’est pas le cas pour le moment.

Annette Lensing : GAMEland se trouve actuellement dans sa dernière année. Est-ce qu’il y aura une suite au projet ?

Madelyn Lines : Oui, certains membres du consortium souhaiteraient prolonger le projet et développer une application de création de carte. L’objectif est de créer un modèle à destination des enseignants et futurs enseignants de langue pour qu’ils puissent eux-mêmes faire des cartes correspondant à leurs enseignements. L’accent serait mis sur l’orientation à l’apprentissage, par exemple du vocabulaire ou de la grammaire, avec une adaptation encore plus forte au monde du travail. Pour le moment, les scénarios développés correspondent globalement au niveau B1, sachant que la finalité principale est l’acquisition et le perfectionnement du vocabulaire de la Licence au Master. L’un des objectifs serait de les proposer du niveau A1 au niveau C2. Pour l’application « Alice in GAMELand », l’idée serait de créer des modèles qui permettraient de construire son propre escape game interactif et de l’adapter à différentes œuvres littéraires ou situations, y compris en dehors de l’université.

Annette Lensing : Est-ce que l’on pourrait envisager une ouverture des applications aux étudiants de la filière Langues Étrangères Appliquées ?

Madelyn Lines : Les membres du consortium aimeraient ouvrir l’application à des publics plus divers et voir ce qu’il est possible de faire au-delà de la didactique des langues. On pourrait tout à fait proposer ce type de scénario linguistique aux étudiants de LEA. Il faudrait aller voir les enseignants de LEA pour leur demander quels seraient leurs besoins dans leurs cours et voir comment cela pourrait être mis en place concrètement. Si on venait à développer cette application, on pourrait aussi envisager de proposer des formations intra-universitaires, puis inter ou extra-universitaires.

Annette Lensing : Quels sont les principaux défis techniques liés au développement de ces applications ?

Madelyn Lines : C’est vraiment très simple de taguer les NFC, de les coller, puis de les faire imprimer. Le défi à l’avenir sera de proposer à la fois une application plus poussée parce que plus adaptable, mais aussi plus facile à utiliser. L’un des problèmes que nous rencontrons actuellement, c’est que l’application est disponible uniquement sur Android. Les utilisateurs d’iPhone n’y ont pas accès. Dans les phases de tests, on a fait de petites équipes avec au moins un Android par équipe. C’est la première chose à régler si on relance un projet européen.

Annette Lensing : Est-ce que GAMEland est le premier projet de recherche co-porté par Rennes 2 sur la pédagogie par le jeu ou l’université a-t-elle déjà de l’expérience dans ce domaine ?

Madelyn Lines : Oui, plusieurs projets ont été mis en place à l’université Rennes 2 dans le domaine de la gamification et de la didactique par le jeu, parmi lesquels l’organisation d’un FLEckathon, c’est-à-dire la création de salles d’escape game pédagogiques pour le parcours FLE (Français Langue Étrangère) en 2022. Il y a eu jusqu’à présent quatre éditions, à raison d’une par an. Rennes 2 est par ailleurs associée au projet AIR qui utilise la réalité virtuelle: l’espace mis à disposition permet d’organiser des conférences générales ou de se retrouver en petits groupes de discussion de 2 à 4 personnes. Le monde virtuel RENNES2D est aujourd’hui pleinement fonctionnel, ouvert et accessible à toutes et à tous. Il s’agit d’une représentation en 2D des campus rennais, au sein de laquelle sont disponibles 359 ressources éducatives libres destinées prioritairement à l’apprentissage des langues. L’environnement propose également des formations ludiques en parasitologie, conçues pour renforcer l’engagement et faciliter la compréhension de contenus scientifiques complexes. On y trouve aussi un Mémorial vivant, dédié à la sensibilisation aux violences faites aux femmes en lien avec la Chaire du docteur Mukwegue : cet espace évolutif se construit à partir de témoignages, de récits et d’éléments interactifs favorisant la réflexion et la prévention. RENNES2D comprend enfin plusieurs parcours de découverte permettant d’explorer l’offre de formation des universités de Rennes et Rennes 2.

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NOTES

[1] Gamification Assets for Multisensorial Educational Tools in Language Learning using co-creation for addressing Needs and Desires of students. Voir le site du projet : https://gamelandproject.eu/ et la présentation sur le site de l’université Rennes 2 : https://international.univ-rennes2.fr/about/european-actions-and-projects/gameland

[2] Application GAMEland : https://play.google.com/store/apps/details?id=it.smarted.gameland

[3] Application Alice in GAMELand : https://play.google.com/store/apps/details?id=it.smarted.gamelandal

[4] Équipe de recherche en Linguistique Ingénierie et Didactique des Langues à Rennes 2.

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Entretien réalisé le 25 février 2025

Date de réception de l’article : 18 novembre 2025

Date d’acceptation de l’article :  1er décembre 2025

Mise en ligne : 4 décembre 2025

Auteurs

Annette LENSING

Équipe de Recherche sur les Littératures, les Imaginaires et les Sociétés – UR 4254, Université de Caen Normandie

Numéro Orcid : 0000-0001-7774-3310

annette.lensing @ unicaen.fr

Références

Pour citer cet article :

Annette LENSINGMadelyn LINES - "Le projet GAMEland : l’apprentissage par le jeu sérieux" RILEA | 2025, mis en ligne le 09/12/2025. URL : https://anlea.org/revues_rilea/le-projet-gameland-lapprentissage-par-le-jeu-serieux/