Revues Revue RILEA #3 (2024) John Rogers COMMONS, L’économie institutionnelle. Sa place dans l’économie politique

Références

John Rogers COMMONS, L’économie institutionnelle. Sa place dans l’économie politique. Vol. I et Vol. II, édition de Jean-Jacques Gislain et Bruno Théret, Paris : Classiques Garnier, 2024, 2020 p. ISBN : 978-2-406-15217-0

Texte

L’hétérodoxie en économie connaît une nouvelle actualité avec cet ouvrage en deux tomes, édité par Jean-Jacques Gislain et Bruno Théret et consacré au fondateur de l’institutionnalisme pragmatique économique : John R Commons. Les deux auteurs, économistes de référence de l’histoire de la pensée économique, s’appliquent à démontrer la place de l’œuvre de John Rogers Commons dans l’économie politique et de son cheminement intellectuel depuis l’école marginaliste des années 1870’s dont il fut proche. Leur démarche rencontre celle, plus pédagogique, du Grand Manuel d’Économie Politique[1] qui fait également état de la pensée de ces deux grands économistes que sont Thorstein Veblen et John R Commons. Tous deux, dès le début du XXe siècle, rompent avec le courant mainstream des néoclassiques en soulignant l’importance des institutions et de leur évolution dans le temps. Pour Th. Veblen, les institutions, à l’instar de l’approche sociologique, sont des manières de penser communes, voire  des façons communes d’être et d’agir. Pour J.R. Commons, ce sont les institutions qui régissent le fonctionnement des organisations actives (going concerns) à la fois politiques, économiques et culturelles, en y développant des « working rules » qui peuvent évoluer dans le temps. Jouant avec le droit et l’économie, il inspire sa réflexion des observations qu’il a faites du système juridique états-unien. Le tome I initie le lecteur à s’imprégner d’une pensée qui fut parfois qualifiée de confuse et radicale par les économistes orthodoxes.

Le premier volume, fort de ses 1016 pages, prend le temps d’expliquer la démarche des auteurs quant à la traduction soigneuse et pointilleuse de l’œuvre de J.R. Commons qu’ils ont conduite, et, de l’intérêt de celle-ci pour une autre manière de faire de l’économie aujourd’hui. J.R.Commons qualifie d’ailleurs la conception de son livre comme celle d’un manuel de sciences naturelles. Si, dans ce premier tome, le lecteur peut s’enrichir de la réflexion de J.R.Commons sur l’efficacité et la rareté, c’est le chapitre IX-Futurité qui fait le lien entre le tome I et le tome II qui rencontre l’actualité de la « négociabilité de la dette », entre autres. J.R.Commons écrit (p.854) : « l’économie politique est devenue non pas une science de la liberté individuelle, mais une science de la création, de la négociabilité (negociability), de la libération et de la rareté de la dette ». Son approche de la valeur raisonnable repose sur sa propre lecture critique de l’œuvre de Veblen et sur l’effet d’éviction des droits naturels par la valeur raisonnable. Il en arrive à illustrer les stades de l’activité industrielle par l’évolution des modèles capitalistes : capitalisme de marchand, capitalisme d’employeurs, capitalisme de banquiers.

 La « biographie intellectuelle » commise par les auteurs est passionnante. Nous y découvrons un J.R.Commons à la fois un théoricien (à partir des années 1920 avec sa théorie comportementale de la valeur) et un économiste pragmatique, se confrontant aux faits de l’intérieur dans une sorte de démarche de recherche contributive (idéalisme utilitaire, recherche constructive, refus des tendances monopolistiques des entreprises et des syndicats), plus que seulement participative comme nous le dirions de nos jours.

En fin de tome II, les auteurs développent une analyse comparative des thèses de Polanyi, Commons et Proudhon. L’idée consiste à établir le lien avec la socio-économie, ou l’économie des conventions, ou encore l’économie de la régulation. Polanyi et Commons semblent se placer selon les auteurs dans une filiation à Proudhon. Cette partie de l’ouvrage présente l’énorme intérêt de soutenir une approche critique et renouvelée de l’histoire de la pensée économique. Malgré la somme de près de 3000 pages, lire J.R.Commons sous les plumes de Jean-Jacques Gislain et Bruno Théret est un impératif pour quiconque souhaite perpétuer et défendre l’économie politique dans son « à venir » !

NOTES

[1]     Yann GUY, HENNEGUELLE, Anaïs, PUISSANT, Emmanuelle (coord.), 2023, Grand Manuel d’Économie Politique. Avec le soutien de l’Association Française d’Economie Politique-AFEP, Paris, Dunod, 2023

Auteurs

Université Rennes 2, UMR6590-ESO,

pascal.glemain @ univ-rennes2.fr

Références

Pour citer cet article :

Pascal GLEMAIN - "John Rogers COMMONS, L’économie institutionnelle. Sa place dans l’économie politique" RILEA | 2024, mis en ligne le 11/12/2024. URL : https://anlea.org/revues_rilea/john-rogers-commons-leconomie-institutionnelle-sa-place-dans-leconomie-politique/