Résumé
En intercompréhension, l’apprenant intervient dans sa langue romane tout en faisant preuve de compréhension vers celle de l’interlocuteur, une langue de la même famille linguistique qu’il comprend, mais qu’il ne parle pas forcément. Dans cet article, l’objectif est de montrer quelles stratégies d’interproduction ont été développées au sein d’un Programme BIP (Blended Intensive Programme) dans le cadre du Projet UNITA avec un public plurilingue d’étudiants de disciplines non linguistiques. La méthodologie est celle de la didactique expérientielle, propre aux jeux sérieux, où les apprenants mobilisent de manière collaborative leurs compétences plurilingues et pluriculturelles en situation de communication professionnelle.
Mots-clés : interproduction, Blended Intensive Programme, langues de spécialité, didactique experiéntielle, UNITA
Abstract
In intercomprehension, learners communicate in their own Romance language while demonstrating they understand their interlocutors’language, a language of the same linguistic family which they understand, but do not necessarily speak. In this article, the objective is to show which interproduction strategies have been developed during a Blended Intensive Programme (BIP) within the framework of the UNITA Project with a plurilingual audience of students of non-linguistic disciplines. The methodology is that of experiential didactics, which characterize serious games, where learners collaborate to mobilize their plurilingual and pluridisciplinary skills in business communication.
Keywords: interproduction, Blended Intensive Programme, language for specific purposes, experiential learning, UNITA
Texte
En ce qui concerne les compétences linguistiques à développer auprès d’apprenants issus de cursus pluridisciplinaires tels que la filière LEA, les contextes de communication professionnelle, où ils doivent s’exprimer clairement et recourir à un vocabulaire spécifique, demeurent centraux.
Dans le cadre d’une interaction plurilingue, l’utilisation d’un lexique spécifique dans la langue seconde et l’articulation d’un discours cohérent dans le domaine de spécialité peuvent représenter des défis complexes, minant le sentiment d’efficacité de l’apprenant. L’intercompréhension (IC) peut représenter une stratégie communicative utile pour surmonter ce sentiment d’inefficacité et d’insécurité que peuvent ressentir les étudiants de LEA lors d’interactions professionnelles en langue étrangère. Dans une formation à l’intercompréhension pour des étudiants LEA, les apprenants développent les stratégies nécessaires non seulement pour comprendre des textes de spécialisation dans des langues de la même famille linguistique (qu’ils comprennent, mais qu’il ne parlent pas forcément), mais aussi pour se faire comprendre dans leur propre langue romane lors d’échanges professionnels. Dans une communication plurilingue en intercompréhension les apprenants developpent dès lors une approche plus ouverte et disponible à la diversité linguistique qui aide à diminuer l’anxiété liée à l’interaction orale.
Sur le plan linguistique, l’intercompréhension prend appui sur la proximité de deux ou plusieurs langues de la même famille. De ce fait, des séquences d’une langue sont jugées « transparentes » (au niveau graphique, phonétique, morphologique ou syntaxique) et donc « lisibles par un locuteur d’une langue étrangère à partir des seules connaissances extraites dans sa langue maternelle »[1]. Comme nous le verrons, avec une formation adéquate, cette proximité et ces transparences entre les langues apparaissent plus évidentes encore dans l’enseignement des langues de spécialité, pour la simple raison que ces langues partagent souvent un vocabulaire scientifique et professionnel commun et donc très accessible.
Tout comme on peut comprendre des séquences transparentes dans des langues proches, on peut aussi produire un discours dans une langue pour être compris par des locuteurs d’autres langues. Ainsi, l’activité d’interproduction fait appel à des compétences et des stratégies qui peuvent se révéler utiles dans un contexte professionnel plurilingue. Bien que ces stratégies émergent souvent parallèlement à l’usage d’autres stratégies de médiation et à d’autres formes de communication plurilingue[2], il est important de souligner leurs caractéristiques propres, notamment dans le cadre de l’apprentissage des langues de spécialité.
En premier lieu, les apprenants doivent se familiariser avec la formule communicative IC, ils doivent se sentir à l’aise, et accepter d’expérimenter un mode de communication asymétrique, où chacun parle une langue différente. Un certain nombre d’études montrent que dans la communication en intercompréhension les intervenants font preuve d’une flexibilité accrue pour adapter leurs repères linguistiques et culturels en fonction de leur interlocuteur, afin d’aboutir à une communication satisfaisante[3]. En deuxième lieu, lorsque le système de transparence ne suffit pas à comprendre le contenu d’un message, l’apprenant peut recourir à la stratégie de l’approximation. Cette technique discursive permet d’éviter une rupture dans l’interprétation en reportant la finalisation du message à un moment ultérieur dans le discours[4]. En troisième lieu, dans le cas spécifique des étudiants de LEA, il est essentiel qu’ils puissent intégrer leur contribution dans un contexte à objetif précis. A court terme cet objectif est la compréhension de textes de spécialité dans une langue étrangère apparentée. A long terme, il s’agit de développer des compétences communicatives professionnelles dans des contextes plurilingues, où ils interagissent avec des locuteurs de langues différentes de leur langue maternelle, qu’ils ne maîtrisent pas nécessairement.
Il est nécessaire de souligner que, selon les besoins de l’apprenant, la pratique de l’intercompréhension peut représenter soit un but ultime soit une étape intermédiaire. Tout dépend des objectifs qu’ils visent à atteindre en termes de compétence dans une langue spécifique, et d’objectif communicatif et professionnel. Pour certains étudiants, la compréhension d’une langue romane pourrait être suffisante, tandis que pour d’autres, cela pourrait être un premier pas vers une compétence incluant aussi la production en langue étrangère. Dans tous les cas, le but principal de l’intercompréhension reste celui d’élargir la gamme des objectifs linguistiques possibles, de stimuler la conscience linguistique et culturelle des apprenants et de développer des stratégies linguistiques transversales. Comme un certain nombre d’études récentes l’indiquent en effet, les étudiants ayant bénéficié d’un cours d’intercompréhension montrent de meilleures compétences linguistiques et stratégiques que les étudiants ayant suivi un cours de langue traditionnellement monolingue[5]. La plupart des recherches sur l’intercomprehension se sont jusqu’à présent concentrées sur les stratégies de compréhension, tandis que les études dans ce domaine consacrées aux stratégies de production sont plus rares[6].
L’activité, dont on tirera des exemples d’interproduction, a eu lieu pendant le programme BIP -Blended Intensive Programme – à l’Université de Pau dans le cadre du Projet UNITA- Universitas Montium pendant le mois de juin 2022 avec un groupe de 22 étudiants de différentes nationalités, locuteurs de langues romanes en mobilité courte. Ces étudiants ont été entraînés à l’interproduction, avec le but de pouvoir élargir leurs compétences communicatives et d’accéder plus facilement aux langues d’une même famille linguistique dans le cadre de leur secteur professionnel. Cet objectif est particulièrement intéressant pour des étudiants qui n’ont pas nécessairement dans leur programme d’études une grande variété de langues à exploiter. Toutefois, il peut également satisfaire des étudiants de filières linguistiques telle que la filière LEA, qui cherchent à développer des compétences professionnelles dans de nouvelles langues ou à découvrir de nouvelles stratégies d’apprentissage.
La structure de l’article est la suivante. Dans la première partie, les spécificités des langues de spécialité seront introduites ainsi que les avantages de l’approche intercompréhensive pour aborder ce genre textuel dans une formation linguistique destinée aux étudiants de disciplines dites « non linguistiques ». Dans la deuxième partie, les principes de la didactique expérientielle seront brièvement exposés pour mettre en lumière les avantages de l’activité proposée sur le développement des compétences d’interproduction. Dans la troisième partie, la structure de l’activité, le parcours de la formation et les caractéristiques des participants seront présentées, puis dans la quatrième partie quelques extraits de leurs interactions seront analysés par rapport aux trois objectifs spécifiques fixés.
La langue de spécialité
L’un des éléments fondamentaux dans la création de matériel didactique pour l’intercompréhension est le choix d’activités qui présentent un équilibre entre transparence et opacité. C’est pour cette raison que la préférence est donnée aux exercices de compréhension, en particulier de compréhension de textes qui offrent une variation linguistique plus proche de la langue standard que de la langue courante. En effet, cette dernière est connue pour être plus opaque et moins compréhensible pour les locuteurs non natifs.
Dans le cadre du projet UNITA, la formation à l’intercompréhension a été ouverte non seulement aux apprenants en langues, mais également aux étudiants ayant suivi d’autres cursus, qu’ils aient ou non un bagage linguistique de base. Un certain nombre d’études sur l’IC[7] et des cadres tels que CARAP et REFIC/REFDIC remettent en question la notion de motivation comme l’un des éléments fondamentaux et souhaités de l’approche pédagogique interdisciplinaire.
Afin de considérer cette notion de motivation à l’apprentissage des langues au sens large, nous avons créé des supports spécifiques à ce deuxième type d’apprenants. Pour cela, nous avons autant tenu compte de leur bagage linguistique que de leur bagage académique, en incluant des activités liées à leur cursus et présentant donc un langage plus disciplinaire que standard. Ce choix a évidemment entraîné des questions que nous avons tenté de résoudre en étudiant la réponse à l’input fourni aux étudiants : en suivant une approche intercompréhensive, les langues disciplinaires sont-elles plus compréhensibles que la langue standard ? Dans les paragraphes suivants, nous illustrerons les caractéristiques typiques de ces variations linguistiques et la façon dont elles sont compréhensibles pour un étudiant qui n’a aucune formation linguistique derrière lui ou pour un étudiant de langue appliquée à un domaine disciplinaire.
Variation linguistique entre les langues standard et les langues spécialisées
Les langues spécialisées sont des variantes pragmatiques présentant des particularités « spéciales » : le sujet, la situation de communication, le type d’interlocuteurs, le milieu, le niveau de formalité. Si le langage standard est caractérisé par plusieurs fonctions de base (conative, émotive, phatique), les langues spécialisées favorisent l’utilisation d’une fonction plus référentielle. Elles sont utilisées par des utilisateurs spécialisés et le type de discours qui les caractérise est le discours professionnel et scientifique, par opposition au discours générique de la langue standard.
Les matières spécialisées sont celles qui ne font pas partie du bagage général des locuteurs d’une langue et qui nécessitent donc un apprentissage spécialisé. Ces connaissances sont détenues par les utilisateurs typiques des langues spécialisées, les spécialistes, bien qu’une distinction soit faite entre les producteurs de communications spécialisées et leurs destinataires. Les situations communicatives conditionnent également le caractère spécialisé d’un sous-code, car ses communications sont formelles et généralement régies par des critères professionnels ou scientifiques. Ces sous-ensembles sont spécialisés par sujet, par utilisateur et par situation de communication dans laquelle ils sont utilisés, et présentent un certain nombre de caractéristiques linguistiques (unités et règles) et textuelles.
Une langue spécialisée n’est pas un sous-ensemble structurellement monolithique de la langue, mais présente des variétés alternatives en fonction de l’utilisation et des circonstances de communication. Les deux paramètres de variation sont :
- le degré d’abstraction, qui dépend du sujet lui-même, des destinataires et des fonctions de communication voulues par le locuteur,
- les objectifs de communication, qui déterminent différents types de textes en fonction des fonctions à remplir.
L’étude du français sur des objectifs spécifiques (FOS) a développé une méthodologie qui suit cinq étapes et utilise ces deux paramètres de variation pour développer un programme d’apprentissage détaillé basé sur des langues spécialisées. Ces cinq étapes sont[8] :
- Identifier la demande,
- Analyser les besoins,
- Collecter les données,
- Didactiser,
- Évaluer.
Selon les chercheurs qui ont développé la méthodologie, une demande de formation linguistique doit être précise et centrée sur un aspect particulier (linguistique, discursif…), autrement dit sur une compétence bien définie. Cet aspect doit être pris en considération par le concepteur du programme, et toutes les activités pédagogiques prévues doivent viser la compétence linguistique en question (1). Deuxième étape de la mise en œuvre du programme de formation, l’analyse des besoins vise à identifier les situations de communication auxquelles l’apprenant sera confronté et à prendre connaissance des discours qui sont à l’œuvre dans ces situations (2). La collecte de données (3) est considérée comme la phase la plus spécifique du développement d’un programme FOS, car elle peut confirmer ou modifier l’analyse des besoins du planificateur et fournir les situations et les discours communicatifs à partir desquels le programme de formation linguistique sera construit. À partir des résultats obtenus lors de cette phase, l’enseignant ou le concepteur du programme procédera ensuite à la didactisation des matériaux et à la création du matériel pédagogique le mieux adapté aux besoins de son public (5). La dernière étape de la méthodologie consiste à évaluer à la fois les compétences acquises par l’apprenant et l’efficacité de la proposition didactique élaborée.
Caractéristiques des langues de spécialité
Les caractéristiques générales des langues spécialisées peuvent être résumées comme suit[9] :
- Universalité ou généralité,
- Objectivité,
- Exactitude et précision,
- Cohérence et pertinence,
- Vérifiabilité,
- Ordre logique et structuration claire,
- Fonction linguistique : fonction de représentation.
Les ressources linguistiques visées sont : la concision de la forme, la précision du contenu, la systématicité de la structure et enfin l’impersonnalité et l’objectivité. En détail, au niveau phonétique, il y a la présence d’éléments qui sont étrangers à notre système en raison du transfert du vocabulaire d’une langue à l’autre. Au niveau morphosyntaxique, on constate la prévalence des éléments nominaux (noms et nominalisations) pour donner une plus grande objectivité et généralité, l’abondance des adjacences nominales (syntagmes prépositionnels, adjectifs spécifiques), des propositions subordonnées, des affixes pour donner de l’objectivité et de la clarté et un usage généralisé des formes adverbiales et des compléments circonstanciels.
En ce qui concerne l’utilisation des temps verbaux, l’indicatif (modalité de la réalité) est utilisé pour contribuer à la fonction référentielle et à l’objectivité, et le présent de l’indicatif à valeur atemporelle pour donner de l’universalité et de la généralité au texte. Dans la partie explicative des processus, on utilise le passé, le conditionnel, le futur et le subjonctif pour la formulation d’hypothèses et de conditions. En outre, l’infinitif à valeur appellative est utilisé pour obtenir des informations neutres et universelles. Au niveau syntaxique, les phrases sont très souvent construites avec des “se” passifs et des “se” réflexifs, des gérondifs et participes à valeur circonstancielle pour assurer l’objectivité.
La construction passive analytique avec sujet inanimé et sans complément d’agent est préférée, et des propositions adjectivales explicatives sont utilisées pour la précision et la clarté.
La présence d’une coordination est notée, ce qui donne une plus grande efficacité à l’action ; la simplicité de la syntaxe favorise la clarté et pour cette raison la conjonction “ou” avec valeur d’équivalence est très utilisée. D’un point de vue graphique, des incises explicatives et des mots de clarification entre virgules, parenthèses et tirets sont utilisés pour plus de précision. Enfin, il y a une abondance de formules et d’expressions qui placent le lecteur dans le discours.
Au niveau lexico-sémantique, il y a une abondance de termes abstraits pour donner une universalité et une utilisation de termes techniques caractérisés par une valeur monosémique et une univocité, ce qui rend ces termes hautement transparents. De plus, l’impératif d’objectivité et d’abstraction découle de l’émergence d’une terminologie propre, soumise à des liaisons rigoureuses entre le sens des termes employés et leur représentation linguistique.
Comme souligne Cortelazzo (1990), dans certaines catégories de langues spécialisées, des termes émergent soit par la création de néologismes ou de moulages soit par le biais de procédés spécifiques de préfixation et de suffixation, exploitant une capacité de combinaison plus élaborée que celle observée dans la langue commune. La répétition de mots dans un même texte est aussi largement utilisée pour éviter l’emploi de synonymes et assurer la clarté.
Ce qui ressort de cette brève analyse des langues spécialisées, c’est que bon nombre des caractéristiques communes que nous y trouvons sont les éléments sur lesquels nous nous concentrons le plus souvent lorsque nous faisons de l’intercompréhension. Par exemple, la préférence pour des structures syntaxiques simples et des temps verbaux peu articulés ou encore l’utilisation de la répétition et de la reformulation.
C’est précisément pour cette raison que, dans une première approche à l’intercompréhension avec des apprenants d’une filière LEA, l’utilisation de matériel didactique dans lequel ce type de langage est présent, peut d’abord accélérer le processus de compréhension d’une plus grande variété de textes issus du domaine de spécialité de ces apprenants (ingénierie, histoire de l’art, économie, tourisme), à condition qu’ils soient dans une des langues apparentées du français. Dans un deuxième moment, comme nous le verrons par la suite, cette pratique didactique peut favoriser le développement de compétences communicatives en langue maternelle pour s’exprimer dans un contexte professionnel avec des locuteurs de la même famille linguistique qui ne parlent pas forcément le français.
La didactique expérientielle pour le développement d’une compétence communicative et disciplinaire
Le terme « apprentissage expérientiel » désigne un très large éventail d’activités qui donnent à l’apprenant la possibilité d’« acquérir, expérimenter et développer de nouveaux contenus et de nouvelles compétences »[10]. Les exemples les plus fréquents d’apprentissage expérientiel rencontrés dans les pratiques éducatives sont les salles de classe « inversées », l’apprentissage par tâches, ou encore l’apprentissage par projet. Autrement dit, il s’agit de types d’apprentissage dans lesquels les élèves mettent en jeu leurs compétences procédurales, fondamentales pour le développement du « savoir » et du « savoir-faire » et caractéristiques des disciplines scientifiques. Cependant, en ce qui concerne les aptitudes participatives des apprenants et les « savoir-être » par rapport au contexte social (et linguistique), l’apprentissage expérientiel est souvent délégué aux disciplines humanistes et à celles, ainsi dites, linguistiques. Le soin de la communication est souvent l’apanage des disciplines qui ont comme objectif principal l’étude explicite de la langue et reste sous-entendu dans le reste des disciplines qui sont appelées, à tort, non linguistiques. Curieusement, le résultat est que, dans les contextes dédiés à la construction de la communication disciplinaire, les étudiants ne sont pas formés à argumenter et débattre sur des sujets liés aux savoirs professionnels.
Pour faire de l’éducation linguistique, il est évidemment nécessaire d’apprendre aux apprenants à exprimer leurs besoins de communication dans un contexte social. Il est aussi important de leur procurer les outils afin qu’ils construisent leur propre savoir, leur capacité d’action et les compétences propres aux processus sociaux et démocratiques.
A cet égard, l’apprentissage expérientiel, comme les jeux sérieux, répond bien à la nécessité pour les étudiants des disciplines non linguistiques de développer des compétences professionnelles, ce qui motive davantage leur apprentissage linguistique. Des activités comme celles que nous présenterons ci-dessous peuvent donc être intégrées dans le cadre d’une formation linguistique visant le développement des compétences linguistiques professionnelles et la maîtrise de la langue de spécialité.
Le contexte de l’activité
Mis en place et financés par l’agence Erasmus+ dans le but de favoriser les mobilités courtes, les BIP « Blended Intensive Program » sont des programmes innovants, proposés sous des formats hybrides, avec une partie en distanciel et une partie en présentiel. Ces programmes peuvent être proposés aux étudiants et au personnel des établissements supérieurs, ainsi, les participants peuvent avoir des profils, des parcours et des cycles très différents.
Une composante virtuelle est obligatoirement organisée, que ce soit avant ou après la mobilité physique. Elle est co-construite avec les établissements partenaires afin de privilégier une pédagogie innovante et la coopération. Les activités y sont variées, et peuvent se présenter, entre autres, sous forme de travail en autonomie, de classes virtuelles, de travaux de groupes et d’échanges sur des forums. La mobilité physique peut durer de 5 à 30 jours, mais le format d’une semaine est souvent privilégié. Les participants se retrouvent sur le campus de l’université porteuse du projet et sont encadrés par des équipes pédagogiques multiculturelles. Le format de ces programmes permet d’ajouter de la valeur aux formations déjà offertes par chaque établissement.
Le BIP “Intercompréhension entre langues romanes” mis en place à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour a été organisé en collaboration avec l’Université de Turin et l’Université de Saragosse dans le cadre d’une série de BIP en IC proposés par les universités membres de l’Alliance UNITA entre 2022 et 2023. Les objectifs généraux d’un BIP sont de lever les freins de la mobilité et de permettre la collaboration entre enseignants dans la co-construction des cours. Plus spécifiquement, les objectifs du BIP “Intercompréhension entre langues romanes” étaient de développer des compétences en réception, en interproduction et en interaction, tant à l’oral qu’à l’écrit, dans un contexte de communication en intercompréhension, particulièrement auprès d’un public non spécialiste des langues.
Les participants
Les participants au programme sont des étudiants inscrits dans les universités de l’Alliance UNITA. Nous avons ouvert les candidatures à cinq étudiants par université partenaire afin de varier les langues et les cultures. Finalement, nous avons adapté les conditions de sélection aux demandes des universités et les étudiants retenus provenaient des universités suivantes :
- Institut Polytechnique de Guarda : 8 étudiants
- Université de Turin : 7 étudiants
- Université de Saragosse : 4 étudiants
- Université de Beira Intérieure : 1 étudiant
- Université de Pau et des Pays de l’Adour : 2 étudiantes
Cela nous a permis d’avoir plusieurs langues romanes représentées avec neuf lusophones, six italophones, trois hispanophones, deux francophones, ainsi qu’une étudiante bilingue roumain/italien et une autre en français/espagnol. Le roumain ne figure pas réellement dans la liste puisque l’unique étudiante roumaine a fait le choix de s’exprimer en italien, la langue de ses études.
Quant aux niveaux d’études, ils étaient également variés, allant de la licence au doctorat, et les parcours étaient assez diversifiés. Ainsi, nous avons eu 17 étudiants de filières non linguistiques et 5 étudiants en langues. Les parcours des participants étaient les suivants, tous niveaux d’études confondus :
- Langues étrangères appliquées,
- Langues et littératures modernes,
- Soins infirmiers,
- Droit,
- Communication multimédia et relation publiques,
- Gestion d’entreprise et management,
- Sport,
- Pharmacie,
- Philosophie
3Objectifs et structure de l’activité
Les caractéristiques du jeu de rôles facilitent la coopération car elle est motivée par une mission commune : sélectionner des mesures efficaces pour réduire notre impact environnemental. Cette activité favorise également “le développement de stratégies et de capacités à prendre des décisions, à comprendre un problème et à poser des hypothèses de solutions[11]. Enfin, en terme d’intercompréhensionelle vise à atteindre les objectifs suivants :
- Accéder au vocabulaire spécifique à la langue de spécialité dans les autres langues romanes;
- Maîtriser les stratégies linguistiques et extralinguistiques liées à l’interproduction dans leur langue romane de préférence (L1) ;
- Développer des stratégies communicatives spécifiques, telles que la gestion des tours de parole, la planification en temps réel et la négociation du sens de l’énoncé dans un contexte de communication asymétrique ;
Pour atteindre ces objectifs, la consigne suivante a été donnée à l’ensemble des apprenants :
“Voici une liste plurilingue de conseils pour réduire l’impact environnemental. Discutez en groupe de celles qui sont les plus réalisables et commentez vos choix avec la commission sur une proposition (multilingue ou en une seule langue). L’un des groupes choisira d’agir en tant que comité. La proposition doit être compréhensible pour tous les membres du comité. Le comité peut poser des questions sur la proposition (demander ce qu’il a compris ou non) et choisir la meilleure proposition”
L’activité proposée se déroule en différentes étapes :
Fig 1. Les étapes de l’activité
Pour réaliser la tâche, les apprenants avaient chacun à leur disposition un texte plurilingue présentant 24 mesures pour réduire l’impact écologique. Pour cela, nous avons fait le choix d’un article de vulgarisation scientifique afin de proposer un lexique à la fois spécifique, mais présentant également du vocabulaire issu de la langue standard. Le thème de l’écologie nous a paru intéressant car il offre un caractère disciplinaire et présente les caractéristiques de la langue de spécialité, mais reste néanmoins un sujet connu de tous. Le texte a cependant fait l’objet d’une simplification partielle afin de ne pas décourager les apprenants face à certaines difficultés. Cependant certaines complexités lexicales ou syntaxiques ont été conservées pour encourager la résolution de problèmes et la coopération au sein des groupes.
Les groupes étaient constitués de quatre à cinq apprenants de langues et disciplines diverses. Le premier groupe tient le rôle de la commission, nous l’appellerons « groupe commission » (GC Fig. 1). Leur mission est d’auditionner et d’évaluer les propositions. Les quatre autres groupes, appelés “groupes de présentation” (GP Fig. 2), doivent se mettre d’accord sur quatre à cinq mesures les plus efficaces selon eux et se préparer pour les défendre devant la commission. Dans un premier temps, les cinq groupes constitués prennent connaissance du texte, négocient et co-construisent le sens, et échangent sur le contenu du document afin de se préparer à auditionner (GC) ou à être auditionnés (GP) (Fig. 3). Cette confrontation leur permet à la fois de résoudre les problèmes éventuels de compréhension, mais aussi de prendre conscience des difficultés liées à leur langue. Dans un second temps, chaque GP présente les mesures choisies. La commission écoute les propositions, pose des questions et évalue la qualité des mesures choisies et des présentations. Lors de cette étape, chaque personne s’exprime dans sa langue de référence en prenant soin de produire un discours intercompréhensible.
Fig 2. Le Groupe Commission
Fig 3. Le Groupe de présentation
Analyse
Première phase : la pratique du think-aloud et l’usage du transfert au profit de l’oral
Dans la première étape, les étudiants préparent leur présentation en groupes multilingues en cherchant ensemble des structures, ainsi que des mots qui soient transparents et compréhensibles dans leurs langues, comme dans l’exemple suivant.
Fig 4. Première Phase. Travail de préparation à l’exposition orale en groupes multilingue
[1]
ES1 “Agradable” en italiano no existe.
« Agradable” en italien n’existe pas.
ES2 No? Y como se dice “un giorno muy/muy agradable (prononcé avec l’accent
italien)]
Non? Et comme on dit ““un jour très/très agréable (prononcé avec l’accent italien)]
ES1 Es que llevaba un tiempo diciendo “che tempo agrada/agréabl.. Y Dani me dijo que
no existe”
Ça fait un moment que je dis “quel temps agrada/agréabl… et Dani m’a dit qu’il
n’existait pas. »
ES2 Vale, y como se diría?
OK, et comment on dit ?
ES1 “Piacevole”.
“Piacevole”.
ES2 “Piacevole”?
“Piacevole”?
ES1 Sì.
Oui
ES2 Vale, de “mi piace molto”.
OK, de « mi piace molto ».
ES1 Sì.
Oui.
IT1 Forse c’è un termine comprensibile, c’è il verbo “aggradare” mi sembra.
Peut-être y a-t-il un terme compréhensible, il y a le verbe » aggradare” me semble.
Comme le montre l’exemple, cette phase permet, grâce à la pratique de la verbalisation à haute voix (think-aloud process), d’expérimenter les transparences entre les langues romanes maîtrisées (sp. agradable– fr. agréable), en identifiant aussi les cas où il n’y a pas de transparence directe (it. piacevole). La recherche des transparences lexicales et les inférences permettent aussi la réflexion sur la langue d’origine des apprenants. Ainsi ils sont encouragés à la recherche de synonymes, de variantes plus ou moins formelles ou plus ou moins standard du même mot qui existent néanmoins dans leur langue, notamment des variantes qui soient plus transparentes avec les autres langues (cf. IT1 “c’è il verbo “aggradare””[12]multi). Dans l’exemple [1], on peut observer que ce processus d’inférence, qui est un mécanisme caractéristique de l’intercompréhension réceptive[13] est également utilisé dans l’interproduction pour planifier le discours oral. Lors du processus de compréhension, le transfert de compétences linguistiques contribue à la construction du sens à partir des données linguistiques présentes dans le texte[14], alors que dans l’interproduction les apprenants s’appuient sur ce même mécanisme pour faciliter la compréhension au profit de leur interlocuteur, en consolidant simultanément les stratégies apprises. Cet exemple montre clairement qu’en intercompréhension, l’accent sur la forme est toujours placé dans le cadre d’une tâche cognitivement complexe. Pendant cette tâche complexe, l’apprenant est indirectement encouragé à la découverte des structures linguistiques, qui ne sont jamais l’objectif final de la formation. Toutefois, au moment où les apprenants parviennent à se faire comprendre en utilisant les stratégies d’interproduction apprises, ils reçoivent une confirmation positive qui aide à sédimenter leurs connaissances, à augmenter la confiance en eux-mêmes et à développer un sentiment de satisfaction[15].
Deuxième phase : présentation orale
Dans la deuxième étape les apprenants présentent le discours qu’ils ont conçu en groupe.
Nous montrerons ensuite quelques exemples tirés des présentations finales pour analyser les stratégies développées par les apprenants. En particulier, en ce qui concerne les stratégies linguistiques, nous analyserons a) l’exploitation de transparences linguistiques, grâce à des synonymes d’origine panromane et des structures syntaxiques plus courtes et d’ordre SVO ; b) la redondance, en tant que stratégie pragmatique liée à la communication plurilingue. Quant aux stratégies non linguistiques, nous analyserons l’usage du contexte extralinguistique et la communication non verbale et multimodale. Pour faciliter l’analyse, le lecteur trouvera les descripteurs liés à la stratégie décrite tirés du Cadre de Référence du Projet Eval-Ic (2022) et réadaptés dans le cadre du Projet UNITA.
Exploitation de la transparence linguistique
- La transparence syntaxique
Descripteur : “L’étudiant adapte les registres de langue et ses compétences textuelles et socio-culturelles à la situation de production en contexte plurilingue, prévenant les problèmes de compréhension de ses interlocuteurs, segmentant le flux de parole pour permettre de repérer plus facilement les mots”
Dans l’exemple suivant la structure et l’organisation des énoncés sont adaptées au contexte plurilingue d’énonciation :
[2]
ES 3
Empiezo yo, ya?
Buenos días. Vamos a hablar del consumo personal.
Primero, mi tema es de comprar menos/consumir menos en general.
Para hacer productos elaborados utilizamos productos / materias primas muy diversas que no son buenas para el planeta si estamos constantemente utilizándolas.
Para proteger el planeta tenemos que intentar consumir productos que van a tener una larga duración: no compro-tiro [geste avec sa main].
Si no los vamos a utilizar más/ si lo utilizamos solo una vez podemos intentar utilizar de otra forma.
Por ejemplo, un vaso para beber un café para tirar las cenizas si estamos fumando, la estamos reutilizando.
En la economía circular lo que intentamos es contaminar menos/que haya menos polución y que los materiales y los productos sean reutilizables.
Je commence, OK ?
Bonjour. Parlons de la consommation personnelle.
Tout d’abord mon thème est d’acheter moins/consommer moins en général.
Pour faire des produits transformés nous utilisons des produits / matières premières très diverses qui ne sont pas bonnes pour la planète si nous sommes constamment les utiliser.
Pour protéger la planète, nous devons essayer de consommer des produits qui vont durer longtemps : pas j’achète- je jette.
Si nous ne les utilisons plus / si nous ne l’utilisons qu’une seule fois, nous pouvons essayer de les utiliser d’une autre manière.
Par exemple, un verre pour boire un café pour jeter les cendres si nous fumons, la nous réutilisons.
Dans l’économie circulaire, ce que nous essayons est de polluer moins/moins et que les matériaux et les produits sont réutilisables.
Comme nous pouvons le voir, non seulement les énoncés sont généralement courts et simples (avec un maximum de deux-trois subordonnées par phrase), mais le type d’hypotaxe choisie demeure également assez transparente parmi les langues romanes, soit dans le choix des subordonnés (finales, relatives, hypothétiques) soit dans le choix des adverbes (para, que, si). Même si l’on ne peut pas s’en apercevoir à partir de la transcription, à une segmentation du flux de parole au niveau syntaxique correspond par ailleurs une segmentation prosodique réalisée par des pauses et des accents qui favorisent la focalisation des éléments clés de la phrase et qui se reflète ainsi dans l’organisation textuelle de l’énonciation. L’accent tonique tombe souvent sur les équivalents transparents identifiés par les apprenants comme des aides à la compréhension (Es. PRIMERO mi tema es de comprar menos/CONSUMIR MENOS en général, en majuscules les segments de la phrase caractérisés par un accent tonique plus marqué).
- La transparence lexicale
Descripteur : “L’étudiant produit un texte complexe contenant des mots compréhensibles par ses interlocuteurs, des mots internationaux, des mots qu’il pense être congénères pour permettre la compréhension et des phrases simples ou simplifiées pour se faire comprendre. Il cherche à éviter le plus souvent d’employer ce qui pourrait ne pas être compris : le vocabulaire familier, les sigles, les abréviations, les troncations, l’argot, les mots opaques. Utilise ses connaissances des familles de mots pour se faire comprendre.”
Dans les exemples suivants, les énoncés des apprenants reflètent leur conscience des transparences possibles, comme produit de la brève formation en intercompréhension qu’ils ont suivie.
[3]
IT2
Il mare è contaminato non solo dalla plastica, ma anche dalle microfibre che le macchine per lavare i vestiti/le lavatrici, rilasciano in mare, infatti, in ogni ciclo di lavaggio in casa/fatto da noi, i vestiti fatti [geste avec sa main] di materiali sintetici perdono quasi 500 mila microfibre [geste avec sa main pour indiquer quelque chose dit auparavant]
La mer est contaminée non seulement par le plastique, mais aussi par les microfibres que les machines à laver les vêtements/machines à laver libèrent dans la mer, en fait, dans chaque cycle de lavage à la maison/fait par nous, les vêtements faits [geste avec main] de matières synthétiques perdent près de 500000 microfibres [geste avec sa main pour indiquer quelque chose dit auparavant]
[4]
IT2
lavare con la macchina da lavare piena
laver avec la machine à laver pleine
Comme nous l’avons vu précédemment, à cette étape les étudiants ont déjà travaillé sur le lexique panroman en adaptant leurs énoncés aux critères de la transparence lexicale. Cette démarche se reflète dans le choix des mots comme contaminato (variante du mot italien plus fréquent inquinato, mais transparent avec fr. contaminé, es./pt. Contaminado et ro. Contaminat), macchine per lavare (en italien lavatrici, mais transparent avec fr. machines à laver et semi-trasparent avec ro. mașină de spălat), piena (transparents avec fr. pleine, es./pt. llena, plena ro plină).
La recherche de transparence est attestée par la fréquence des actes d’auto-réparation[16]. L’autoréparation intervient en temps réel, au moment où les participants estiment (à tort ou à raison) que le mot peut être opaque pour leur interlocuteur. La clarification peut se faire par un mot considéré comme plus transparent [5] (beni/oggetti, fr. objets, sp./pt. objetos, ro. obiecte) ou par une périphrase définitionnelle pour l’expliquer à son auditoire [6] :
[5]
IT3
Il futuro sostenibile dev’essere l’economia circolare.
Dobbiamo usare con attenzione le risorse. É molto importante riciclare i beni/oggetti all’infinito. Nella nostra visione i rifiuti/scarti non devono esistere. I prodotti/gli oggetti sono riutilizzati/regenerati all’infinito.
L’avenir durable doit être l’économie circulaire.
Nous devons utiliser les ressources avec précaution. Il est très important de recycler les biens/objets à l’infini. Dans notre vision, les déchets/rebuts ne doivent pas exister. Les produits/objets sont réutilisés/régénérés à l’infini.
[6]
PT2
A terra és conhecida como o planeta azul, estamos rodeados de muita água y um por cento de nossa água és potável o seja um por cento de nossa água é bom pá consumir.
La Terre est connue comme la planète bleue, nous sommes entourés de beaucoup d’eau et un pour cent de cette eau est potable, c’est à dire qu’un pour cent de notre eau est bonne à consommer.
4.2.2 La redondance lexicale
Descripteur : “L’étudiant recourt quelquefois à des processus de redondance lexicale (à la synonymie, hyperonymie, hyponymie, périphrase définitionnelle, translanguaging).”
Dans les exemples suivants, nous pouvons constater que les étudiants incluent volontairement des redondances lexicales afin de mieux faire comprendre leur message à leurs interlocuteurs. Nous pouvons observer que les apprenants utilisent ces processus de redondance lorsqu’ils ne parviennent pas à trouver une formulation transparente.
[7]
FRA1
Avec le COVID les gens ont pris l’habitude de manger à l’extérieur et la nature, les forêts, les parcs, les plages, les mers, se sont remplis de déchets en plastique, les bouteilles, les verres en carton, les fourchettes, les assiettes… Et ça, ça pollue la planète.
Dans la première partie de la phrase, cette étudiante française [7] fait appel à l’hyponymie pour parler des endroits où il est possible de pique-niquer. Bien que le mot pique-nique soit transparent dans les autres langues romanes, elle développe cette explication pour être certaine d’être comprise (manger à l’extérieur). Dans la deuxième partie de la phrase, elle décide de lister les objets car elle sait que la plupart de ces mots sont opaques, elle espère ainsi se faire comprendre. Plus tard dans son discours, elle décidera de montrer ces objets afin de clarifier à nouveau son message de manière concrète (Fig. 4).
[8]
PT1
Devemos utilizar menos, menos tempos, menos energias, menos comidas, devemos utilizar menos plásticos porque o nosso planeta está cada vez mas enfermo porque consumimos muito mais.
Nous devons utiliser moins, moins de temps, moins d’énergie, moins de nourriture, nous devons utiliser moins de plastique parce que notre planète est de plus en plus malade, parce que nous consommons beaucoup.
Ici, cet étudiant lusophone [8] insiste sur l’expression “utilizar menos” en listant des concepts qui en découlent. Encore une fois, avec l’expérience, il aurait probablement su que le mot “utilizar” était transparent, et qu’il aurait aussi pu utiliser le mot “consumir”. Il utilise cependant cette stratégie pour transmettre son idée.
Si l’on regarde les descripteurs EVAL-IC, plus l’apprenant avance dans les niveaux, plus il ira directement chercher les mots transparents sans utilisation systématique des redondances. Ainsi, plus l’apprenant acquiert de l’expérience et des compétences en interproduction, et en intercompréhension en général, plus il trouvera les mots transparents nécessaires à la compréhension de son interlocuteur et rentabilisera les processus de redondance lexicale. C’est ce que nous avons pu observer chez ces apprenants. Ils parviennent à utiliser les redondances lexicales de façon modérée et seulement lorsqu’ils doutent de la transparence d’un mot.
Troisième objectif : stratégies de communication
Descripteur : “L’étudiant adapte les registres de langue et ses compétences textuelles et socio-culturelles à la situation de production en contexte plurilingue, prévenant les problèmes de compréhension de ses interlocuteurs, segmentant le flux de parole pour permettre de repérer plus facilement les mots”
Comme on l’a vu précédemment, les analyses des interactions des étudiants ont révélé que la plupart d’entre eux utilisent consciemment des stratégies, en parlant lentement et en segmentant le flux du discours pour se faire mieux comprendre de leurs interlocuteurs. Au moins la moitié des participants de chaque groupe sont capables de mettre en œuvre cette stratégie.
Un autre résultat particulièrement pertinent pour notre analyse est la facilité avec laquelle les élèves ont eu recours aux stratégies non verbales pour exprimer des concepts difficiles à comprendre.
Fig 5. Stratégies non verbales en interproduction
Les élèves ont surtout utilisé les gestes pour des mots très longs ou “typiques” de chaque langue, par exemple, l’étudiant italien du groupe 1 qui accompagne les mots avec le préfixe « re- » (comme l’étudiante française pour les verbes recycler, réutiliser dans la Fig. 4) avec le geste indiquant la répétition [9].
[9]
IT3
Il futuro sostenibile dev’essere l’economia circolare.
Dobbiamo usare con attenzione le risorse. É molto importante riciclare i beni/oggetti all’infinito. Nella nostra visione i rifiuti/scarti non devono esistere. I prodotti/gli oggetti sono riutilizzati/regenerati all’infiinito.
L’avenir durable doit être l’économie circulaire.
Nous devons utiliser les ressources avec prudence. Il est très important de recycler les biens/objets indéfiniment. Dans notre vision, les déchets/rebuts ne devraient pas exister. Les produits/objets sont réutilisés/régénérés à l’infini.
Les étudiants ont également utilisé des gestes pour proposer des listes d’idées ou pour souligner les données qu’ils trouvaient dans leurs propositions, notamment les chiffres (Fig. 5) :
Fig 6. Stratégies non verbales en interproduction
Enfin, les étudiants ont pu utiliser à la fois des gestes et des objets en classe pour rendre leurs concepts plus compréhensibles. Par exemple, un étudiant portugais, tout en parlant, fait une référence concrète à la gourde des membres du comité en la montrant avec son doigt (Fig. 6, Ex. [10]). Ou encore l’étudiante française du groupe quatre qui utilise les objets dont elle dispose (comme la gourde, le papier qu’elle tient, les couverts réutilisables ou la tasse des membres du comité [11], Fig. 7 e Fig. 8) :
Fig 7. Stratégies non verbales en interproduction
[10]
PT2
A terra é conhecida como o planeta azul. No entanto estamos rodeados de muita água, mas apenas um por cento da nossa água é potável ou um por cento da nossa água é segura para beber.. Todos nós estamos aqui: uma, duas, três garrafas de água [il indique les gourdes des membres de la commission]
La terre est connue comme la planète bleue. Nous sommes entourés de beaucoup d’eau, mais seulement un pour cent de notre eau est potable ou un pour cent de notre eau est sûre à boire… Nous sommes tous là : une, deux, trois bouteilles d’eau.
[11]
FR1
Ma proposition pour réduire l’impact sur l’environnement c’est le piquenique sans plastique on appelle cela aussi un piquenique zéro déchet [elle fait zéro avec sa main] ;
[…] le plastique qui représente mois 100 millions de tonnes de déchets et seulement 9, c’est à dire 30 millions de tonnes sans réutiliser cela veut dire que 270 millions de tonnes sont jetés à la poubelle sans utilisation [elle montre les données sur son papier] ;
[…] L’organisme océan en génération cherche des solutions pour réduire cette pollution et une des solutions c’est de préparer des pique-nique zéro déchet en faisant la cuisine soi-même en emballant son sandwich dans du tissu [indique son t-shirt] en le mettant dans une boîte qui peut être utilisé plus c’est assez facile dans ce sac ça gourde c’est couvert réutilisables [elle prend ses couverts] ça cup [elle indique la cup des membres de la commission].
Fig 8. Stratégies non verbales en interproduction
Fig 9. Stratégies non verbales en interproduction
Conclusion
Compte tenu de la courte durée de la formation et du fait qu’il s’agissait d’un cours intensif, il est possible de considérer les stratégies apparues comme un premier niveau de conscientisation.
Nous pouvons donc établir qu’à la suite d’un cours intensif de 21 heures, les étudiants de disciplines non linguistiques du Programme BIP ont tout d’abord pris conscience de l’existence de transparences linguistiques (lexicales et syntaxiques) sur lesquelles ils peuvent s’appuyer au cours d’une communication plurilingue fondée sur la compréhension mutuelle entre locuteurs de langues romanes. Ils ont aussi pris conscience de la possibilité d’utiliser des stratégies linguistiques comme la redondance, et non linguistiques comme le langage non verbal et la communication multimodale pour s’exprimer dans un milieu de travail plurilingue qui exploite les similarités existantes entre langues de la même famille linguistique. Pour développer cette prise de conscience, non seulement la pratique de la verbalisation à voix haute (think-aloud protocol) s’est avérée efficace, mais surtout une approche par tâches, basée sur l’apprentissage expérientiel, où l’accent n’est pas mis sur l’apprentissage des structures linguistiques, mais sur la découverte et l’apprentissage par immersion et transfert positif.
Cette activité représente une expérience particulièrement positive en termes de développement des compétences métalinguistiques et métacommunicatives auprès d’apprenants de cursus pluridisciplinaires tels que la filière LEA et même d’étudiants des disciplines non linguistiques. Généralement moins attirés par les approches d’enseignement linguistique fondées sur la réflexion linguistique, ils pourraient bénéficier de stratégies de production orale dans des contextes pluriilingues (tant en intercompréhension qu’en langue étrangère). Pour conclure, il est important de remarquer que le développement de ces compétences s’entend comme un enrichissement des compétences linguistiques et communicatives actuellement abordées par les programmes universitaires. Les étudiants peuvent alors les appliquer dans le cadre du développement de l’intercompréhension ainsi que dans l’étude des langues étrangères.
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NOTES
[1] Eric CASTAGNE, Transparences lexicales entre langues voisines, Reims : Epure, 2007, 155-166.
[2] Alice FIORENTINO, The complementary nature of linguistic mediation in Transnational Adoption Mobility, 2018, 328-343.
[3] Daria BAHTINA et al., Combining cognitive and interactive approaches to lingua receptiva, 2013, 159-180.
[4] Claire BLANCHE-BENVENISTE et al, Le Français parlé: études grammaticales, 2005, 292.
[5] Giovanna ARENARE, Encarnación CARRASCO PEREA, Carmen LÓPEZ FERRERO, Romance languages and EFL: Friends or foes? A study on the effects of romance intercomprehension training on plurilingual competence and EFL reading skills in young learners, 2021, 1-20.
[6] Marie-Christine JAMET, Comprendre et intercomprendre l’oral. Performances et stratégies, 2009 ; Intercomprensione, Quadro comune europeo di riferimento per le lingue, Quadro di riferimento per gli approcci plurilingui e valutazione, 2010, citée par Hugues SHEEREN, Stratégies Verbales et non verbales dans les interactions orales en intercompréhension entre langues affines, 2021 ; Elisabetta BONVINO et al., Observing strategies in intercomprehension reading. some clues for assessment in plurilingual settings, 2018 ; Diego CORTÉS VELÁSQUEZ, Intercomprensione Orale: Ricerca E pratiche didattiche, Firenze : Le Lettere, 2015, 228.
[7] (Maddalena DE CARLO, Sandra GARBARINO, Intercomprehension. Strengths and Opportunities of a Pluralistic Approach New York : Routledge, 2021, 337-359.
[8] Jean-Marc MANGIANTE et Chantal PARPETTE, Le Français sur objectifs spécifiques : de l ́analyse des besoins à l ́élaboration d ́un cours, Hachette, 2004, p.7
[9] Maria Teresa CABRÉ, La terminologie: théorie, méthode et applications, traduit du catalan et adapté par Monique C. Cormier et John Humbley, Ottawa/Paris, Les Presses de l’Université d’Ottawa/André Colin, 1998 ; Ricardo GUALDO et Stefano TELVE, Linguaggi specialistici dell’italiano, Carocci, 2011, 284-335.
[10] Carmel O’SULLIVAN, Role- play and research, Oxford : Routledge Publishers, 2018, 606.
[11] Obe HOSTETTER, James MADISON, Video Games – The Necessity of Incorporating Video Games as part of Constructivist Learning, Department of Educational Technology, 2022
[12] Le verbe italien “aggradare” signifie “être/s’avérer agréable” (littéralment “gradevole”).
[13] Diego CORTÉS VELÁSQUEZ, Op. cit.
[14] Giovanna ARENARE, Leggere oltre la famiglia linguistica — Intercomprensione e strategie di lettura fra lingue romanze e EFL per una didattica precoce del plurilinguismo, 2024.
[15] Obe HOSTETTER, James MADISON, Op. cit.
[16] (Emanuel A. SCHEGLOFF et al., The preference for self-correction in the organization of repair in conversation, 1977, 361-382.
Bibliographie
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Auteurs
Géraldine LESPARRE
UPPA (Université de Pau et des Pays de l’Adour), laboratoire : ALTER (Arts/Langages : Transitions et Relations)
Alice FIORENTINO
USMB (Université Savoie Mont Blanc), laboratoire LLSETI (Langages, Littératures, Sociétés. Etudes Transfrontalières et Internationales)
Sarah MANTEGNA
Université de Bologne, département DIT – Interpretariato e Traduzione
Références
Pour citer cet article :
Alice FIORENTINO, Géraldine LESPARRE, Sarah MANTEGNA - "LESPARRE et FIORENTINO et MANTEGNA, Intercompréhension et langues de spécialité : développer les stratégies d’interproduction dans le cadre d’un Programme BIP" RILEA | 2024, mis en ligne le 04/12/2024. URL : https://anlea.org/revues_rilea/fiorentino-et-lesparre-et-mantegna-intercomprehension-et-langues-de-specialite-developper-les-strategies-dinterproduction-dans-le-cadre-dun-programme-bip/