Résumé
A l’ère de la révolution numérique profitant aux didactiques des langues, un support d’apprentissage ludique et immersif semble prometteur : le serious game. Dans ce sens, il s’avère pertinent d’exploiter le bénéfice de cet outil dans l’acquisition d’une langue seconde. Ainsi, cette étude se penche sur l’apport lexical du serious game, à travers une expérimentation qui a réuni deux groupes d’apprenants de niveau A2/B1 du CECRL, évalués sur l’acquisition de douze tournures grammaticales. La démarche de recherche adoptée se base sur la comparaison d’un groupe test confronté au serious game avec un groupe contrôle utilisant une méthode conventionnelle s’inspirant de l’approche actionnelle. Les résultats montrent une acquisition lexicale globalement similaire entre les deux groupes, tout en soulignant le gain de temps offert par le jeu et son intérêt didactique potentiel.
Mots-clés : serious game, acquisition, compétence lexicale, didactique du FLE, support numérique.
Abstract
In the age of new technologies in language teaching, a playful, immersive learning tool called serious game appears to be promising. In this respect, it has proved relevant to take advantage of its contribution to second language acquisition. From a didactic point of view, we reflect on the lexical contribution of serious games through an experiment involving two groups of learners at the A2/B1 level of the CECRL, evaluated on the acquisition of twelve grammatical turns. The research approach adopted is based on a comparison between a test group exposed to a serious game and a control group using a traditional teaching method inspired by the action approach. The result reveals a broadly similar lexical acquisition between the two groups, while highlighting the time-saving potential of the game.
Keywords: serious game, acquisition, lexical competence, teaching of French as a second language, digital support.
Texte
Introduction
Outil didactique, le serious game est l’un des supports clé de la culture numérique appartenant à la famille des TICE[1]. La recherche révèle que cet outil, issu de la révolution numérique, suscite des questions, notamment sur la valeur ajoutée qu’il pourrait apporter à l’apprenant dans le développement de ses compétences et de sa stratégie d’apprentissage. C’est grâce à l’émergence d’outils numériques dans le contexte des didactiques des langues que l’utilisation du serious game en tant que support d’apprentissage d’une langue étrangère apparaît comme une ressource potentielle pour les apprenants touchés par une baisse de motivation. Il est également intéressant de s’interroger sur l’apport d’un tel outil en termes d’intérêt pédagogique à un.e enseignant.e de langue étrangère, notamment dans la filière des langues étrangères appliquées (LEA), où des cours de FLE peuvent être intégrés dans le programme de licence pour les étudiants étrangers[2]. Il convient dès lors d’analyser si cet outil peut constituer un apport significatif par rapport aux méthodes d’apprentissage traditionnelles. L’expérimentation a été menée auprès d’étudiants chinois inscrits en DU de FLE, mais ses résultats sont transposables et particulièrement intéressants pour la filière LEA, dans laquelle l’intégration de cours de FLE constitue un atout important pour l’accompagnement des étudiants allophones.
C’est précisément l’émulation autour du jeu et sa possible exploitation en classe de langue qui ont alimenté cette recherche[3]. A partir de ce constat, nous avons choisi de centrer notre étude sur le serious game les éonautes[4], seul jeu de ce type diffusé auprès d’institutions d’enseignement du FLE et documenté par des travaux de recherche[5]. L’expérimentation mise en place repose sur la comparaison entre un groupe test, confronté au jeu, et un groupe contrôle utilisant la méthode traditionnelle inspirée de l’approche actionnelle. Bien que ce jeu ne soit plus commercialisé depuis 2019, son analyse reste pertinente car elle permet d’évaluer l’intérêt pédagogique du serious game pour l’acquisition du lexique en classe de langue. L’étude vise plus précisément à mesurer l’apport du dispositif dans l’acquisition de tournures grammaticales, et à examiner si ce type de support peut favoriser la motivation et l’engagement des apprenants par rapport à des méthodes plus classiques. Enfin, si l’expérimentation porte sur l’apprentissage du français, elle ouvre la possibilité d’une transposition à l’apprentissage du lexique d’autres langues[6], confirmant l’intérêt du serious game comme outil didactique hybride.
Le serious game : nouvel outil d’apprentissage en didactique des langues ?
Apporter une définition précise au serious game est une tâche ardue tant la publication scientifique dans ce domaine foisonne depuis le début des années 2000. Si le terme avait été introduit dès les années 1970 par le politologue Clark Abt, c’est surtout avec l’essor des TICE et les travaux de l’informaticien Zyda[7] ou des chercheurs Alvarez et Michaud[8] que l’intérêt académique s’est affirmé. Les chercheurs Sande et David[9] ont toutefois initié une définition concise sur laquelle repose tout le concept : « jeu dont la finalité première n’est pas le simple divertissement »[10]. Le directeur du laboratoire USC Game Pipe à Los Angeles, Michael Zyda l’illustre par une métaphore plus imagée :
Un défi cérébral contre un ordinateur impliquant le respect de règles spécifiques, et qui s’appuie sur le divertissement pour atteindre des objectifs liés à la transformation institutionnelle ou professionnelle, l’éducation, la santé, la politique intérieure ou la communication.[11]
Il existe une pléthore[12] d’approches du serious game. Nous nous sommes toutefois attachés à celle d’Alvarez et Michaud :
La vocation d’un serious game est d’inviter l’utilisateur à interagir avec une application informatique dont l’intention est de combiner à la fois des aspects d’enseignement, d’apprentissage, d’entraînement, de communication ou d’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo. Une telle association a pour but de donner à un contenu utilitaire (serious), une approche vidéoludique (game).[13]
C’est principalement ce que promettent les jeux numériques à des fins pédagogiques : s’extirper du contexte formel, qu’il s’agisse d’un usage en classe ou dans un contexte autonome hors classe. Ainsi, l’apprenant endosse le rôle du joueur, et il est presque possible d’occulter le contenu sérieux s’il se laisse prendre par les ressorts ludiques en adoptant un autre état d’esprit. Les gains supposés sont davantage présentés de manière empirique que scientifique[14]. D’ailleurs, ce qui est mis le plus en exergue dans ce type de dispositif est de susciter la motivation de l’apprenant et de diminuer la prise de risque dans la langue-cible, notamment en la dédramatisant[15], grâce à l’environnement virtuel.
Toutefois, le lien entre l’apprentissage et le jeu n’est pas formellement avéré[16] . Sans doute est-il possible d’apprendre par le jeu en intégrant des automatismes[17], ou en parvenant à baigner en immersion dans des situations du jeu, ce qui permettrait de bénéficier d’un « apprentissage informel »[18]. Néanmoins, l’acquisition de concepts abstraits ou de raisonnements complexes sans cheminement intellectuel laissent songeur. En effet, l’aptitude à la généralisation et au transfert requiert a minima une volonté propre à l’apprenant. Sarah Labelle et Aude Seurrat[19] l’ont elles-mêmes déduit de leur expérience de conception d’un serious game : « Nous sommes convaincues qu’il est indispensable que le joueur-apprenant sache que ses actions et ses choix constituent des actes d’apprentissage ». Cette conscientisation aboutit au développement de connaissances plus construites. Ces éléments théoriques posés, il s’agit à présent de présenter le corpus et la méthodologie adoptés afin d’évaluer l’apport du serious game dans l’apprentissage lexical.
Présentation et analyse du corpus
Centrée sur les apprenants, cette expérimentation s’inscrit principalement dans une démarche didactique tout en explorant le champ de l’acquisition afin de répondre à l’hypothèse selon laquelle le serious game favoriserait une acquisition lexicale plus efficace que la méthode traditionnelle. Tout d’abord, le choix se porte sur le serious game les Éonautes comme support. Ce choix est nourri par des motivations pratiques : en effet, les Éonautes[20] est la seule tentative aboutie de serious game commercialisée auprès d’institutions, pour laquelle des corpus ont été observés sur le terrain[21]. Plusieurs parties ont permis d’extraire à partir du jeu (serious gaming[22]) des items cibles répondant aux critères de la présentation de soi[23] des descripteurs du niveau A2/B1. A partir des occurrences observées, une séquence pédagogique réinvestissant les points grammaticaux autour de ces faits de langue est conçue par la formatrice en charge du groupe contrôle[24]. Les tournures cibles devaient être exploitées de nouveau dans le questionnaire afin de confirmer leur non-acquisition par les apprenants. Pour pouvoir extraire des résultats quantitatifs et qualitatifs en termes d’acquisition lexicale liée à l’ethos[25], deux groupes de douze apprenants ont participé à une expérimentation : l’un à travers une séquence pédagogique conventionnelle conforme à l’approche actionnelle, l’autre à travers le serious game les Éonautes. Ces deux groupes ont été évalués selon les mêmes critères d’interaction, à l’issu desquels ils devaient aboutir à l’acquisition des mêmes items cibles.
Sélection des apprenants
Pour nous assurer que les deux groupes de sujets n’avaient pas acquis, ou partiellement[26] acquis, les tournures grammaticales testées, il leur a été présenté des questionnaires pré-lexicaux afin d’organiser une première sélection. Les questionnaires pré-lexicaux étaient similaires pour les deux groupes, puisque l’intérêt ici était d’établir la non (ou faible) acquisition des items cibles. Deux classes d’étudiants chinois de l’université Paris Sorbonne préparant le DU FLS[27] y ont participé. Elles comptaient respectivement 35 et 28 élèves. Un test de niveau avant d’intégrer ce cours a été réalisé auprès d’eux, à l’issue duquel il a été attesté qu’ils validaient tous un niveau A2/B1. Après s’être entretenu avec les enseignantes, avoir exposé l’expérimentation aux deux classes et obtenu l’accord des étudiant.es, les questionnaires pré-lexicaux et sociolinguistiques leur ont été distribués. Sur la totalité des sondés, douze apprenants ont été retenus pour chaque groupe. Ce choix s’explique par la nécessité de s’aligner sur le nombre de candidats du groupe test, qui n’a pu excéder ce chiffre. La mise en place de l’expérimentation a nécessité la constitution d’un échantillon d’apprenants, dont les caractéristiques sont présentées ci-dessous.
L’échantillonnage comprenait des femmes et des hommes de 20 à 30 ans. Le groupe serious game comptait, quant à lui, un groupe mixte d’apprenants hommes et femmes, entre 18 et 19 ans, tous d’origine chinoise. 40 questionnaires sociolinguistiques[28] ont été ainsi distribués aux apprenants. Le questionnaire sociolinguistique réunissait, classiquement, des questions liées à l’identité, la maîtrise de la langue, le niveau d’étude, la langue maternelle et le degré de maîtrise des langues[29]. Des questions concernant l’utilisation du numérique ont également été adjointes afin de pouvoir jauger les habitus[30] du groupe en termes d’usages liés à internet[31].
Deux groupes d’apprenants[32] ont participé[33] aux questionnaires, afin de sélectionner le groupe test et le groupe contrôle. Dans un premier temps, les questionnaires pré-lexicaux ont permis de trier les apprenants n’ayant pas acquis le lexique ciblé. Les apprenants ayant répondu correctement à la majorité des items[34] ont été écartés de l’expérimentation, afin de ne pas fausser les résultats. Seuls les étudiants ayant obtenu des réponses partielles ou incorrectes ont été retenus. A partir de ce filtrage, les apprenants ont été répartis aléatoirement en deux groupes : un groupe test, exposé au serious game, et un groupe contrôle, soumis à une méthode traditionnelle respectant l’approche actionnelle. Pour rassurer l’apprenant sur l’utilité d’un tel outil, il a été important de fédérer les apprenants en pré-sélectionnant et en invitant les plus volontaires d’entre eux à intégrer le groupe. Le dispositif expérimental a consisté à soumettre les apprenants à une séance de jeu du serious game les éonautes.
L’expérimentation reposait sur la réalisation de trois missions du jeu vidéo, lequel met en scène des voyages à travers un contexte historique inspiré de la période gauloise, présentés sous forme de dialogue par les personnages non-joueurs. L’une des missions consistait par exemple à amener au chef du village un remède et une poterie violette à rayures. L’apprenant entre dans le jeu grâce à un avatar[35] et interagit avec différents personnages non joueurs dit PNJ[36] afin d’accueillir les directives nécessaires à la réussite de la mission et à la progression dans le jeu. Précisons que ces items lexicaux ont d’abord été présentés dans un questionnaire pré-lexical afin d’attester de leur non-acquisition par les apprenants. Et ils l’étaient également dans un questionnaire post-lexical pour vérifier l’acquisition lexicale des items proposés.
L’expérimentation a commencé à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de la Sorbonne, au sein de la bibliothèque universitaire, réunissant 12 sujets sélectionnés après dépouillement des questionnaires pré-lexicaux. Les apprenants ont été appelés par groupes de trois pour participer à l’expérimentation à tour de rôle. De même, la coordination du passage de chaque élève a permis une organisation de l’expérimentation optimale. Comme les élèves appartiennent à la génération des jeux vidéo, l’implication a été relativement rapide et la participation au jeu été ressentie comme un moment de détente, voire comme une récompense. Enfin, la disposition de tables mobiles de quatre dans la salle informatique de la BU a permis de proposer une approche d’apprentissage moins frontale et plus informelle.
Face aux difficultés rencontrées, il a été possible de demander des explications au formateur[37]. Globalement, ce dernier n’a été que très peu sollicité[38] . Ceci est une observation pédagogique très intéressante pour l’enseignant : en effet le dispositif a permis de lui attribuer une place inhabituelle dans la mesure où, en retrait, il endosse le rôle « d’accompagnant » de l’apprentissage actif via le jeu sérieux. Précisons que chaque passage a duré environ une heure[39], à l’issue de laquelle les candidats ont renseigné les questionnaires post-lexicaux et également un questionnaire post-lexical pour vérifier l’acquisition lexicale des items proposés.
Cette expérimentation a permis de faire la lumière sur un constat assez étonnant : celui de l’appréhension ressentie chez les apprenants ne semblant pas saisir l’intérêt et la pertinence d’une telle démarche. L’apprentissage d’une langue étrangère est perçu comme exigeant et constitue pour ces étudiants un certain sacrifice, puisqu’ils ont quitté leur pays d’origine pour intégrer une université française réputée[40]. Le recours au jeu vidéo, dispositif peu commun, pouvait en outre leur sembler éloigné du registre académique attendu[41]. Pendant leur partie, les apprenants devaient s’imprégner des expressions/tournures grammaticales liées à l’ethos[42], formulées par les PNJ[43] . Les formulations[44] étaient adjointes aux dialogues, permettant leur progression dans les missions[45]. Au fur et à mesure de l’atteinte des objectifs, l’appréhension a disparu et les apprenants ont même montré un certain plaisir à jouer à ce type de jeu. En complément du groupe test, un second groupe a suivi une séance didactique plus conventionnelle.
La comparaison de cette séance à une séance didactique a permis d’ajouter une dimension scientifique à l’expérimentation car elle a évalué deux contextes d’apprentissages différents en termes de résultats. Pour ne pas influencer[46] les participants du groupe contrôle, une formatrice FLE, chargée de cours à l’Université Sorbonne, a été sollicitée pour la conception d’une unité didactique s’appuyant sur l’approche actionnelle. Pour ce faire, nous[47] lui avons suggéré d’utiliser comme support la bande annonce du film « Casse-tête chinois »[48] car les dialogues du film exploitent des tournures lexicales proches des items cibles.
Pour les supports matériels, la formatrice a eu besoin d’utiliser des photos du film[49] et des ouvrages[50] de grammaire qui ont été proposés aux apprenants. Après avoir projeté la bande annonce du film et distribué l’affiche cinématographique, les apprenants ont formulé des hypothèses de lecture quant au thème de la projection.
La séance a débuté par une sensibilisation : la formatrice a présenté le film dans un premier temps et a vérifié auprès des étudiants s’il avait déjà été visionné auparavant. Il s’est avéré qu’ils l’avaient déjà exploité au cours d’une séance de travail l’année précédente avec une collègue de l’enseignante dans le cadre de la semaine du cinéma. Toutefois, cette captation n’avait pas été traitée du point de vue du mariage blanc[51]. Après une mise en perspective les différentes représentations auxquelles renvoyaient le film, la bande annonce a été projetée, ce qui a donné lieu à des questions[52]. La formatrice a ensuite projeté une photo du film et posé d’autres questions[53].
Elle a simulé un éventuel interrogatoire que pourrait mener un policier dans une situation comme celle-ci. Précisons que rien n’a été inscrit au tableau car les participants allaient être, par la suite, testés autour de ces questions. C’est également ce qui allait permettre de travailler les faits de langue à travers les exercices proposés par la suite. Un raisonnement par induction des notions grammaticales était attendu. Par déduction, les apprenants ont tout de suite repéré que la forme interrogative était le point de langue attendu pour aborder la séance. Pour mieux les orienter, un diaporama du cours leur a été proposé. Par comparer les résultats du groupe contrôle et du groupe test selon les mêmes critères d’interaction. Précisons que chaque membre du groupe travaillait de manière individuelle et l’accès aux ouvrages de grammaire, ainsi qu’une connexion internet, était autorisé. L’objectif était qu’ils puissent proposer une règle écrite de grammaire, préparée en amont, afin de pouvoir l’expliquer à l’oral au reste du groupe et à la classe.
Ensuite, il leur a été proposé de réaliser deux exercices pour s’assurer que la leçon avait bien été comprise. Le but était d’éviter de copier mot à mot les termes des ouvrages pour savoir expliquer ce qui avait été compris, et de s’approprier la leçon en l’expliquant avec leur propre lexique et par la reformulation. Pour les encourager, la formatrice leur a montré des schémas sous forme de carte mentale, et a ainsi privilégié un mode d’apprentissage visuel[54]. Cette approche leur a facilité la reformulation de la règle et leur a permis de concevoir eux-mêmes leurs exercices de systématisation. Pendant le temps de préparation, la formatrice passait entre les groupes et s’assurait que les consignes avaient bien été comprises, que les reformulations écrites étaient claires et accessibles à leurs camarades, avec une vigilance particulière pour le « copier-coller », auquel cas elle exigeait qu’ils recommencent.
Par la suite, il était attendu que les apprenants s’échangent les exercices afin de les compléter. Le rédacteur de l’exercice avait pour tâche de corriger l’exercice de son camarade. Chacun devait faire les exercices de l’autre, de manière à pouvoir les échanger entre eux au sein du même groupe de trois. Les exercices n’étaient pas montrés aux autres membres des autres groupes. Cette méthode permettait d’obtenir une correction par les pairs d’un mini groupe. Aucune correction n’a été proposée en classe, la formatrice passant entre les groupes pour s’assurer simplement du bon déroulement de l’exercice. Pour la correction, certains volontaires ont proposé de partager leurs exercices avec le reste de la classe par mail s’ils le souhaitaient.
La mise en situation proposait au groupe d’interpréter les rôles du couple et du policier, présentés sur l’affiche. Ainsi, la formatrice a invité chacun des groupes à interpréter l’un des rôles. Pour les couples, les groupes pouvaient interpréter tout type de couple autorisé par la loi française. L’apprenant qui jouait le rôle du policier devait construire des questions et le couple préparer des réponses afin de créer la trame d’une histoire. Il fallait ainsi préciser les circonstances dans lesquelles le couple s’était rencontré, leurs goûts et projets personnels en commun. Pour s’assurer que les réponses ne soient pas audibles pour les autres, la formatrice a séparé les policiers des couples. L’objectif grammatical était axé sur l’adjectif possessif et a été manipulé de la même manière que pour les règles précédentes : un apprenant concevait la règle et les deux autres préparaient les exercices pour les autres.
L’expérience de cet exercice a ainsi conforté la formatrice quant à l’efficacité du travail en îlots[55] : cela a permis de consacrer le temps nécessaire à chaque étape de la séance, de cibler avec plus de précision les exercices et de faire participer, par des activités langagières orales et écrites, l’ensemble des apprenants. La mise en place des trinômes a donné la capacité à chaque groupe de travailler sur les points de langue sur lesquels ils allaient être évalués. Ainsi, il est possible de dire que chaque trinôme a étudié tous les points, ce qui n’aurait pas pu être le cas si la formatrice avait mis en œuvre une autre organisation, ne leur permettant d’appliquer qu’une partie des règles. Après chaque passage, le trinôme présentait le point de langue qu’il avait préparé, tandis que les autres participants observaient attentivement et vérifiaient la bonne réutilisation des structures grammaticales abordées. Pour le vérifier, un point de langue était proposé à la fin de chaque passage, la formatrice interrogeant les apprenants sur la bonne utilisation des points de grammaire et leur demandant s’ils avaient des remarques à partager à ce sujet.
Une fois la séance terminée, des questionnaires post-lexicaux ont été distribués aux participants. Précisons que le questionnaire reprenait les items cible de l’expérimentation, mais adaptés à la séance conçue par l’enseignante. Les questions reprenaient les thèmes du film et les points grammaticaux vus en classe, afin de permettre aux étudiants de trouver les réponses attendues. Le questionnaire était constitué d’exercices à trous que les apprenants devaient compléter par les items lexicaux qui leur étaient proposés dans la consigne[56]. Le contexte du film a été retranscrit correctement, puisqu’il s’agissait d’une mise en scène fictive entre le policier et le couple convoqué dans le cadre de l’enquête. Afin de mieux lister les thèmes et aider les apprenants à placer correctement les items, un titre dans lequel était indiqué le sujet était placé en tête de chaque question.
Présentation et analyse des résultats
Après le cours, les questionnaires lexicaux ont été distribués aux apprenants du groupe contrôle. Voici les résultats exposés ci-dessous :
Graphique 1 – Questionnaires post-lexicaux du groupe contrôle. Graphique réalisé par nos soins.

Beaucoup d’éléments parmi les résultats obtenus par le questionnaire ont attiré notre attention. Néanmoins, seuls certains traits essentiels à l’analyse détaillée[57] de l’hypothèse seront présentés succinctement[58] dans cette étude. Les résultats indiquent que les tournures grammaticales considérées comme acquises sont les formes affirmatives « je viens de » et « je m’appelle » ainsi que la forme interrogative : « connais-tu ? » : la totalité des sondé.es les ont reformulées correctement[59]. La maîtrise de ces tournures n’est pas surprenante puisqu’elles sont utilisées quotidiennement dans la vie courante pour se présenter. Cette première observation conduit à examiner plus précisément la question de l’aspect et de l’énonciation.
En ce qui concerne la notion d’aspect et de présent d’énonciation, la tournure la moins maîtrisée est « je suis venu » avec seulement 3 bonnes réponses sur 12 sondé.es. Pour mieux comprendre ce faible score, il est pertinent de revenir à l’enseignement de la valeur aspectuelle du présent d’énonciation. En effet, elle n’est pas forcément la plus accessible d’un point de vue grammatical, et son appropriation est tributaire d’un certain nombre de paramètres internes tel que l’expérience vécue, le parcours personnel ou les perceptions subjectives. Les théoriciens de la linguistique ont toujours attribué « une place essentielle à la réflexivité de l’activité verbale, et en particulier aux coordonnées qu’implique chaque acte d’énonciation : coordonnées personnelles, spatiales et temporelles, sur lesquelles s’appuie la référence de type déictique »[60]. Cependant, l’énonciation, qui comprend également la sémantique, a « fortement [été] marquée par les courants pragmatiques »[61]. De ce fait, elle « met l’accent sur le rôle du contexte dans le processus interprétatif, sur la contextualité radicale du sens »[62]. Enfin, sur la notion de valeur aspectuelle, et plus précisément celle de présent d’énonciation comprise dans les champs disciplinaires qui prennent en charge le « discours »[63], les chercheurs se sont penchés sur les « genres de discours, c’est-à-dire [les] institutions de parole à travers lesquelles s’opère l’articulation des textes et des situations où ils apparaissent »[64]. On peut en conclure que l’usage du serious game ne suffit pas à garantir une compréhension fine du présent d’énonciation, qui requiert un accompagnement métalinguistique explicite.
Ce constat amène à s’interroger sur les raisons précises de cette difficulté, que nous avons cherché à identifier à travers plusieurs hypothèses explicatives. Nous avons souhaité nous pencher sur l’une d’elles, qui nous paraît assez évidente : la difficulté pour un apprenant de ce niveau linguistique, et dans son usage de la langue, de formuler un énoncé avec toutes les contraintes que cela implique. En effet, les apprenants, de niveau A2/B1 pour la plupart, étudiant pour l’obtention d’un DU, et nouvellement arrivés en France, n’ont pas intégré à ce stade les usages de la langue, qui permettraient la compréhension de la notion d’aspect. En effet, l’énoncé doit nécessairement s’ancrer à un point de repère spatio-temporel. Maingueneau le confirme lorsqu’il indique que le langage humain « a pour caractéristique que les énoncés prennent un point de repère l’événement énonciatif même dont ils sont le produit »[65]. Ainsi rappelle-t-il que « ce ne sont pas toutes les caractéristiques de cet événement qui sont prises en compte, mais celles qui définissent la situation d’énonciation linguistique : énonciateur et co-énonciateur, moment et lieu de cette énonciation »[66]. Appuyons-nous sur l’exemple cité par Maingueneau :
Quand nous lisons dans un horoscope : BÉLIER. – Travail : Vous pourriez recevoir encore quelques coups de griffe de la part d’adversaires bien décidés à vous mener la vie dure. Vous devrez donc vous battre, cette semaine. Vous relèverez ce défi car vous en êtes capable et savez tirer profit de vos expériences. « Le » vous désigne celui qui lit cette publicité au moment même où il la lit ; si un autre lecteur la lit, le référent de vous va donc changer. Quant aux verbes au présent de l’indicatif, ils tirent leur référence temporelle du moment même de l’énonciation, c’est-à-dire du jour où l’horoscope est diffusé dans les médias. Si l’on lit ce texte six mois plus tard, l’énoncé ne sera plus valide : le présent référera en effet à un autre moment.[67]
De ce fait, le participe passé « je suis venu » à valeur de présent d’énonciation a pu s’assimiler ici par l’expérience internalisée et individuelle de l’apprenant.
L’apprentissage de la grammaire dans l’acquisition d’une langue seconde est incontournable dans l’enseignement des langues. Son enseignement, souvent implicite, à l’aune de l’approche actionnelle, par le biais d’une méthode inductive, appartient aux compétences communicatives. L’enseignant endosse le rôle de « facilitateur d’apprentissage », notamment en ce qui concerne les points complexes de la langue. L’emploi du passé composé l’illustre bien, dans le sens où il reste, pour l’enseignant de langue, aléatoire dans les productions des étudiants[68] qui en saisissent difficilement les subtilités. La confusion entre le passé composé et l’imparfait, en général, et en particulier en ce qui concerne leurs valeurs aspectuelles, a été relevée dans l’étude de Nguyen Thuc Thành Tín et Trân Thiện Tánh[69] auprès d’apprenants vietnamiens anglophones.
Le parallèle avec les candidats de l’expérimentation qui ont appris la grammaire française avec la méthode communicative est intéressant car il permet d’étayer nos interprétations et d’interpréter leurs difficultés. Cette partie a rendu compte des premiers résultats : celle du groupe contrôle. Nous nous proposons de présenter les résultats du groupe test serious game, afin de comparer le taux d’acquisition lexical entre les deux groupes et d’en tirer des conclusions.
Après avoir joué aux Éonautes, les apprenants ont renseigné les questionnaires post-lexicaux. Les réponses attendues ont été surlignées en rouge. Ainsi, les autres réponses, même correctes grammaticalement et sémantiquement, ont été comptées comme fausses.
Graphique 2. Résultats des questionnaires post-lexicaux du groupe serious game. Graphique réalisé par nos soins.

Le résultat du dépouillement révèle que les items cibles ont été globalement assimilés. En effet, les données montrent que cinq items lexicaux[70] ont été totalement assimilés : nous comptons comme assimilées les tournures grammaticales affirmatives « je viens de », « je viens pour », « je cherche » et les tournures interrogatives « d’où viens-tu », « que viens-tu faire ici ? ».
Toutefois, aucun des sondé.es n’a acquis l’item « je suis venu ». Le lien a donc été établi avec l’hypothèse présentée pour le groupe contrôle : le passé composé, temps verbal, peu étudié en 1ère année de DU FLS, a pu brouiller leur réflexion. Par ailleurs, nous nous sommes intéressés à l’item lexical « je dois » qui n’a été assimilé que par deux apprenants sur douze, lesquels ne l’ont aucunement restitué dans l’exercice à trous. Il est possible qu’à l’instar des sondé.es du groupe contrôle, le groupe test n’ait pas pu assimiler cette forme à cause d’une faible utilisation de cette tournure en classe et/ou dans la vie de tous les jours. Afin de mieux cerner ces usages, il convient à présent d’examiner les modalités d’emploi du verbe devoir.
La compréhension de l’utilisation de ce verbe nécessite de nous pencher sur l’analyse des verbes modaux : la modalité déontique, qui est sa fonction première, et la modalité épistémique. La première qui appartient à l’essence du verbe « est une modalité du FAIRE, qui correspond grosso modo à ce que l’on appelle, surtout en linguistique anglo-saxonne, modalité radicale (root modality) ou modalité orientée vers l’agent (agent-oriented modality), contrairement à la modalité épistémique « qui est une modalité de l’ETRE. »[71]. Les apprenants n’ont pas appris cette forme car elle appartient au domaine de la modalisation déontique et non à celui de l’utilisation directe : c’est une manière de contourner l’action, en précisant comment faire la chose. L’emploi de cette forme peut également rappeler une certaine idée d’urgence « à faire la chose ». D’ailleurs, la modalité déontique (D) indique pour Huot « l’obligation-nécessité »[72] dont la valeur est exclusivement modale (d’où le trait d’union) tandis que la modalité épistémique (E) renvoie à la « probabilité-future »[73], également considérée comme valeur unique. D’autres linguistes, tel que Sueur[74] font la différence à l’intérieur des modalités radicales entre « l’obligation » et la « nécessité ». Voici quelques exemples cités par Hans Kronning dans son article[75].
- LA SŒURANGELIQUE. —Nous devons (D-TH) nous opposer à l’injustice, autant que les lois le permettent, parce que ce nous est une obligation de maintenir les droits de notre communauté, et que ce serait en quelque sorte consentir à l’injustice, que de ne s’y opposer pas. (Montherlant, 1954 :52)
- Pour atteindre le boulevard Montparnasse, j’ai dû (D-PR) me frayer un chemin à travers les couples dansants. (Mauriac, 1933 :187)
- Marlyse se retourne, grogne, se rendort. J’ai dû (E) la heurter de mon coude. (Borniche, 1976 : 296)
Dans le premier exemple (1), le verbe « devoir » est utilisé au sens déontique, contrairement à la « nécessité » exemplifiée par Sueur à travers la deuxième phrase (2). Le linguiste explique ici que les circonstances l’ont « obligé »[76] à se frayer un chemin. Le linguiste considère l’emploi du verbe « devoir » comme relevant d’« une obligation pratique »[77] (D-PR), produit d’une « inférence pratique »[78]. Ce qui amène à la conclusion que la « nécessité » de Sueur, englobée sous la modalité déontique lato sensu renvoie au FAIRE, et non à l’ETRE. Cette approche a ainsi été retenue pour étayer l’hypothèse selon laquelle les apprenants n’avaient pas intégré cette forme particulière du verbe devoir. D’une part, il est constaté que sa construction particulière est peu enseignée à ce niveau linguistique en didactique de la grammaire FLE[79]. Hormis cela, les trois quarts des sondé.es avaient acquis les tournures grammaticales affirmatives « je m’appelle », « je vous propose », ainsi que la tournure interrogative « connais-tu » : cela pouvait s’expliquer par le fait qu’elles soient utilisées quotidiennement, notamment dans le cadre de l’ethos discursif[80], a fortiori d’un étudiant étranger ou d’une étudiante étrangère.
Enfin, même si elles n’ont pas été totalement acquises, les tournures grammaticales « j’ai » et « je voudrais » ont été assimilées pour 11 apprenants sur 12 : nous considérons donc qu’elles ont été globalement assimilées par le groupe serious game.
Comparaison des résultats
Graphique n°3. Comparaison des résultats (nombre). Graphique réalisé par nos soins.

Graphique n°4. Comparaison des résultats (pourcentage). Graphique réalisé par nos soins.

Rappelons que cette expérimentation visait à comparer l’acquisition lexicale d’items cibles auprès d’un groupe ayant expérimenté le serious game les Éonautes et celle d’un groupe contrôle, soumis à une séquence pédagogique traditionnelle, respectant l’approche actionnelle. Pour mémoire, ces deux groupes ont bénéficié des mêmes critères d’interaction. Ainsi, il était important de vérifier si le groupe test serious game présentait un score supérieur dans l’acquisition lexicale des items cibles, au groupe contrôle. On constate, grâce à l’analyse des deux tableaux comparatifs, que les apprenants des deux groupes présentent une acquisition lexicale presque similaire : une différence significative[81] a toutefois été observée pour les items « je suis venu »[82] et « je dois »[83] qui ont été partiellement assimilés par les participants du groupe test, à la différence du groupe contrôle, qui ne les a pas acquis. Des pistes de réflexion ont précédemment permis de proposer des hypothèses qui pouvaient faire la lumière sur ces différences de score[84].
Retour aux hypothèses
Grâce à la comparaison des résultats de nos deux groupes, il a été possible de répondre à l’hypothèse de départ.
Graphique n°5. Comparaison des scores des deux groupes. Graphique réalisé par nos soins.

Il apparaît sur ce graphique comparatif que l’hypothèse de départ, selon laquelle le serious game favoriserait une acquisition lexicale supérieure à celle du groupe témoin, est invalidée : aucune tendance représentative[85] ne s’est démarquée entre les deux groupes, ce qui n’implique pourtant pas l’inefficacité du support d’apprentissage testé. Par conséquent, il n’est pas possible de confirmer, à l’issue de cette recherche, que le serious game permettrait une acquisition lexicale supérieure à un contexte d’apprentissage plus conventionnel, respectant l’approche actionnelle.
L’analyse quantitative du corpus a fait apparaître certaines difficultés d’ordre méthodologique, la plus grande étant l’échantillon réduit des sujets, qui en l’état, ne permet pas d’obtenir une réelle représentativité des scores recueillis dans ce corpus. Les contraintes rencontrées sur le terrain sont proportionnelles à la marginalité de ce type de recherche, le jeu vidéo n’ayant pas encore bien pénétré le milieu scolaire[86].
Discussions
En outre, ces résultats sont à mettre en perspective avec des différences notables qu’il est intéressant d’évoquer ici :
- Les deux groupes n’ont pas bénéficié du même temps d’expérimentation : le groupe test a expérimenté le jeu durant une partie d’1h15[87], tandis que le groupe contrôle a assisté à une séance en classe d’une durée totale de 4h15, qui a abouti à la complétude d’un questionnaire validant leurs acquis. Pourtant, pour une durée d’expérimentation différente, le groupe test a globalement assimilé le même nombre d’items. Il conviendrait de s’intéresser alors au bénéfice de temps que pourrait offrir le serious game aux apprenants dans l’acquisition lexicale d’une séance de cours.
- En dehors de l’acquisition des items cibles, l’expérimentation a montré que les apprenants ont assimilé, en une heure de jeu, des vocables nouveaux, tels que « tunique » ou « poterie à rayures violettes »[88]. Or, ces items ne concernaient par ceux de l’expérimentation. Cette observation interroge sur les bénéfices potentiels d’un serious game pour l’acquisition lexicale. Cela pourrait être le fruit de la motivation générée par le jeu, telle que présentée dans l’expérimentation de Laurence Schmoll[89] notamment par l’accomplissement de défis. Cela reviendrait à s’intéresser à la motivation intrinsèque liée à l’accomplissement[90], autrement dit la satisfaction que les apprenants retirent lorsqu’ils relèvent un défi et se perçoivent comme efficaces et compétents. Il conviendrait alors d’explorer les possibilités qu’offre le serious game dans l’acquisition lexicale, lorsque nous sélectionnons d’autres types de vocables, plus simples à retenir.
- Par ailleurs, il eût été intéressant d’interroger les habitudes de jeu entre les hommes et les femmes, s’il est possible d’établir des différences de genre dans ces Elles auraient sans doute permis d’expliquer les résultats obtenus.
L’approche actionnelle a été retenue pour le groupe contrôle pour les raisons qui ont été précisées précédemment. D’autres méthodes auraient pu être utilisées en classe de langue, comme l’approche communicative[91], dont s’inspirent encore les formateurs, soit de manière exclusive, soit de manière hybride avec l’approche actionnelle. Le changement d’approche aurait également pu influencer l’apprentissage des items cibles et fournir des résultats différents. Ce questionnement s’inscrit dans une continuité de travaux antérieurs.
Mes recherches de master 2[92] proposaient une expérimentation similaire à la présente étude et présentaient l’acquisition de neuf unités lexicales appartenant aux noms de métiers de de la période historique des gaulois, tel qu’l est représenté dans le jeu les éonautes. Malgré l’échantillon limité sur lequel s’était bâtie cette expérimentation, elle avait néanmoins révélé des tendances assez nettes : en effet, les résultats avaient montré que le groupe serious game avait été plus efficace que le groupe contrôle (en contexte traditionnel).
L’ajout de ces données, récoltées dans un cadre limité[93], a permis de compléter les résultats de cette étude. Néanmoins, elle n’a pas permis de valider notre hypothèse de manière univoque par l’apport de données significatives, comme le validerait l’approche hypothético-déductive. Pour une meilleure représentativité, il conviendrait d’élargir cette expérimentation à un contexte plus large, par le recrutement d’un plus grand nombre d’apprenants afin de recueillir un échantillonnage plus représentatif d’un point de vue quantitatif. Cette limite méthodologique n’empêche toutefois pas de s’interroger sur l’intérêt qu’un tel dispositif peut également présenter pour l’enseignant.
Il a été constaté que l’utilisation du serious game dans l’acquisition lexicale est similaire à celle d’une autre méthode traditionnelle respectant l’approche actionnelle. Toutefois le gain de temps d’apprentissage semble supérieur pour le même type d’acquisition. Il conviendrait donc d’évaluer dans quelle mesure cet outil hybride est exploitable par l’enseignant de langue, en termes de gain de temps.
En outre, il faut noter que le choix d’un serious game implique d’y consacrer un minimum de temps. En effet, l’enseignant doit d’abord sélectionner un jeu suffisamment pertinent pour l’apprentissage concerné, tout en sachant que l’offre de serious game sur le marché, avec des scénarios pédagogiques déjà intégrés, reste encore limité[94]. Le formateur a toutefois la possibilité d’établir lui-même son scénario pédagogique a posteriori, à partir d’un jeu vidéo classique, qui n’a pas été conçu à cette fin (serious gaming). Pour accompagner ce processus, Julian Alvarez proposait dès 2017[95] une formation universitaire pour encadrer les enseignants de langue lors de l’intégration de l’outil en classe. Il expose les trois façons d’exploiter le jeu sérieux : l’évaluation diagnostique en début de jeu afin de délimiter ses objectifs, l’évaluation formative tout au long du jeu qui permettra d’intégrer une différenciation pédagogique au besoin, et enfin l’évaluation sommative en fin de jeu.
Conclusion
L’expérimentation dont il a été rendu compte ici est à ce jour exploratoire quant au sujet traité et au positionnement adopté[96]. En effet, aucune étude scientifique explorant l’acquisition lexicale d’une langue seconde par le biais de ce support n’a été réalisée : cette recherche est donc une étude pilote[97]. Le serious game a été une expérience nouvelle pour les participants, avec en sus, une prise en main complexe due aux nombreuses difficultés. Les indicateurs quantitatifs présentés sur les graphiques, ont permis de répondre à l’hypothèse de départ. Le corpus a révélé une acquisition lexicale globalement similaire entre le groupe d’apprenants expérimenté et le groupe contrôle. Bien que l’analyse des données quantitatives ne montre pas de tendances représentatives, les résultats et la discussion qui ont suivi ont permis de les adjoindre à l’analyse qualitative, grâce notamment à l’ajout du corpus du master 2[98]. Le statut du serious game jouit encore d’une mauvaise réputation : ces points négatifs ont été analysés dans de nombreuses études. Parmi elles, figure celle de Laurence Schmoll[99], qui liste une série d’observations critiques, tant sur l’aspect ergonomique que sur la scénarisation du jeu, et pose les jalons d’une version modifiée et améliorée des Éonautes, qui prendrait en compte les problèmes identifiés par des apprenants et des enseignants.
Toutefois, malgré le caractère informel du jeu, où la conscience d’apprendre n’est pas avérée[100], l’acquisition des items cibles était quasi similaire, donc aussi efficace que dans le cadre d’une méthode conventionnelle.
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NOTES
[1] Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement
[2] A titre d’exemple, l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), la Faculté des Langues et Culture étrangères et l’Université de Pau proposent une licence LEA avec des options FLE pour les étudiants non francophones.
[3] Pour plus d’information, voir Magda ORABI, Serious Game : sérieuses possibilités ? mémoire de Master II, Université de Lorraine, 2014 ; Magda ORABI, Serious Game : enjeux et perspective dans l’acquisition d’une langue seconde à l’aune de l’ethos, thèse de doctorat en Sciences du langage, thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Lorraine, 2022.
[4] Serious game destiné à l’apprentissage du français langue étrangère destiné à un public A2-B1, commercialisé de 2012 à 2019 par le développeur Almédia.
[5] Denyze TOFFOLI, L’apprenant-e de langue 2020, mémoire d’HDR, Université de Lille, 2018, [https://lilloa.univ-lille.fr/bitstream/handle/20.500.12210/18862.2/HDR_Toffoli_Denyze_vol.3_rapports.pdf?sequence=3]
[6] En modifiant (le développeur et scénariste du jeu) les éléments culturels, les dialogues et les activités pédagogiques afin de les faire correspondre aux spécificités de la langue cible.
[7] Michael ZYDA, From Visual Simulation to Virtual Reality to Games, Los Alamitos : IEE. Computer Society, 2005.
[8] Julian ALVAREZ et Laurent MICHAUD, Serious Games : Advergaming, edugaming, training and more, Paris : IDATE, 2008.
[9] David MICHEAL et Sande CHEN, Serious games : Games that Educate, Train, and Inform, Boston, Thomson Course Technology, 2005.
[10] “Games that do not have entertainment, amusement or fun as their primary purpose.”
[11] Michael ZYDA, From Visual Simulation to Virtual Reality to Games, Los Alamitos : IEE. Computer Society, 2005, p.26.
[12] Pour un panorama des définitions du serious game, voir Clark ABT, Serious Game, New York : Viking Press, 1970 ; Micheal ZYDA, From Visual Simulation to Virtual Reality to Games, Los Alamitos : IEEE Computer Society, 2005 ; Julia ALVAREZ, Damien DJAOUTI et Olivier JESSEL, Introduction au Serious Game, Toulouse : Editions Questions Théoriques, 2012.
[13] Julian ALVAREZ et Laurent MICHAUD, Serious Games : Advergaming, edugaming, training and more, Paris : IDATE, 2008, p.3.
[14] L’étude de Michel Lavigne met en évidence une faiblesse méthodologique dans les travaux portant sur les serious game et souligne la difficulté à mesurer les gains pédagogiques de l’outil.
[15] Nous postulons que ce phénomène ludique contribue à une sorte d’aseptisation de la langue, dans la mesure où l’apprenant n’est pas confronté à ce complexe d’infériorité ressenti face au locuteur natif, faute d’être pourvu de l’accent normé et du lexique adéquat.
[16] Michel LAVIGNE, « Les faiblesses ludiques et pédagogiques des serious games », Numérique et éducation, 2016.
[17] Le béhaviorisme est une théorie de l’apprentissage développée au début du XXe siècle, qui postule que l’acquisition de connaissances et de comportement repose sur des mécanismes de conditionnement, c’est-à-dire la répétition et l’automatisation de réponses à des stimuli. Cette approche a été fondée par John B. WATSON, Psychology as the Behaviorist Views It, Chicago : University of Chicago Press, 1913 et développée par Burrhus F. SKINNER, Science and Human Behavior, NewYork : Free Press, 1957.
[18] Gilles BROUGERES, Jouer/Apprendre, Paris : Economica, 2005.
[19] Sarah LABELLE et Aude SEURRAT, « Serious game et écriture des savoirs : hétérogénéité des médiations documentaires », dans Joumana BOUSTANY (dir.) La médiation numérique : renouvellement et diversification des pratiques – Actes du colloque Document numérique et société, Zagreb 2013, Louvain-la-Neuve : de Boeck Supérieur, 2013, pp.191-205.
[20] Serious game dédié à l’apprentissage du FLE, conçu par la société Almédia, commercialisé de 2012 à 2019.
[21] Denyze TOFFOLI, L’apprenant-e de langue 2020, mémoire d’HDR, Université de Lille, 2018. Disponible en ligne : https://lilloa.univ-lille.fr/bitstream/handle/20.500.12210/18862.2/HDR_Toffoli_Denyze_vol.3_rapports.pdf?sequence=3
[22] Le serious gaming, contrairement au serious game, consiste à extraire a posteriori le scénario pédagogique du jeu et de l’exploiter à des fins utilitaires.
[23] Tels que « d’où viens-tu ? », « Je m’appelle », etc.
[24] Dans un souci de neutralité, la tâche a été réalisée par une doctorante en Sciences du langage, formatrice FLE et chargée de cours du groupe contrôle afin de ne pas influencer les résultats du groupe contrôle.
[25] Le choix s’est orienté sur la présentation de soi (ethos) et des autres car cette compétence figure dans le descripteur du niveau A1 et A2 du CECRL.
[26] Pour l’expérimentation, les sujets dont les questionnaires présentaient 20% de tournures grammaticales « correctes » n’ont pas été retenus pour l’expérience. En effet, nous considérions l’acquis de ces tournures fragile, dans la mesure où d’autres réponses ont été cochées.
[27] Il s’agit d’un diplôme universitaire Français Langue de Spécialisation permettant d’accéder à une licence. Les étudiants sont Chinois et sont arrivés en France en mars 2020 avec un niveau A2. Les cours débutent en septembre jusqu’à fin juin. Margaret Bento, responsable du diplôme a été l’intermédiaire qui, avec les chargées de cours, a permis l’accès au terrain.
[28] Les questionnaires linguistiques présentent des questions du type : « Quel âge avez-vous ? », « Quel est votre niveau d’étude ? », « Utilisez-vous souvent l’ordinateur ? », « Possédez-vous une adresse mail ? », « Jouez-vous souvent aux jeux vidéo ? », etc.
[29] Il nous a paru pertinent d’évaluer le nombre de langues connues et maîtrisées et leur lien avec la langue cible. Ce degré de maîtrise peut influer sur les résultats.
[30] Le terme « habitus », tel que défini par Pierre Bourdieu, désigne un système de disposition durable et transposable, intégré par les individus au fil de leur expérience sociale, qui oriente leurs pratiques, leurs comportements et leurs représentations. Voir Pierre BOURDIEU, Esquisse d’une théorie de la pratique. Genève : Droz, et Le sens pratique. Paris : Editions de Minuit, 1972.
[31] Compte Facebook, adresse mail, jeux vidéo.
[32] Appartenant aux groupes de classes préparant le DU de FLE de l’Université Paris Sorbonne.
[33] Par une doctorante en Sciences du langage, et chargée de cours à l’université Paris Sorbonne.
[34] C’est-à-dire montrant qu’ils connaissaient déjà le lexique évalué.
[35] Il s’agit de la représentation informatique d’un joueur sous forme 3D.
[36] Le PNJ est un personnage contrôlé par l’ordinateur avec un comportement algorithmique, prédéterminé ou réactif. Les personnages non-joueurs sont à la fois les opposants aux personnages des joueurs (PJ), mais aussi les personnages aidant et accompagnant les PJ, ou simplement les habitants du monde, dont la vie se déroule indépendamment de celle des PJ.
[37] L’expérimentation du groupe contrôle a été conduite par une chargée de cours à la Sorbonne, spécialiste du FLE. Dans ce domaine, le terme « formateur » est couramment utilisé pour désigner l’enseignant, contrairement aux filières LEA ou aux langues vivantes, où l’on emploie volontiers « professeur », ou « enseignant ».
[38] Les seules sollicitations concernaient les questions autour des erreurs orthographiques de certains mots tels que « rayures » ou « poterie », ce qui ralentissait la progression du jeu.
[39] Les passages étaient régulés par un chronomètre, les longueurs s’expliquaient par les nombreux bugs informatiques rencontrés, dus au serveur du jeu ou à la connexion informatique incertaine, car nous utilisions le partage de connexion 4G d’un smartphone. Sans ces ralentissements intempestifs, les passages auraient été plus courts.
[40] Le départ à l’étranger pour études peut représenter un sacrifice important, tant sur le plan financier que personnel. Plusieurs travaux soulignent que la migration étudiante implique des coûts élevés pour les familles et un investissement qui dépasse la seule dimension académique. Voir Philip G. ALTBACH, « Globalisation and the University : Myths and Realities in an Unequal World », Tertiary Educatio and Management, vol 10, no.1, 2004, pp.3-25 ; et Walter Frederic BROOKS, History of the Fanning Family V1, Kessinger Publishing, 2010.
[41] Ces observations ont été recueillies auprès des apprenants, qui ont fait part de leur avis sur la pertinence d’un tel dispositif dans l’apprentissage du français.
[42] Les tournures grammaticales cibles ont été élaborées dans un contexte de présentation de soi. En effet, les tournures elles-mêmes ne sont pas directement liées à la présentation de soi. Exemple « je viens de » peut être interprété de deux manières différentes : la tournure peut renvoyer à la provenance (« je viens de tel endroit ») ou peut signifier « venir de la part de », voire indiquer le passé récent.
[43] Personnage non-joueur qui formule la narration du scénario pédagogique conçu par le professeur de FLE.
[44] Les formules affirmatives et interrogatives recueillies dans le jeu sont les suivantes : je viens de, je viens pour, j’ai, je dois, je voudrais, je suis venue, je m’appelle, je vous propose, connais-tu ?
[45] Personnage non-joueur qui énonce les missions à l’avatar, représenté par le joueur /sujet.
[46] Etant l’auteure de l’expérimentation, le fait d’animer le groupe aurait pu introduire un biais expérimental : mes attentes vis-à-vis des résultats risquant d’influencer involontairement le déroulement de la séance et le comportement des apprenants.
[47] Mon rôle s’est limité à la conception et à la supervision de l’expérimentation, la séance étant conduite par l’enseignante de FLE.
[48] Un film sorti en salle le 4 décembre 2013 et réalisé par Cédric Klapisch. Ce film retrace le parcours de Xavier (interprété par l’acteur Romain Duris), un quarantenaire fraîchement séparé de son épouse avec qui il a eu deux enfants, qui décide de s’installer à New York avec son nouveau compagnon. Ne pouvant se résoudre à vivre loin de ses enfants, il part s’installer à New York et décide de contracter un mariage blanc avec une sino-américaine, afin d’obtenir la nationalité américaine.
[49] L’affiche cinématographique ainsi que des photos tirées du film.
[50] Pour les ouvrages, la formatrice a utilisé toute la collection Bescherelle (conjugaison, orthographe, grammaire), les manuels Edito, saison, version originale, le Bled, grammaire et orthographe progressive du français niveau intermédiaire, ainsi que des exercices sur internet.
[51] Le fait que les apprenants aient déjà étudié ce film, mais sous un autre angle thématique, pouvait constituer un biais expérimental : certains d’entre eux risquaient de mobiliser des connaissances antérieures et d’anticiper les réponses attendues.
[52] Tels que « Pourquoi part-il vivre à New-York ? », « Avec qui se marie-t-il ? », « Que pensez-vous de ce mariage ? ».
[53] Tels que « Que se passe-t-il sur cette photo ? », « Que se passe-t-il aux EU comme en France lorsqu’il y a un mariage avec un étranger ? », « Que demandent les policiers au couple ? », « De quels points de grammaire avons-nous besoin selon vous ? ».
[54] Les apprenants sont déjà formés à cette approche méthodologique avec cette formatrice : l’approche visuelle, la construction individuelle des exercices de systématisation et de règles grammaticales par reformulation.
[55] Les bons résultats résultent sans doute de cette organisation en îlots.
[56] Les réponses attendues sont indiquées en rouge : de ce fait, les autres réponses, même correctes grammaticalement, n’ont pas été retenues comme bonnes.
[57] Une analyse fine et exhaustive est développée dans la thèse de Magda ORABI, Serious Game : enjeux et perspective dans l’acquisition d’une langue seconde à l’aune de l’ethos, thèse de doctorat en Sciences du langage, thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Lorraine, 2022.
[58] L’analyse est ici succincte car il s’agit de s’intéresser avant tout aux résultats obtenus par le dispositif serious game. Nous présenterons l’analyse d’une hypothèse.
[60] Dominique MAINGUENEAU, Analyse du discours et sciences humaines, Paris : Hachette, 2004, p.197.
[61] Ibid.
[62] Ibid.
[63] L’analyse du discours ou l’analyse conversationnelle.
[64] Ibid.
[65] Dominique MAINGUENEAU, Analyse du discours et sciences humaines, op.cit,, p.197.
[66] Ibid., p.197.
[67] Ibid., p.111.
[68] Nous prendrons l’exemple des apprenants vietnamiens et anglo-saxons cités dans l’article des professeurs Thành NGUYỄN THỨC et Thiện Tánh TRẦN, « Approche aspectuelle à travers le récit pour le passé composé et l’imparfait », Synergies Pays riverains du Mékong n° 8, 2016. Pp. 157-166
[69] Ibid.
[70] A l’instar de Cristelle CAVALLA, nous nommons items lexicaux les « unités lexicales » qui représentent «« des unités préconstruites autonomes, généralement munies d’un sens et servant à construire des énoncés ». Elles appartiennent « à des catégories syntaxiques variables, telles que les noms, les verbes, les adjectifs » et « ont plusieurs formes fléchies : analyse, analysais, analyserons…petit, petite, petits… ». Voir Cristelle CAVALLA, Elsa CROZIER, Danièle DUMAREST et Claude RICHOU, Le vocabulaire en classe de langue, Paris : Clé International, 2009, p.12.
[71] Hans KRONNING, La modalité déontique en français contemporain : une approche sémantique et discursive, Uppsala : Acta Universitatis Upsaliensis, 2001, p.1
[72] Hélène HUOT, La modalisation en français : étude linguistique du verbe devoir, Paris : Presses Universitaires de France, 1974, p.87.
[73] Ibid., p.87.
[74] Jean-Paul SUEUR, Les modalités et leur expression en français contemporain, Paris : Presses Universitaires de France, 1975 ; Id. Modalités et subjectivité, Paris : Klincksieck, 1979 ; Id., Etudes de linguistique française, Paris : Orphys, 1983.
[75] Ibid.
[76] Ibid.
[77] Ibid.
[78] Georg Henrik VON WRIGHT, Norm and Action, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1963, p.17.
[79] La modalité n’est enseignée dans certains pays européens qu’à partir de 12 ans. Pour plus d’informations, consulter l’article de José Antonio COSTA, « L’enseignement de la modalité linguistique en primaire : des voies méthodologiques possibles et souhaitables », Bellaterra Journal of Teaching & Learning Language & Literature, vol.12, n°2, 2019, pp.41-59. Disponible en ligne : https://revistes.uab.cat/jtl3/article/view/v12-n2-costa/810-pdf-fr
[80] Oswald DUCROT, Le dire et le dit, Paris : Les Editions de Minuit, 1984, p.201. Ducrot y distingue l’ethos dit (« ce que le locuteur montre ») et l’ethos montré (« ce que révèle sa manière d’énoncer »).
[81] Cette affirmation est toutefois à nuancer car sans études statistiques ou exercices post lexicaux (type multi-tâches), le résultat ne peut être optimal.
[82] 25% pour les sujets du serious game à la différence du groupe contrôle qui n’a présenté aucune réponse attendue.
[83] 75% pour les sujets du serious game à la différence du groupe contrôle qui ne l’a acquis qu’à hauteur de 17%.
[84] Pour plus d’explications, se référer aux résultats du groupe ayant expérimenté le serious game et à ceux du groupe contrôle.
[85] Là aussi : sans l’élaboration d’études statistiques et d’exercices post lexicaux type multi-tâches, il n’est pas possible d’affirmer dans l’absolu que les résultats présentés ne soient pas représentatifs.
[86] Nous avons évoqué ce point dans la critique du jeu ci-après.
[87] Sans recevoir de cours préalable.
[88] Ces données apparaissent dans plusieurs questionnaires (cf. les questionnaires post-lexicaux)
[89] Laurence SCHMOLL, « Jeux vidéo et apprentissage des langues : motivation, immersion et interactions », Etudes de linguistique appliquée, n°161, 2011, p.83-96.
[90] Rayan et Deci expliquent que la motivation intrinsèque à l’accomplissement est en jeu « lorsque l’individu a le sentiment de relever des défis ». Edward L. DECI et Richard M. RYAN, « The « What » and « Why » of Goal Pursuits : Human Needs and the Self-Determination of Behavior », Psychological Inquiry, vol.11, n°4, 2000, p.227-268.
[91] Par « approche communicative », nous entendons ici une démarche didactique centrée sur l’interaction et l’utilisation de la langue en contexte, telle qu’elle est encore mobilisée par de nombreux formateurs FLE. Dans notre cas, elle aurait pu constituer une alternative à la projection, soit seule, soit combinée à l’approche actionnelle. Voir, à ce propos, Jean Pierre CUQ, Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Clé Internationale, 2003.
[92] Magda ORABI, Serious Game : sérieuses possibilités ?, mémoire de master, 2014.
[93] Il s’agit des données recueillies dans le cadre de l’expérimentation menée pour mon mémoire de master 2.
[94] Magda ORABI, Serious Game : enjeux et perspective dans l’acquisition d’une langue seconde à l’aune de l’ethos, thèse de doctorat en Sciences du langage, thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Lorraine, 2022.
[95] Julien Alvarez a été co-responsable pédagogique du DIU Apprendre Par Le Jeu.
[96] L’analyse quantitative couplée à des observations qualitatives.
[97] Aucune étude de ce type n’a été publiée dans la littérature du serious game en didactique des langues. Cette recherche est donc inédite.
[98] Traitant de la même problématique, et du même support.
[99] Laurence SCHMOLL, « Jeu vidéo d’apprentissage des langues en milieu scolaire : ce qu’en disent les élèves », Ludologie médiatique, Recherches en communication, 49, 2019, pp.9-30.
[100] Contrairement à la classe où les apprenants sont conscients de leur apprentissage.
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Date de réception de l’article : 17 novembre 2023
Deuxième soumission : 10 mars 2025
Date d’acceptation de l’article : 18 septembre 2025
Mise en ligne : 2 décembre 2025
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Auteurs
Résumé
A l’ère de la révolution numérique profitant aux didactiques des langues, un support d’apprentissage ludique et immersif semble prometteur : le serious game. Dans ce sens, il s’avère pertinent d’exploiter le bénéfice de cet outil dans l’acquisition d’une langue seconde. Ainsi, cette étude se penche sur l’apport lexical du serious game, à travers une expérimentation qui a réuni deux groupes d’apprenants de niveau A2/B1 du CECRL, évalués sur l’acquisition de douze tournures grammaticales. La démarche de recherche adoptée se base sur la comparaison d’un groupe test confronté au serious game avec un groupe contrôle utilisant une méthode conventionnelle s’inspirant de l’approche actionnelle. Les résultats montrent une acquisition lexicale globalement similaire entre les deux groupes, tout en soulignant le gain de temps offert par le jeu et son intérêt didactique potentiel.
Mots-clés : serious game, acquisition, compétence lexicale, didactique du FLE, support numérique.
Abstract
In the age of new technologies in language teaching, a playful, immersive learning tool called serious game appears to be promising. In this respect, it has proved relevant to take advantage of its contribution to second language acquisition. From a didactic point of view, we reflect on the lexical contribution of serious games through an experiment involving two groups of learners at the A2/B1 level of the CECRL, evaluated on the acquisition of twelve grammatical turns. The research approach adopted is based on a comparison between a test group exposed to a serious game and a control group using a traditional teaching method inspired by the action approach. The result reveals a broadly similar lexical acquisition between the two groups, while highlighting the time-saving potential of the game.
Keywords: serious game, acquisition, lexical competence, teaching of French as a second language, digital support.
Texte
Introduction
Outil didactique, le serious game est l’un des supports clé de la culture numérique appartenant à la famille des TICE[1]. La recherche révèle que cet outil, issu de la révolution numérique, suscite des questions, notamment sur la valeur ajoutée qu’il pourrait apporter à l’apprenant dans le développement de ses compétences et de sa stratégie d’apprentissage. C’est grâce à l’émergence d’outils numériques dans le contexte des didactiques des langues que l’utilisation du serious game en tant que support d’apprentissage d’une langue étrangère apparaît comme une ressource potentielle pour les apprenants touchés par une baisse de motivation. Il est également intéressant de s’interroger sur l’apport d’un tel outil en termes d’intérêt pédagogique à un.e enseignant.e de langue étrangère, notamment dans la filière des langues étrangères appliquées (LEA), où des cours de FLE peuvent être intégrés dans le programme de licence pour les étudiants étrangers[2]. Il convient dès lors d’analyser si cet outil peut constituer un apport significatif par rapport aux méthodes d’apprentissage traditionnelles. L’expérimentation a été menée auprès d’étudiants chinois inscrits en DU de FLE, mais ses résultats sont transposables et particulièrement intéressants pour la filière LEA, dans laquelle l’intégration de cours de FLE constitue un atout important pour l’accompagnement des étudiants allophones.
C’est précisément l’émulation autour du jeu et sa possible exploitation en classe de langue qui ont alimenté cette recherche[3]. A partir de ce constat, nous avons choisi de centrer notre étude sur le serious game les éonautes[4], seul jeu de ce type diffusé auprès d’institutions d’enseignement du FLE et documenté par des travaux de recherche[5]. L’expérimentation mise en place repose sur la comparaison entre un groupe test, confronté au jeu, et un groupe contrôle utilisant la méthode traditionnelle inspirée de l’approche actionnelle. Bien que ce jeu ne soit plus commercialisé depuis 2019, son analyse reste pertinente car elle permet d’évaluer l’intérêt pédagogique du serious game pour l’acquisition du lexique en classe de langue. L’étude vise plus précisément à mesurer l’apport du dispositif dans l’acquisition de tournures grammaticales, et à examiner si ce type de support peut favoriser la motivation et l’engagement des apprenants par rapport à des méthodes plus classiques. Enfin, si l’expérimentation porte sur l’apprentissage du français, elle ouvre la possibilité d’une transposition à l’apprentissage du lexique d’autres langues[6], confirmant l’intérêt du serious game comme outil didactique hybride.
Le serious game : nouvel outil d’apprentissage en didactique des langues ?
Apporter une définition précise au serious game est une tâche ardue tant la publication scientifique dans ce domaine foisonne depuis le début des années 2000. Si le terme avait été introduit dès les années 1970 par le politologue Clark Abt, c’est surtout avec l’essor des TICE et les travaux de l’informaticien Zyda[7] ou des chercheurs Alvarez et Michaud[8] que l’intérêt académique s’est affirmé. Les chercheurs Sande et David[9] ont toutefois initié une définition concise sur laquelle repose tout le concept : « jeu dont la finalité première n’est pas le simple divertissement »[10]. Le directeur du laboratoire USC Game Pipe à Los Angeles, Michael Zyda l’illustre par une métaphore plus imagée :
Un défi cérébral contre un ordinateur impliquant le respect de règles spécifiques, et qui s’appuie sur le divertissement pour atteindre des objectifs liés à la transformation institutionnelle ou professionnelle, l’éducation, la santé, la politique intérieure ou la communication.[11]
Il existe une pléthore[12] d’approches du serious game. Nous nous sommes toutefois attachés à celle d’Alvarez et Michaud :
La vocation d’un serious game est d’inviter l’utilisateur à interagir avec une application informatique dont l’intention est de combiner à la fois des aspects d’enseignement, d’apprentissage, d’entraînement, de communication ou d’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo. Une telle association a pour but de donner à un contenu utilitaire (serious), une approche vidéoludique (game).[13]
C’est principalement ce que promettent les jeux numériques à des fins pédagogiques : s’extirper du contexte formel, qu’il s’agisse d’un usage en classe ou dans un contexte autonome hors classe. Ainsi, l’apprenant endosse le rôle du joueur, et il est presque possible d’occulter le contenu sérieux s’il se laisse prendre par les ressorts ludiques en adoptant un autre état d’esprit. Les gains supposés sont davantage présentés de manière empirique que scientifique[14]. D’ailleurs, ce qui est mis le plus en exergue dans ce type de dispositif est de susciter la motivation de l’apprenant et de diminuer la prise de risque dans la langue-cible, notamment en la dédramatisant[15], grâce à l’environnement virtuel.
Toutefois, le lien entre l’apprentissage et le jeu n’est pas formellement avéré[16]. Sans doute est-il possible d’apprendre par le jeu en intégrant des automatismes[17], ou en parvenant à baigner en immersion dans des situations du jeu, ce qui permettrait de bénéficier d’un « apprentissage informel »[18]. Néanmoins, l’acquisition de concepts abstraits ou de raisonnements complexes sans cheminement intellectuel laissent songeur. En effet, l’aptitude à la généralisation et au transfert requiert a minima une volonté propre à l’apprenant. Sarah Labelle et Aude Seurrat[19] l’ont elles-mêmes déduit de leur expérience de conception d’un serious game : « Nous sommes convaincues qu’il est indispensable que le joueur-apprenant sache que ses actions et ses choix constituent des actes d’apprentissage ». Cette conscientisation aboutit au développement de connaissances plus construites. Ces éléments théoriques posés, il s’agit à présent de présenter le corpus et la méthodologie adoptés afin d’évaluer l’apport du serious game dans l’apprentissage lexical.
Présentation et analyse du corpus
Centrée sur les apprenants, cette expérimentation s’inscrit principalement dans une démarche didactique tout en explorant le champ de l’acquisition afin de répondre à l’hypothèse selon laquelle le serious game favoriserait une acquisition lexicale plus efficace que la méthode traditionnelle. Tout d’abord, le choix se porte sur le serious game les Éonautes comme support. Ce choix est nourri par des motivations pratiques : en effet, les Éonautes[20] est la seule tentative aboutie de serious game commercialisée auprès d’institutions, pour laquelle des corpus ont été observés sur le terrain[21]. Plusieurs parties ont permis d’extraire à partir du jeu (serious gaming[22]) des items cibles répondant aux critères de la présentation de soi[23] des descripteurs du niveau A2/B1. A partir des occurrences observées, une séquence pédagogique réinvestissant les points grammaticaux autour de ces faits de langue est conçue par la formatrice en charge du groupe contrôle[24]. Les tournures cibles devaient être exploitées de nouveau dans le questionnaire afin de confirmer leur non-acquisition par les apprenants. Pour pouvoir extraire des résultats quantitatifs et qualitatifs en termes d’acquisition lexicale liée à l’ethos[25], deux groupes de douze apprenants ont participé à une expérimentation : l’un à travers une séquence pédagogique conventionnelle conforme à l’approche actionnelle, l’autre à travers le serious game les Éonautes. Ces deux groupes ont été évalués selon les mêmes critères d’interaction, à l’issu desquels ils devaient aboutir à l’acquisition des mêmes items cibles.
Sélection des apprenants
Pour nous assurer que les deux groupes de sujets n’avaient pas acquis, ou partiellement[26] acquis, les tournures grammaticales testées, il leur a été présenté des questionnaires pré-lexicaux afin d’organiser une première sélection. Les questionnaires pré-lexicaux étaient similaires pour les deux groupes, puisque l’intérêt ici était d’établir la non (ou faible) acquisition des items cibles. Deux classes d’étudiants chinois de l’université Paris Sorbonne préparant le DU FLS[27] y ont participé. Elles comptaient respectivement 35 et 28 élèves. Un test de niveau avant d’intégrer ce cours a été réalisé auprès d’eux, à l’issue duquel il a été attesté qu’ils validaient tous un niveau A2/B1. Après s’être entretenu avec les enseignantes, avoir exposé l’expérimentation aux deux classes et obtenu l’accord des étudiant.es, les questionnaires pré-lexicaux et sociolinguistiques leur ont été distribués. Sur la totalité des sondés, douze apprenants ont été retenus pour chaque groupe. Ce choix s’explique par la nécessité de s’aligner sur le nombre de candidats du groupe test, qui n’a pu excéder ce chiffre. La mise en place de l’expérimentation a nécessité la constitution d’un échantillon d’apprenants, dont les caractéristiques sont présentées ci-dessous.
L’échantillonnage comprenait des femmes et des hommes de 20 à 30 ans. Le groupe serious game comptait, quant à lui, un groupe mixte d’apprenants hommes et femmes, entre 18 et 19 ans, tous d’origine chinoise. 40 questionnaires sociolinguistiques[28] ont été ainsi distribués aux apprenants. Le questionnaire sociolinguistique réunissait, classiquement, des questions liées à l’identité, la maîtrise de la langue, le niveau d’étude, la langue maternelle et le degré de maîtrise des langues[29]. Des questions concernant l’utilisation du numérique ont également été adjointes afin de pouvoir jauger les habitus[30] du groupe en termes d’usages liés à internet[31].
Deux groupes d’apprenants[32] ont participé[33] aux questionnaires, afin de sélectionner le groupe test et le groupe contrôle. Dans un premier temps, les questionnaires pré-lexicaux ont permis de trier les apprenants n’ayant pas acquis le lexique ciblé. Les apprenants ayant répondu correctement à la majorité des items[34] ont été écartés de l’expérimentation, afin de ne pas fausser les résultats. Seuls les étudiants ayant obtenu des réponses partielles ou incorrectes ont été retenus. A partir de ce filtrage, les apprenants ont été répartis aléatoirement en deux groupes : un groupe test, exposé au serious game, et un groupe contrôle, soumis à une méthode traditionnelle respectant l’approche actionnelle. Pour rassurer l’apprenant sur l’utilité d’un tel outil, il a été important de fédérer les apprenants en pré-sélectionnant et en invitant les plus volontaires d’entre eux à intégrer le groupe. Le dispositif expérimental a consisté à soumettre les apprenants à une séance de jeu du serious game les éonautes.
L’expérimentation reposait sur la réalisation de trois missions du jeu vidéo, lequel met en scène des voyages à travers un contexte historique inspiré de la période gauloise, présentés sous forme de dialogue par les personnages non-joueurs. L’une des missions consistait par exemple à amener au chef du village un remède et une poterie violette à rayures. L’apprenant entre dans le jeu grâce à un avatar[35] et interagit avec différents personnages non joueurs dit PNJ[36] afin d’accueillir les directives nécessaires à la réussite de la mission et à la progression dans le jeu. Précisons que ces items lexicaux ont d’abord été présentés dans un questionnaire pré-lexical afin d’attester de leur non-acquisition par les apprenants. Et ils l’étaient également dans un questionnaire post-lexical pour vérifier l’acquisition lexicale des items proposés.
L’expérimentation a commencé à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de la Sorbonne, au sein de la bibliothèque universitaire, réunissant 12 sujets sélectionnés après dépouillement des questionnaires pré-lexicaux. Les apprenants ont été appelés par groupes de trois pour participer à l’expérimentation à tour de rôle. De même, la coordination du passage de chaque élève a permis une organisation de l’expérimentation optimale. Comme les élèves appartiennent à la génération des jeux vidéo, l’implication a été relativement rapide et la participation au jeu été ressentie comme un moment de détente, voire comme une récompense. Enfin, la disposition de tables mobiles de quatre dans la salle informatique de la BU a permis de proposer une approche d’apprentissage moins frontale et plus informelle.
Face aux difficultés rencontrées, il a été possible de demander des explications au formateur[37]. Globalement, ce dernier n’a été que très peu sollicité[38]. Ceci est une observation pédagogique très intéressante pour l’enseignant : en effet le dispositif a permis de lui attribuer une place inhabituelle dans la mesure où, en retrait, il endosse le rôle « d’accompagnant » de l’apprentissage actif via le jeu sérieux. Précisons que chaque passage a duré environ une heure[39], à l’issue de laquelle les candidats ont renseigné les questionnaires post-lexicaux et également un questionnaire post-lexical pour vérifier l’acquisition lexicale des items proposés.
Cette expérimentation a permis de faire la lumière sur un constat assez étonnant : celui de l’appréhension ressentie chez les apprenants ne semblant pas saisir l’intérêt et la pertinence d’une telle démarche. L’apprentissage d’une langue étrangère est perçu comme exigeant et constitue pour ces étudiants un certain sacrifice, puisqu’ils ont quitté leur pays d’origine pour intégrer une université française réputée[40]. Le recours au jeu vidéo, dispositif peu commun, pouvait en outre leur sembler éloigné du registre académique attendu[41]. Pendant leur partie, les apprenants devaient s’imprégner des expressions/tournures grammaticales liées à l’ethos[42], formulées par les PNJ[43] . Les formulations[44] étaient adjointes aux dialogues, permettant leur progression dans les missions[45]. Au fur et à mesure de l’atteinte des objectifs, l’appréhension a disparu et les apprenants ont même montré un certain plaisir à jouer à ce type de jeu. En complément du groupe test, un second groupe a suivi une séance didactique plus conventionnelle.
La comparaison de cette séance à une séance didactique a permis d’ajouter une dimension scientifique à l’expérimentation car elle a évalué deux contextes d’apprentissages différents en termes de résultats. Pour ne pas influencer[46] les participants du groupe contrôle, une formatrice FLE, chargée de cours à l’Université Sorbonne, a été sollicitée pour la conception d’une unité didactique s’appuyant sur l’approche actionnelle. Pour ce faire, nous[47] lui avons suggéré d’utiliser comme support la bande annonce du film « Casse-tête chinois »[48] car les dialogues du film exploitent des tournures lexicales proches des items cibles.
Pour les supports matériels, la formatrice a eu besoin d’utiliser des photos du film[49] et des ouvrages[50] de grammaire qui ont été proposés aux apprenants. Après avoir projeté la bande annonce du film et distribué l’affiche cinématographique, les apprenants ont formulé des hypothèses de lecture quant au thème de la projection.
La séance a débuté par une sensibilisation : la formatrice a présenté le film dans un premier temps et a vérifié auprès des étudiants s’il avait déjà été visionné auparavant. Il s’est avéré qu’ils l’avaient déjà exploité au cours d’une séance de travail l’année précédente avec une collègue de l’enseignante dans le cadre de la semaine du cinéma. Toutefois, cette captation n’avait pas été traitée du point de vue du mariage blanc[51]. Après une mise en perspective les différentes représentations auxquelles renvoyaient le film, la bande annonce a été projetée, ce qui a donné lieu à des questions[52]. La formatrice a ensuite projeté une photo du film et posé d’autres questions[53].
Elle a simulé un éventuel interrogatoire que pourrait mener un policier dans une situation comme celle-ci. Précisons que rien n’a été inscrit au tableau car les participants allaient être, par la suite, testés autour de ces questions. C’est également ce qui allait permettre de travailler les faits de langue à travers les exercices proposés par la suite. Un raisonnement par induction des notions grammaticales était attendu. Par déduction, les apprenants ont tout de suite repéré que la forme interrogative était le point de langue attendu pour aborder la séance. Pour mieux les orienter, un diaporama du cours leur a été proposé. Par comparer les résultats du groupe contrôle et du groupe test selon les mêmes critères d’interaction. Précisons que chaque membre du groupe travaillait de manière individuelle et l’accès aux ouvrages de grammaire, ainsi qu’une connexion internet, était autorisé. L’objectif était qu’ils puissent proposer une règle écrite de grammaire, préparée en amont, afin de pouvoir l’expliquer à l’oral au reste du groupe et à la classe.
Ensuite, il leur a été proposé de réaliser deux exercices pour s’assurer que la leçon avait bien été comprise. Le but était d’éviter de copier mot à mot les termes des ouvrages pour savoir expliquer ce qui avait été compris, et de s’approprier la leçon en l’expliquant avec leur propre lexique et par la reformulation. Pour les encourager, la formatrice leur a montré des schémas sous forme de carte mentale, et a ainsi privilégié un mode d’apprentissage visuel[54]. Cette approche leur a facilité la reformulation de la règle et leur a permis de concevoir eux-mêmes leurs exercices de systématisation. Pendant le temps de préparation, la formatrice passait entre les groupes et s’assurait que les consignes avaient bien été comprises, que les reformulations écrites étaient claires et accessibles à leurs camarades, avec une vigilance particulière pour le « copier-coller », auquel cas elle exigeait qu’ils recommencent.
Par la suite, il était attendu que les apprenants s’échangent les exercices afin de les compléter. Le rédacteur de l’exercice avait pour tâche de corriger l’exercice de son camarade. Chacun devait faire les exercices de l’autre, de manière à pouvoir les échanger entre eux au sein du même groupe de trois. Les exercices n’étaient pas montrés aux autres membres des autres groupes. Cette méthode permettait d’obtenir une correction par les pairs d’un mini groupe. Aucune correction n’a été proposée en classe, la formatrice passant entre les groupes pour s’assurer simplement du bon déroulement de l’exercice. Pour la correction, certains volontaires ont proposé de partager leurs exercices avec le reste de la classe par mail s’ils le souhaitaient.
La mise en situation proposait au groupe d’interpréter les rôles du couple et du policier, présentés sur l’affiche. Ainsi, la formatrice a invité chacun des groupes à interpréter l’un des rôles. Pour les couples, les groupes pouvaient interpréter tout type de couple autorisé par la loi française. L’apprenant qui jouait le rôle du policier devait construire des questions et le couple préparer des réponses afin de créer la trame d’une histoire. Il fallait ainsi préciser les circonstances dans lesquelles le couple s’était rencontré, leurs goûts et projets personnels en commun. Pour s’assurer que les réponses ne soient pas audibles pour les autres, la formatrice a séparé les policiers des couples. L’objectif grammatical était axé sur l’adjectif possessif et a été manipulé de la même manière que pour les règles précédentes : un apprenant concevait la règle et les deux autres préparaient les exercices pour les autres.
L’expérience de cet exercice a ainsi conforté la formatrice quant à l’efficacité du travail en îlots[55] : cela a permis de consacrer le temps nécessaire à chaque étape de la séance, de cibler avec plus de précision les exercices et de faire participer, par des activités langagières orales et écrites, l’ensemble des apprenants. La mise en place des trinômes a donné la capacité à chaque groupe de travailler sur les points de langue sur lesquels ils allaient être évalués. Ainsi, il est possible de dire que chaque trinôme a étudié tous les points, ce qui n’aurait pas pu être le cas si la formatrice avait mis en œuvre une autre organisation, ne leur permettant d’appliquer qu’une partie des règles. Après chaque passage, le trinôme présentait le point de langue qu’il avait préparé, tandis que les autres participants observaient attentivement et vérifiaient la bonne réutilisation des structures grammaticales abordées. Pour le vérifier, un point de langue était proposé à la fin de chaque passage, la formatrice interrogeant les apprenants sur la bonne utilisation des points de grammaire et leur demandant s’ils avaient des remarques à partager à ce sujet.
Une fois la séance terminée, des questionnaires post-lexicaux ont été distribués aux participants. Précisons que le questionnaire reprenait les items cible de l’expérimentation, mais adaptés à la séance conçue par l’enseignante. Les questions reprenaient les thèmes du film et les points grammaticaux vus en classe, afin de permettre aux étudiants de trouver les réponses attendues. Le questionnaire était constitué d’exercices à trous que les apprenants devaient compléter par les items lexicaux qui leur étaient proposés dans la consigne[56]. Le contexte du film a été retranscrit correctement, puisqu’il s’agissait d’une mise en scène fictive entre le policier et le couple convoqué dans le cadre de l’enquête. Afin de mieux lister les thèmes et aider les apprenants à placer correctement les items, un titre dans lequel était indiqué le sujet était placé en tête de chaque question.
Présentation et analyse des résultats
Après le cours, les questionnaires lexicaux ont été distribués aux apprenants du groupe contrôle. Voici les résultats exposés ci-dessous :
Graphique 1 – Questionnaires post-lexicaux du groupe contrôle.

Source : Graphique réalisé par nos soins.
Beaucoup d’éléments parmi les résultats obtenus par le questionnaire ont attiré notre attention. Néanmoins, seuls certains traits essentiels à l’analyse détaillée[57] de l’hypothèse seront présentés succinctement[58] dans cette étude. Les résultats indiquent que les tournures grammaticales considérées comme acquises sont les formes affirmatives « je viens de » et « je m’appelle » ainsi que la forme interrogative : « connais-tu ? » : la totalité des sondé.es les ont reformulées correctement[59]. La maîtrise de ces tournures n’est pas surprenante puisqu’elles sont utilisées quotidiennement dans la vie courante pour se présenter. Cette première observation conduit à examiner plus précisément la question de l’aspect et de l’énonciation.
En ce qui concerne la notion d’aspect et de présent d’énonciation, la tournure la moins maîtrisée est « je suis venu » avec seulement 3 bonnes réponses sur 12 sondé.es. Pour mieux comprendre ce faible score, il est pertinent de revenir à l’enseignement de la valeur aspectuelle du présent d’énonciation. En effet, elle n’est pas forcément la plus accessible d’un point de vue grammatical, et son appropriation est tributaire d’un certain nombre de paramètres internes tel que l’expérience vécue, le parcours personnel ou les perceptions subjectives. Les théoriciens de la linguistique ont toujours attribué « une place essentielle à la réflexivité de l’activité verbale, et en particulier aux coordonnées qu’implique chaque acte d’énonciation : coordonnées personnelles, spatiales et temporelles, sur lesquelles s’appuie la référence de type déictique »[60]. Cependant, l’énonciation, qui comprend également la sémantique, a « fortement [été] marquée par les courants pragmatiques »[61]. De ce fait, elle « met l’accent sur le rôle du contexte dans le processus interprétatif, sur la contextualité radicale du sens »[62]. Enfin, sur la notion de valeur aspectuelle, et plus précisément celle de présent d’énonciation comprise dans les champs disciplinaires qui prennent en charge le « discours »[63], les chercheurs se sont penchés sur les « genres de discours, c’est-à-dire [les] institutions de parole à travers lesquelles s’opère l’articulation des textes et des situations où ils apparaissent »[64]. On peut en conclure que l’usage du serious game ne suffit pas à garantir une compréhension fine du présent d’énonciation, qui requiert un accompagnement métalinguistique explicite.
Ce constat amène à s’interroger sur les raisons précises de cette difficulté, que nous avons cherché à identifier à travers plusieurs hypothèses explicatives. Nous avons souhaité nous pencher sur l’une d’elles, qui nous paraît assez évidente : la difficulté pour un apprenant de ce niveau linguistique, et dans son usage de la langue, de formuler un énoncé avec toutes les contraintes que cela implique. En effet, les apprenants, de niveau A2/B1 pour la plupart, étudiant pour l’obtention d’un DU, et nouvellement arrivés en France, n’ont pas intégré à ce stade les usages de la langue, qui permettraient la compréhension de la notion d’aspect. En effet, l’énoncé doit nécessairement s’ancrer à un point de repère spatio-temporel. Maingueneau le confirme lorsqu’il indique que le langage humain « a pour caractéristique que les énoncés prennent un point de repère l’événement énonciatif même dont ils sont le produit »[65]. Ainsi rappelle-t-il que « ce ne sont pas toutes les caractéristiques de cet événement qui sont prises en compte, mais celles qui définissent la situation d’énonciation linguistique : énonciateur et co-énonciateur, moment et lieu de cette énonciation »[66]. Appuyons-nous sur l’exemple cité par Maingueneau :
Quand nous lisons dans un horoscope : BÉLIER. – Travail : Vous pourriez recevoir encore quelques coups de griffe de la part d’adversaires bien décidés à vous mener la vie dure. Vous devrez donc vous battre, cette semaine. Vous relèverez ce défi car vous en êtes capable et savez tirer profit de vos expériences. « Le » vous désigne celui qui lit cette publicité au moment même où il la lit ; si un autre lecteur la lit, le référent de vous va donc changer. Quant aux verbes au présent de l’indicatif, ils tirent leur référence temporelle du moment même de l’énonciation, c’est-à-dire du jour où l’horoscope est diffusé dans les médias. Si l’on lit ce texte six mois plus tard, l’énoncé ne sera plus valide : le présent référera en effet à un autre moment.[67]
De ce fait, le participe passé « je suis venu » à valeur de présent d’énonciation a pu s’assimiler ici par l’expérience internalisée et individuelle de l’apprenant.
L’apprentissage de la grammaire dans l’acquisition d’une langue seconde est incontournable dans l’enseignement des langues. Son enseignement, souvent implicite, à l’aune de l’approche actionnelle, par le biais d’une méthode inductive, appartient aux compétences communicatives. L’enseignant endosse le rôle de « facilitateur d’apprentissage », notamment en ce qui concerne les points complexes de la langue. L’emploi du passé composé l’illustre bien, dans le sens où il reste, pour l’enseignant de langue, aléatoire dans les productions des étudiants[68] qui en saisissent difficilement les subtilités. La confusion entre le passé composé et l’imparfait, en général, et en particulier en ce qui concerne leurs valeurs aspectuelles, a été relevée dans l’étude de Nguyen Thuc Thành Tín et Trân Thiện Tánh[69] auprès d’apprenants vietnamiens anglophones.
Le parallèle avec les candidats de l’expérimentation qui ont appris la grammaire française avec la méthode communicative est intéressant car il permet d’étayer nos interprétations et d’interpréter leurs difficultés. Cette partie a rendu compte des premiers résultats : celle du groupe contrôle. Nous nous proposons de présenter les résultats du groupe test serious game, afin de comparer le taux d’acquisition lexical entre les deux groupes et d’en tirer des conclusions.
Après avoir joué aux Éonautes, les apprenants ont renseigné les questionnaires post-lexicaux. Les réponses attendues ont été surlignées en rouge. Ainsi, les autres réponses, même correctes grammaticalement et sémantiquement, ont été comptées comme fausses.
Graphique 2. Résultats des questionnaires post-lexicaux du groupe serious game.

Source : Graphique réalisé par nos soins.
Le résultat du dépouillement révèle que les items cibles ont été globalement assimilés. En effet, les données montrent que cinq items lexicaux[70] ont été totalement assimilés : nous comptons comme assimilées les tournures grammaticales affirmatives « je viens de », « je viens pour », « je cherche » et les tournures interrogatives « d’où viens-tu », « que viens-tu faire ici ? ».
Toutefois, aucun des sondé.es n’a acquis l’item « je suis venu ». Le lien a donc été établi avec l’hypothèse présentée pour le groupe contrôle : le passé composé, temps verbal, peu étudié en 1ère année de DU FLS, a pu brouiller leur réflexion. Par ailleurs, nous nous sommes intéressés à l’item lexical « je dois » qui n’a été assimilé que par deux apprenants sur douze, lesquels ne l’ont aucunement restitué dans l’exercice à trous. Il est possible qu’à l’instar des sondé.es du groupe contrôle, le groupe test n’ait pas pu assimiler cette forme à cause d’une faible utilisation de cette tournure en classe et/ou dans la vie de tous les jours. Afin de mieux cerner ces usages, il convient à présent d’examiner les modalités d’emploi du verbe devoir.
La compréhension de l’utilisation de ce verbe nécessite de nous pencher sur l’analyse des verbes modaux : la modalité déontique, qui est sa fonction première, et la modalité épistémique. La première qui appartient à l’essence du verbe « est une modalité du FAIRE, qui correspond grosso modo à ce que l’on appelle, surtout en linguistique anglo-saxonne, modalité radicale (root modality) ou modalité orientée vers l’agent (agent-oriented modality), contrairement à la modalité épistémique « qui est une modalité de l’ETRE. »[71]. Les apprenants n’ont pas appris cette forme car elle appartient au domaine de la modalisation déontique et non à celui de l’utilisation directe : c’est une manière de contourner l’action, en précisant comment faire la chose. L’emploi de cette forme peut également rappeler une certaine idée d’urgence « à faire la chose ». D’ailleurs, la modalité déontique (D) indique pour Huot « l’obligation-nécessité »[72] dont la valeur est exclusivement modale (d’où le trait d’union) tandis que la modalité épistémique (E) renvoie à la « probabilité-future »[73], également considérée comme valeur unique. D’autres linguistes, tel que Sueur[74] font la différence à l’intérieur des modalités radicales entre « l’obligation » et la « nécessité ». Voici quelques exemples cités par Hans Kronning dans son article[75].
- LA SŒURANGELIQUE. —Nous devons (D-TH) nous opposer à l’injustice, autant que les lois le permettent, parce que ce nous est une obligation de maintenir les droits de notre communauté, et que ce serait en quelque sorte consentir à l’injustice, que de ne s’y opposer pas. (Montherlant, 1954 :52)
- Pour atteindre le boulevard Montparnasse, j’ai dû (D-PR) me frayer un chemin à travers les couples dansants. (Mauriac, 1933 :187)
- Marlyse se retourne, grogne, se rendort. J’ai dû (E) la heurter de mon coude. (Borniche, 1976 : 296)
Dans le premier exemple (1), le verbe « devoir » est utilisé au sens déontique, contrairement à la « nécessité » exemplifiée par Sueur à travers la deuxième phrase (2). Le linguiste explique ici que les circonstances l’ont « obligé »[76] à se frayer un chemin. Le linguiste considère l’emploi du verbe « devoir » comme relevant d’« une obligation pratique »[77] (D-PR), produit d’une « inférence pratique »[78]. Ce qui amène à la conclusion que la « nécessité » de Sueur, englobée sous la modalité déontique lato sensu renvoie au FAIRE, et non à l’ETRE. Cette approche a ainsi été retenue pour étayer l’hypothèse selon laquelle les apprenants n’avaient pas intégré cette forme particulière du verbe devoir. D’une part, il est constaté que sa construction particulière est peu enseignée à ce niveau linguistique en didactique de la grammaire FLE[79]. Hormis cela, les trois quarts des sondé.es avaient acquis les tournures grammaticales affirmatives « je m’appelle », « je vous propose », ainsi que la tournure interrogative « connais-tu » : cela pouvait s’expliquer par le fait qu’elles soient utilisées quotidiennement, notamment dans le cadre de l’ethos discursif[80], a fortiori d’un étudiant étranger ou d’une étudiante étrangère.
Enfin, même si elles n’ont pas été totalement acquises, les tournures grammaticales « j’ai » et « je voudrais » ont été assimilées pour 11 apprenants sur 12 : nous considérons donc qu’elles ont été globalement assimilées par le groupe serious game.
Comparaison des résultats
Graphique n°3. Comparaison des résultats (nombre).

Source : Graphique réalisé par nos soins.
Graphique n°4. Comparaison des résultats (pourcentage).

Source : Graphique réalisé par nos soins.
Rappelons que cette expérimentation visait à comparer l’acquisition lexicale d’items cibles auprès d’un groupe ayant expérimenté le serious game les Éonautes et celle d’un groupe contrôle, soumis à une séquence pédagogique traditionnelle, respectant l’approche actionnelle. Pour mémoire, ces deux groupes ont bénéficié des mêmes critères d’interaction. Ainsi, il était important de vérifier si le groupe test serious game présentait un score supérieur dans l’acquisition lexicale des items cibles, au groupe contrôle. On constate, grâce à l’analyse des deux tableaux comparatifs, que les apprenants des deux groupes présentent une acquisition lexicale presque similaire : une différence significative[81] a toutefois été observée pour les items « je suis venu »[82] et « je dois »[83] qui ont été partiellement assimilés par les participants du groupe test, à la différence du groupe contrôle, qui ne les a pas acquis. Des pistes de réflexion ont précédemment permis de proposer des hypothèses qui pouvaient faire la lumière sur ces différences de score[84].
Retour aux hypothèses
Grâce à la comparaison des résultats de nos deux groupes, il a été possible de répondre à l’hypothèse de départ.
Graphique n°5. Comparaison des scores des deux groupes.

Source : Graphique réalisé par nos soins.
Il apparaît sur ce graphique comparatif que l’hypothèse de départ, selon laquelle le serious game favoriserait une acquisition lexicale supérieure à celle du groupe témoin, est invalidée : aucune tendance représentative[85] ne s’est démarquée entre les deux groupes, ce qui n’implique pourtant pas l’inefficacité du support d’apprentissage testé. Par conséquent, il n’est pas possible de confirmer, à l’issue de cette recherche, que le serious game permettrait une acquisition lexicale supérieure à un contexte d’apprentissage plus conventionnel, respectant l’approche actionnelle.
L’analyse quantitative du corpus a fait apparaître certaines difficultés d’ordre méthodologique, la plus grande étant l’échantillon réduit des sujets, qui en l’état, ne permet pas d’obtenir une réelle représentativité des scores recueillis dans ce corpus. Les contraintes rencontrées sur le terrain sont proportionnelles à la marginalité de ce type de recherche, le jeu vidéo n’ayant pas encore bien pénétré le milieu scolaire[86].
Discussions
En outre, ces résultats sont à mettre en perspective avec des différences notables qu’il est intéressant d’évoquer ici :
- Les deux groupes n’ont pas bénéficié du même temps d’expérimentation : le groupe test a expérimenté le jeu durant une partie d’1h15[87], tandis que le groupe contrôle a assisté à une séance en classe d’une durée totale de 4h15, qui a abouti à la complétude d’un questionnaire validant leurs acquis. Pourtant, pour une durée d’expérimentation différente, le groupe test a globalement assimilé le même nombre d’items. Il conviendrait de s’intéresser alors au bénéfice de temps que pourrait offrir le serious game aux apprenants dans l’acquisition lexicale d’une séance de cours.
- En dehors de l’acquisition des items cibles, l’expérimentation a montré que les apprenants ont assimilé, en une heure de jeu, des vocables nouveaux, tels que « tunique » ou « poterie à rayures violettes »[88]. Or, ces items ne concernaient par ceux de l’expérimentation. Cette observation interroge sur les bénéfices potentiels d’un serious game pour l’acquisition lexicale. Cela pourrait être le fruit de la motivation générée par le jeu, telle que présentée dans l’expérimentation de Laurence Schmoll[89] notamment par l’accomplissement de défis. Cela reviendrait à s’intéresser à la motivation intrinsèque liée à l’accomplissement[90], autrement dit la satisfaction que les apprenants retirent lorsqu’ils relèvent un défi et se perçoivent comme efficaces et compétents. Il conviendrait alors d’explorer les possibilités qu’offre le serious game dans l’acquisition lexicale, lorsque nous sélectionnons d’autres types de vocables, plus simples à retenir.
- Par ailleurs, il eût été intéressant d’interroger les habitudes de jeu entre les hommes et les femmes, s’il est possible d’établir des différences de genre dans ces Elles auraient sans doute permis d’expliquer les résultats obtenus.
L’approche actionnelle a été retenue pour le groupe contrôle pour les raisons qui ont été précisées précédemment. D’autres méthodes auraient pu être utilisées en classe de langue, comme l’approche communicative[91], dont s’inspirent encore les formateurs, soit de manière exclusive, soit de manière hybride avec l’approche actionnelle. Le changement d’approche aurait également pu influencer l’apprentissage des items cibles et fournir des résultats différents. Ce questionnement s’inscrit dans une continuité de travaux antérieurs.
Mes recherches de master 2[92] proposaient une expérimentation similaire à la présente étude et présentaient l’acquisition de neuf unités lexicales appartenant aux noms de métiers de de la période historique des gaulois, tel qu’l est représenté dans le jeu les éonautes. Malgré l’échantillon limité sur lequel s’était bâtie cette expérimentation, elle avait néanmoins révélé des tendances assez nettes : en effet, les résultats avaient montré que le groupe serious game avait été plus efficace que le groupe contrôle (en contexte traditionnel).
L’ajout de ces données, récoltées dans un cadre limité[93], a permis de compléter les résultats de cette étude. Néanmoins, elle n’a pas permis de valider notre hypothèse de manière univoque par l’apport de données significatives, comme le validerait l’approche hypothético-déductive. Pour une meilleure représentativité, il conviendrait d’élargir cette expérimentation à un contexte plus large, par le recrutement d’un plus grand nombre d’apprenants afin de recueillir un échantillonnage plus représentatif d’un point de vue quantitatif. Cette limite méthodologique n’empêche toutefois pas de s’interroger sur l’intérêt qu’un tel dispositif peut également présenter pour l’enseignant.
Il a été constaté que l’utilisation du serious game dans l’acquisition lexicale est similaire à celle d’une autre méthode traditionnelle respectant l’approche actionnelle. Toutefois le gain de temps d’apprentissage semble supérieur pour le même type d’acquisition. Il conviendrait donc d’évaluer dans quelle mesure cet outil hybride est exploitable par l’enseignant de langue, en termes de gain de temps.
En outre, il faut noter que le choix d’un serious game implique d’y consacrer un minimum de temps. En effet, l’enseignant doit d’abord sélectionner un jeu suffisamment pertinent pour l’apprentissage concerné, tout en sachant que l’offre de serious game sur le marché, avec des scénarios pédagogiques déjà intégrés, reste encore limité[94]. Le formateur a toutefois la possibilité d’établir lui-même son scénario pédagogique a posteriori, à partir d’un jeu vidéo classique, qui n’a pas été conçu à cette fin (serious gaming). Pour accompagner ce processus, Julian Alvarez proposait dès 2017[95] une formation universitaire pour encadrer les enseignants de langue lors de l’intégration de l’outil en classe. Il expose les trois façons d’exploiter le jeu sérieux : l’évaluation diagnostique en début de jeu afin de délimiter ses objectifs, l’évaluation formative tout au long du jeu qui permettra d’intégrer une différenciation pédagogique au besoin, et enfin l’évaluation sommative en fin de jeu.
Conclusion
L’expérimentation dont il a été rendu compte ici est à ce jour exploratoire quant au sujet traité et au positionnement adopté[96]. En effet, aucune étude scientifique explorant l’acquisition lexicale d’une langue seconde par le biais de ce support n’a été réalisée : cette recherche est donc une étude pilote[97]. Le serious game a été une expérience nouvelle pour les participants, avec en sus, une prise en main complexe due aux nombreuses difficultés. Les indicateurs quantitatifs présentés sur les graphiques, ont permis de répondre à l’hypothèse de départ. Le corpus a révélé une acquisition lexicale globalement similaire entre le groupe d’apprenants expérimenté et le groupe contrôle. Bien que l’analyse des données quantitatives ne montre pas de tendances représentatives, les résultats et la discussion qui ont suivi ont permis de les adjoindre à l’analyse qualitative, grâce notamment à l’ajout du corpus du master 2[98]. Le statut du serious game jouit encore d’une mauvaise réputation : ces points négatifs ont été analysés dans de nombreuses études. Parmi elles, figure celle de Laurence Schmoll[99], qui liste une série d’observations critiques, tant sur l’aspect ergonomique que sur la scénarisation du jeu, et pose les jalons d’une version modifiée et améliorée des Éonautes, qui prendrait en compte les problèmes identifiés par des apprenants et des enseignants.
Toutefois, malgré le caractère informel du jeu, où la conscience d’apprendre n’est pas avérée[100], l’acquisition des items cibles était quasi similaire, donc aussi efficace que dans le cadre d’une méthode conventionnelle.
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NOTES
[1] Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement
[2] A titre d’exemple, l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV), la Faculté des Langues et Culture étrangères et l’Université de Pau proposent une licence LEA avec des options FLE pour les étudiants non francophones.
[3] Pour plus d’information, voir Magda ORABI, Serious Game : sérieuses possibilités ? mémoire de Master II, Université de Lorraine, 2014 ; Magda ORABI, Serious Game : enjeux et perspective dans l’acquisition d’une langue seconde à l’aune de l’ethos, thèse de doctorat en Sciences du langage, thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Lorraine, 2022.
[4] Serious game destiné à l’apprentissage du français langue étrangère destiné à un public A2-B1, commercialisé de 2012 à 2019 par le développeur Almédia.
[5] Denyze TOFFOLI, L’apprenant-e de langue 2020, mémoire d’HDR, Université de Lille, 2018, [ https://lilloa.univ-lille.fr/bitstream/handle/20.500.12210/18862.2/HDR_Toffoli_Denyze_vol.3_rapports.pdf?sequence=3].
[6] En modifiant (le développeur et scénariste du jeu) les éléments culturels, les dialogues et les activités pédagogiques afin de les faire correspondre aux spécificités de la langue cible.
[7] Michael ZYDA, From Visual Simulation to Virtual Reality to Games, Los Alamitos: IEE. Computer Society, 2005.
[8] Julian ALVAREZ et Laurent MICHAUD, Serious Games: Advergaming, edugaming, training and more, Paris: IDATE, 2008.
[9] David MICHEAL et Sande CHEN, Serious games: Games that Educate, Train, and Inform, Boston, Thomson Course Technology, 2005.
[10] “Games that do not have entertainment, amusement or fun as their primary purpose.”
[11] Michael ZYDA, op. cit., p. 26.
[12] Pour un panorama des définitions du serious game, voir Clark ABT, Serious Game, New York : Viking Press, 1970 ; Micheal ZYDA, op. cit. ; Julia ALVAREZ, Damien DJAOUTI et Olivier JESSEL, Introduction au Serious Game, Toulouse : Editions Questions Théoriques, 2012.
[13] Julian ALVAREZ et Laurent MICHAUD, op. cit., p.3.
[14] L’étude de Michel Lavigne met en évidence une faiblesse méthodologique dans les travaux portant sur les serious game et souligne la difficulté à mesurer les gains pédagogiques de l’outil.
[15] Nous postulons que ce phénomène ludique contribue à une sorte d’aseptisation de la langue, dans la mesure où l’apprenant n’est pas confronté à ce complexe d’infériorité ressenti face au locuteur natif, faute d’être pourvu de l’accent normé et du lexique adéquat.
[16] Michel LAVIGNE, « Les faiblesses ludiques et pédagogiques des serious games », Numérique et éducation, 2016.
[17] Le béhaviorisme est une théorie de l’apprentissage développée au début du XXe siècle, qui postule que l’acquisition de connaissances et de comportement repose sur des mécanismes de conditionnement, c’est-à-dire la répétition et l’automatisation de réponses à des stimuli. Cette approche a été fondée par John B. WATSON, Psychology as the Behaviorist Views It, Chicago: University of Chicago Press, 1913 et développée par Burrhus F. SKINNER, Science and Human Behavior, New-York : Free Press, 1957.
[18] Gilles BROUGERES, Jouer/Apprendre, Paris : Economica, 2005.
[19] Sarah LABELLE et Aude SEURRAT, « Serious game et écriture des savoirs : hétérogénéité des médiations documentaires », dans Joumana BOUSTANY (dir.) La médiation numérique : renouvellement et diversification des pratiques – Actes du colloque Document numérique et société, Zagreb 2013, Louvain-la-Neuve : de Boeck Supérieur, 2013, pp.191-205.
[20] Serious game dédié à l’apprentissage du FLE, conçu par la société Almédia, commercialisé de 2012 à 2019.
[21] Denyze TOFFOLI, op. cit.
[22] Le serious gaming, contrairement au serious game, consiste à extraire a posteriori le scénario pédagogique du jeu et de l’exploiter à des fins utilitaires.
[23] Tels que « d’où viens-tu ? », « Je m’appelle », etc.
[24] Dans un souci de neutralité, la tâche a été réalisée par une doctorante en Sciences du langage, formatrice FLE et chargée de cours du groupe contrôle afin de ne pas influencer les résultats du groupe contrôle.
[25] Le choix s’est orienté sur la présentation de soi (ethos) et des autres car cette compétence figure dans le descripteur du niveau A1 et A2 du CECRL.
[26] Pour l’expérimentation, les sujets dont les questionnaires présentaient 20% de tournures grammaticales « correctes » n’ont pas été retenus pour l’expérience. En effet, nous considérions l’acquis de ces tournures fragile, dans la mesure où d’autres réponses ont été cochées.
[27] Il s’agit d’un diplôme universitaire Français Langue de Spécialisation permettant d’accéder à une licence. Les étudiants sont Chinois et sont arrivés en France en mars 2020 avec un niveau A2. Les cours débutent en septembre jusqu’à fin juin. Margaret Bento, responsable du diplôme a été l’intermédiaire qui, avec les chargées de cours, a permis l’accès au terrain.
[28] Les questionnaires linguistiques présentent des questions du type : « Quel âge avez-vous ? », « Quel est votre niveau d’étude ? », « Utilisez-vous souvent l’ordinateur ? », « Possédez-vous une adresse mail ? », « Jouez-vous souvent aux jeux vidéo ? », etc.
[29] Il nous a paru pertinent d’évaluer le nombre de langues connues et maîtrisées et leur lien avec la langue cible. Ce degré de maîtrise peut influer sur les résultats.
[30] Le terme « habitus », tel que défini par Pierre Bourdieu, désigne un système de disposition durable et transposable, intégré par les individus au fil de leur expérience sociale, qui oriente leurs pratiques, leurs comportements et leurs représentations. Voir Pierre BOURDIEU, Esquisse d’une théorie de la pratique. Genève : Droz, et Le sens pratique. Paris : Editions de Minuit, 1972.
[31] Compte Facebook, adresse mail, jeux vidéo.
[32] Appartenant aux groupes de classes préparant le DU de FLE de l’Université Paris Sorbonne.
[33] Par une doctorante en Sciences du langage, et chargée de cours à l’université Paris Sorbonne.
[34] C’est-à-dire montrant qu’ils connaissaient déjà le lexique évalué.
[35] Il s’agit de la représentation informatique d’un joueur sous forme 3D.
[36] Le PNJ est un personnage contrôlé par l’ordinateur avec un comportement algorithmique, prédéterminé ou réactif. Les personnages non-joueurs sont à la fois les opposants aux personnages des joueurs (PJ), mais aussi les personnages aidant et accompagnant les PJ, ou simplement les habitants du monde, dont la vie se déroule indépendamment de celle des PJ.
[37] L’expérimentation du groupe contrôle a été conduite par une chargée de cours à la Sorbonne, spécialiste du FLE. Dans ce domaine, le terme « formateur » est couramment utilisé pour désigner l’enseignant, contrairement aux filières LEA ou aux langues vivantes, où l’on emploie volontiers « professeur », ou « enseignant ».
[38] Les seules sollicitations concernaient les questions autour des erreurs orthographiques de certains mots tels que « rayures » ou « poterie », ce qui ralentissait la progression du jeu.
[39] Les passages étaient régulés par un chronomètre, les longueurs s’expliquaient par les nombreux bugs informatiques rencontrés, dus au serveur du jeu ou à la connexion informatique incertaine, car nous utilisions le partage de connexion 4G d’un smartphone. Sans ces ralentissements intempestifs, les passages auraient été plus courts.
[40] Le départ à l’étranger pour études peut représenter un sacrifice important, tant sur le plan financier que personnel. Plusieurs travaux soulignent que la migration étudiante implique des coûts élevés pour les familles et un investissement qui dépasse la seule dimension académique. Voir Philip G. ALTBACH, « Globalisation and the University: Myths and Realities in an Unequal World », Tertiary Educatio and Management, vol 10, no.1, 2004, pp.3-25 ; et Walter Frederic BROOKS, History of the Fanning Family V1, Kessinger Publishing, 2010.
[41] Ces observations ont été recueillies auprès des apprenants, qui ont fait part de leur avis sur la pertinence d’un tel dispositif dans l’apprentissage du français.
[42] Les tournures grammaticales cibles ont été élaborées dans un contexte de présentation de soi. En effet, les tournures elles-mêmes ne sont pas directement liées à la présentation de soi. Exemple « je viens de » peut être interprété de deux manières différentes : la tournure peut renvoyer à la provenance (« je viens de tel endroit ») ou peut signifier « venir de la part de », voire indiquer le passé récent.
[43] Personnage non-joueur qui formule la narration du scénario pédagogique conçu par le professeur de FLE.
[44] Les formules affirmatives et interrogatives recueillies dans le jeu sont les suivantes : je viens de, je viens pour, j’ai, je dois, je voudrais, je suis venue, je m’appelle, je vous propose, connais-tu ?
[45] Personnage non-joueur qui énonce les missions à l’avatar, représenté par le joueur /sujet.
[46] Etant l’auteure de l’expérimentation, le fait d’animer le groupe aurait pu introduire un biais expérimental : mes attentes vis-à-vis des résultats risquant d’influencer involontairement le déroulement de la séance et le comportement des apprenants.
[47] Mon rôle s’est limité à la conception et à la supervision de l’expérimentation, la séance étant conduite par l’enseignante de FLE.
[48] Un film sorti en salle le 4 décembre 2013 et réalisé par Cédric Klapisch. Ce film retrace le parcours de Xavier (interprété par l’acteur Romain Duris), un quarantenaire fraîchement séparé de son épouse avec qui il a eu deux enfants, qui décide de s’installer à New York avec son nouveau compagnon. Ne pouvant se résoudre à vivre loin de ses enfants, il part s’installer à New York et décide de contracter un mariage blanc avec une sino-américaine, afin d’obtenir la nationalité américaine.
[49] L’affiche cinématographique ainsi que des photos tirées du film.
[50] Pour les ouvrages, la formatrice a utilisé toute la collection Bescherelle (conjugaison, orthographe, grammaire), les manuels Edito, saison, version originale, le Bled, grammaire et orthographe progressive du français niveau intermédiaire, ainsi que des exercices sur internet.
[51] Le fait que les apprenants aient déjà étudié ce film, mais sous un autre angle thématique, pouvait constituer un biais expérimental : certains d’entre eux risquaient de mobiliser des connaissances antérieures et d’anticiper les réponses attendues.
[52] Tels que « Pourquoi part-il vivre à New-York ? », « Avec qui se marie-t-il ? », « Que pensez-vous de ce mariage ? ».
[53] Tels que « Que se passe-t-il sur cette photo ? », « Que se passe-t-il aux EU comme en France lorsqu’il y a un mariage avec un étranger ? », « Que demandent les policiers au couple ? », « De quels points de grammaire avons-nous besoin selon vous ? ».
[54] Les apprenants sont déjà formés à cette approche méthodologique avec cette formatrice : l’approche visuelle, la construction individuelle des exercices de systématisation et de règles grammaticales par reformulation.
[55] Les bons résultats résultent sans doute de cette organisation en îlots.
[56] Les réponses attendues sont indiquées en rouge : de ce fait, les autres réponses, même correctes grammaticalement, n’ont pas été retenues comme bonnes.
[57] Une analyse fine et exhaustive est développée dans la thèse de Magda ORABI, Serious Game : enjeux et perspective dans l’acquisition d’une langue seconde à l’aune de l’ethos, thèse de doctorat en Sciences du langage, thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Lorraine, 2022.
[58] L’analyse est ici succincte car il s’agit de s’intéresser avant tout aux résultats obtenus par le dispositif serious game. Nous présenterons l’analyse d’une hypothèse.
[60] Dominique MAINGUENEAU, Analyse du discours et sciences humaines, Paris : Hachette, 2004, p.197.
[61] Ibid.
[62] Ibid.
[63] L’analyse du discours ou l’analyse conversationnelle.
[64] Ibid.
[65] Dominique MAINGUENEAU, op. cit,, p. 197.
[66] Ibid., p. 197.
[67] Ibid., p. 111.
[68] Nous prendrons l’exemple des apprenants vietnamiens et anglo-saxons cités dans l’article des professeurs Thành NGUYỄN THỨC et Thiện Tánh TRẦN, « Approche aspectuelle à travers le récit pour le passé composé et l’imparfait », Synergies Pays riverains du Mékong n° 8, 2016, pp. 157-166
[69] Ibid.
[70] A l’instar de Cristelle CAVALLA, nous nommons items lexicaux les « unités lexicales » qui représentent «« des unités préconstruites autonomes, généralement munies d’un sens et servant à construire des énoncés ». Elles appartiennent « à des catégories syntaxiques variables, telles que les noms, les verbes, les adjectifs » et « ont plusieurs formes fléchies : analyse, analysais, analyserons…petit, petite, petits… ». Voir Cristelle CAVALLA, Elsa CROZIER, Danièle DUMAREST et Claude RICHOU, Le vocabulaire en classe de langue, Paris : Clé International, 2009, p.12.
[71] Hans KRONNING, La modalité déontique en français contemporain : une approche sémantique et discursive, Uppsala : Acta Universitatis Upsaliensis, 2001, p.1
[72] Hélène HUOT, La modalisation en français : étude linguistique du verbe devoir, Paris : Presses Universitaires de France, 1974, p.87.
[73] Ibid., p.87.
[74] Jean-Paul SUEUR, Les modalités et leur expression en français contemporain, Paris : Presses Universitaires de France, 1975 ; Id. Modalités et subjectivité, Paris : Klincksieck, 1979 ; Id., Etudes de linguistique française, Paris : Orphys, 1983.
[75] Ibid.
[76] Ibid.
[77] Ibid.
[78] Georg Henrik VON WRIGHT, Norm and Action, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1963, p. 17.
[79] La modalité n’est enseignée dans certains pays européens qu’à partir de 12 ans. Pour plus d’informations, consulter l’article de José Antonio COSTA, « L’enseignement de la modalité linguistique en primaire : des voies méthodologiques possibles et souhaitables », Bellaterra Journal of Teaching & Learning Language & Literature, vol.12, n°2, 2019, pp.41-59, [https://revistes.uab.cat/jtl3/article/view/v12-n2-costa/810-pdf-fr].
[80] Oswald DUCROT, Le dire et le dit, Paris : Les Editions de Minuit, 1984, p. 201. Ducrot y distingue l’ethos dit (« ce que le locuteur montre ») et l’ethos montré (« ce que révèle sa manière d’énoncer »).
[81] Cette affirmation est toutefois à nuancer car sans études statistiques ou exercices post lexicaux (type multi-tâches), le résultat ne peut être optimal.
[82] 25% pour les sujets du serious game à la différence du groupe contrôle qui n’a présenté aucune réponse attendue.
[83] 75% pour les sujets du serious game à la différence du groupe contrôle qui ne l’a acquis qu’à hauteur de 17%.
[84] Pour plus d’explications, se référer aux résultats du groupe ayant expérimenté le serious game et à ceux du groupe contrôle.
[85] Là aussi : sans l’élaboration d’études statistiques et d’exercices post lexicaux type multi-tâches, il n’est pas possible d’affirmer dans l’absolu que les résultats présentés ne soient pas représentatifs.
[86] Nous avons évoqué ce point dans la critique du jeu ci-après.
[87] Sans recevoir de cours préalable.
[88] Ces données apparaissent dans plusieurs questionnaires (cf. les questionnaires post-lexicaux)
[89] Laurence SCHMOLL, « Jeux vidéo et apprentissage des langues : motivation, immersion et interactions », Etudes de linguistique appliquée, n°161, 2011, p.83-96.
[90] Rayan et Deci expliquent que la motivation intrinsèque à l’accomplissement est en jeu « lorsque l’individu a le sentiment de relever des défis ». Edward L. DECI et Richard M. RYAN, « The « What » and « Why » of Goal Pursuits : Human Needs and the Self-Determination of Behavior », Psychological Inquiry, vol.11, n°4, 2000, p.227-268.
[91] Par « approche communicative », nous entendons ici une démarche didactique centrée sur l’interaction et l’utilisation de la langue en contexte, telle qu’elle est encore mobilisée par de nombreux formateurs FLE. Dans notre cas, elle aurait pu constituer une alternative à la projection, soit seule, soit combinée à l’approche actionnelle. Voir, à ce propos, Jean Pierre CUQ, Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Clé Internationale, 2003.
[92] Magda ORABI, Serious Game : sérieuses possibilités ?, mémoire de master, 2014.
[93] Il s’agit des données recueillies dans le cadre de l’expérimentation menée pour mon mémoire de master 2.
[94] Magda ORABI, Serious Game : enjeux et perspective dans l’acquisition d’une langue seconde à l’aune de l’ethos, thèse de doctorat en Sciences du langage, thèse de doctorat en Sciences du langage, Université de Lorraine, 2022.
[95] Julien Alvarez a été co-responsable pédagogique du DIU Apprendre Par Le Jeu.
[96] L’analyse quantitative couplée à des observations qualitatives.
[97] Aucune étude de ce type n’a été publiée dans la littérature du serious game en didactique des langues. Cette recherche est donc inédite.
[98] Traitant de la même problématique, et du même support.
[99] Laurence SCHMOLL, « Jeu vidéo d’apprentissage des langues en milieu scolaire : ce qu’en disent les élèves », Ludologie médiatique, Recherches en communication, 49, 2019, pp. 9-30.
[100] Contrairement à la classe où les apprenants sont conscients de leur apprentissage.
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Date de réception de l’article : 17 novembre 2023
Deuxième soumission : 10 mars 2025
Date d’acceptation de l’article : 18 septembre 2025
Mise en ligne : 2 décembre 2025
Auteurs
Magda ORABI
Laboratoire CREM, Université de Lorraine
Numéro Orcid :
Magda.orabi @ univ-lorraine.fr
Références
Pour citer cet article :
Magda ORABI - "Magda ORABI, Le serious game : expérimentation de terrain dans l’acquisition d’une langue seconde" RILEA | 2025, mis en ligne le 08/12/2025. URL : https://anlea.org/revues_rilea/magda-orabi-le-serious-game-experimentation-de-terrain-dans-lacquisition-dune-langue-seconde/